II.2 Partager sa culture avec celle des autres et
découvrir la leur : Non au repli identitaire
Concevoir un citoyen universel implique,
au-delà de la répression des frontières, une réelle
ouverture aux autres. Miano et Mbue se positionnent contre le repli identitaire
en invitant les hommes à s'ouvrir davantage, à aller à la
rencontre des autres peuples dans le but de tirer profit de leurs
qualités et de leur apporter ce qu'eux aussi ont de meilleur. Mais avant
de présenter les modalités d'une telle vision, il serait
intéressant de s'appesantir un instant sur les bases théoriques
dans lesquelles s'enracine cette vision.
II.2.1 Un « un fond humain universel »
Dans son recueil de conférences paru en 2011,
Habiter la frontière, Léonora Miano
propose une théorie sur ce qu'elle nomme les « identités
frontalières ». Elle y fait l'apologie de la citoyenneté
mondiale. Pour elle, tous les personnages auraient un « fond humain
universel », quelque chose qui serait propre à tous les humains, et
qu'il faudrait mettre en avant au-delà des pulsions égoïstes
qui créent en nous des sentiments de rejet, d'exclusion autant qu'elles
favorisent le repli identitaire. Nous sommes dans un contexte de
grandes
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tensions identitaires, de survalorisations des
identités au détriment de ce qui est commun, comme le constate
Miano. Elle célèbre la citoyenneté universelle et pourfend
les particularités qui, pour elle, n'ont pas vraiment de sens. Pour
éclaircir le concept de « fond humain Universel », voici ce
qu'elle dit :
Le meilleur moyen d'illustrer ce qu'on entend par fond
humain universel, c'est de s'appuyer sur l'exemple des langues. Il y'en a
d'innombrables si nous n'apprenons pas la langue de l'autre, il est difficile
de le comprendre. Pourtant, le simple fait qu'il en possède une lui
aussi, signifie que, comme nous, il a une pensée, un imaginaire, une
vision du monde. Nous devrions donc être en mesure de l'identifier
clairement comme un frère humain. D'ailleurs la communication est
toujours possible. Nous savons bien que l'histoire a prétendu le
contraire, qu'elle a classé les humains selon les critères
fabriqués, se permettant de dénier la qualité d'hommes
à des peuples entiers. (Miano, 2011 : 21-22)
La métaphore de la langue que Miano utilise
dans ce passage est très significative. En effet, la langue ici renvoie
à l'homme. La pluralité des langues, désigne la
diversité des peuples et des cultures. Il est absurde de penser que l'on
pourrait s'en sortir sans avoir besoin de l'autre. La connaissance de cet autre
est fondamentale, car elle nous permet de prendre conscience de la
diversité ; de savoir que l'autre peut avoir une vision
différente de la nôtre, toute chose nous permettant d'avancer. Et
pour connaître l'autre, il faut aller à sa rencontre, apprendre sa
culture, parler sa langue. En effet, qu'on le veuille ou non, le monde
évolue vers cette vision d'un village planétaire, et ne pourront
s'en sortir que ceux qui accepteront de composer avec l'autre. La relation que
Mbue établit entre les personnages conforte également cette
vision. Elle conçoit le monde à l'image d'un carrefour et les
différents pays qui le constituent tels les routes de ce carrefour. Il
suffit juste de marquer un pas de chaque côté, pour comprendre
qu'on est toujours au même endroit, c'est-à-dire chez soi. C'est
au moins la lecture que l'on peut faire des propos de Jende lorsqu'il dit
à Edwards :
Tout ira bien, Monsieur. Nous avons déjà
un passeport américain pour ma fille. Elle reviendra quand elle sera
prête, et peut-être qu'un jour elle déposera une demande,
pour que son frère obtienne aussi la nationalité. Sinon, mon fils
ira au Canada, et ma femme et moi, nous pourrons aller les voir dans les deux
pays. (VVR : 411).
Jende et son épouse, originaires de
Limbé, ne trouvent pas de problèmes, à ce que leurs
enfants soient des Américains, Canadiens. C'est dire qu'ils ont compris
que dans les conditions réunies, un homme peut faire sa vie dans
n'importe quel endroit du globe et y trouver son compte. De même
Valentine, dans Ces âmes chagrines, qui est
française, blanche, désire aller s'installer en Afrique pour y
faire sa vie. Elle a grandi avec les Africains, appris à
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les connaître et doit même en
épouser un. À l'instar Jende, Valentine a compris que les notions
de frontières n'ont plus de sens, et que seule l'aventure au monde est
gage d'un avenir meilleur.
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