1.2.2 L'immigré : un être
déterminé
Demeurer à tout prix, tel est le leitmotiv de
Jende Jonga. Il doit tout faire pour devenir citoyen américain, en
dépit de ce que cette Amérique lui montre qu'elle n'a pas besoin
de lui. Avoir les papiers, c'est-à-dire être en règle du
point de vue politico administratif, est le rêve de tout immigré
clandestin. Jende ne déroge pas à cette règle. S'il peut
compter sur le soutien de son cousin Winston, il peut aussi se vanter de
pouvoir compter sur l'appui technique de l'avocat Boubacar qui semble
très sûr de lui. D'ailleurs Boubacar n'hésite pas à
rassurer Winston sur sa capacité à régulariser la
situation de son cousin Jende : « Je vais monter un bon dossier,
répondit Boubacar, ses papiers, ton cousin, les aura, Inch'Allah ».
(VVR : 34)
Winston également est un immigré. Il est
arrivé grâce à la loterie à la green
card13. Il n'a donc aucun souci sur le
plan administratif. Cela montre entre autres la différence entre deux
immigrés lorsqu'ils ont usé des moyens différents pour
émigrer, et tend à culpabiliser l'immigré clandestin.
L'immigré clandestin est de plus en plus perçu comme un
personnage
13 Il n'a pas de souci administratif, ce qui est
déjà un atout pour une insertion sociale
réussie.
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condamné à la souffrance, à
l'errance, à la misère. Ces situations sont toutes perçues
chez Thamar, une fois qu'elle se retrouve dans la rue après le
décès de son amant. Maxime et Jende, quant à eux, vivent
le bonheur pendant un peu plus longtemps. Cependant, le bonheur de
l'immigré étant bien souvent éphémère, la
réalité a tôt fait de les rattraper. Maxime, faute de
pouvoir trouver un emploi digne de ce nom en raison de son inexistence
officielle, sera contraint d'user des contours qui ne l'honorent et ne
l'avantagent pas. En effet,
Lorsque Maxime avait dû trouver un emploi
après ses études, Antoine avait tout de suite accepté de
lui venir en aide. Cependant, il avait exigé, étant donné
le risque encouru, que la moitié du salaire lui revienne. Maxime avait
dû s'y résoudre [...] ce dernier [Antoine] percevait une somme
très substantielle tous les mois, sans avoir à lever le petit
doigt, persuadé que Maxime souffrait de voir ainsi s'envoler le fruit de
son labeur. (CAC : 60)
De nombreux immigrés sont dans une position de
faiblesse, et certaines personnes sans état-d `âme
n'hésitent à en profiter.
1.2.3 L'immigré : un « objet »
d'exploitation
Plusieurs risques d'exploitation planent sur les
immigrés clandestins. N'étant pas en règle, ils sont
exposés à toutes sortes d'abus et de spoliation. La
vérité est que ces actes prospèrent, puisque les victimes
que sont les immigrés clandestins ne sauraient demander justice, n'ayant
pas d'existence officielle. Fatou Diome dans Le Ventre de
l'Atlantique décrivait déjà ce
phénomène. Elle y met en scène un personnage, parti du
Sénégal pour la terre promise, la France, mais qui se retrouve
à travailler au noir et sans salaire.
Les immigrés clandestins vivent le martyre dans
leur chair. Ils n'ont pas d'existence officielle dans le pays pour lequel ils
sont prêts à tout afin d'être intégrés. Cette
situation d'inconfort du point de vue politico-administratif des migrants se
répercute sur leur progéniture, leurs conditions de vies, leur
épanouissement. Si Jende et son épouse ne baissent pas les bras,
gardant à l'esprit qu'un jour « ils réaliseraient leur
rêve de devenir américain » (VVR :
291), leur fils Liomi, lui, est à l'abri. Il n'a aucune
inquiétude, convaincu qu'il est que l'Amérique lui appartient
dans son entièreté. Les propos suivants en témoignent:
(VVR : 55)
Liomi avait si bien adopté l'Amérique,
presque rien ni personne ne lui manquait de Limbé. Il était
heureux d'être à New-York, excité de marcher sur ses
trottoirs bonds et bombardés par un vacarme incessant. Il parlait comme
un bon Américain et connaissait si bien le base-ball et la capitale de
chaque État que quiconque le croisait n'aurait pas pu penser qu'il
était l'enfant de migrants [...] clandestins.
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Ces propos montrent combien le petit Liomi à
l'inverse de ses parents, se sent chez lui en Amérique. Pourtant la
réalité elle, est toute autre. Si la volonté de
s'installer définitivement et légalement sur leur terre d'accueil
reste l'une des préoccupations majeures de certains immigrés
clandestins, cela n'est pas le cas pour ceux qui se sont installés
depuis longtemps et qui ont plus ou moins un statut conforme. Ceux-là
sont plutôt nourris, lorsqu'ils n'ont pas perdu leur sens de la fratrie,
par la volonté de faire venir leurs proches auprès d'eux. Ce cas
de figure est perceptible dans VVR à travers
le personnage Winston. Quoi qu'il en soit, les préoccupations
administratives hantent les immigrés clandestins et débouchent
sur l'éveil de conscience chez ces derniers. Passer sa vie à fuir
les contrôles de police, à limiter ses déplacements,
à travailler au noir parce qu'on ne peut avoir un emploi décent,
ou alors prendre conscience de ce que le pays rêvé n'est pas tel
qu'on l'a construit et s'assumer ... telles sont les questions qui hantent tout
immigré clandestin qui finit par comprendre que son
épanouissement total ne réside pas dans ce climat où tout
lui est hostile.
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