I.1 La consolidation des liens
Pour Mbue et Miano, l'immigration devrait être
un moyen de rapprochement des familles et non un moyen d'accession au bonheur.
Mais avant de rentrer dans ces détails, il serait intéressant de
voir ce qui engendre même ces phénomènes migratoires et que
les auteurs dénoncent.
I.1.1 Partir : fruit d'une mauvaise politique
gouvernementale
S'il y a tant de candidats au concours de
l'immigration (clandestine le plus souvent), c'est parce que ceux-ci n'ont
généralement pas le choix. En réalité ils sont
victimes d'une politique gouvernementale qui les oppresse, ne leur laissant
aucune lueur d'espoir et aucune certitude quant à des lendemains
meilleurs. Aussi, les personnages qui comprennent qu'ils n'ont plus rien
à gagner dans leurs pays, essayent-ils de tout faire pour s'en sortir
dans un autre lieu bien plus loin où ils espèrent que leur
situation s'améliorera au fil du temps. L'Ailleurs devient, à ce
moment, un refuge pour les personnages qui n'avaient plus vraiment le choix. La
description que le narrateur de Ces âmes chagrines
fait du Mboasu interpelle:
dans leur propre pays les habitants du Mboasu ne
possédaient rien de signifiant, on pouvait penser que l'air
lui-même serait bientôt rationné. Les richesses
minières et forestières avaient été bradées
aux pays du nord. Les dividendes de ces opérations lucratives,
confisquées par une Elite gloutonne donnaient sur des comptes
numérotes pendant que le petit peuple crevait la bouche ouverte»
(CAC : 170).
Cet extrait montre à suffisance en quoi la vie
au MBOASU est synonyme de misère et de souffrance. Dans un contexte ou
le « petit peuple crevait », il est évident que ce dernier
commence à questionner sérieusement sa présence en ces
terres et se dise que rien ne l'y retient.
Derrière ces propos du narrateur, on peut voir
une dénonciation du mode de gouvernance du Mboasu ; une gouvernance qui
ne se soucie point de son peuple. Le gouvernement est donc responsable en
partie de la fuite de son peuple qui a cessé de croire et d'avoir
confiance en lui. Le phénomène est propre à plusieurs pays
du Sud. C'est entre autres l'une des raisons qui ont poussé Jende
à émigrer aux USA, laissant au loin le pays où, selon lui,
il n'y a pas d'espoir. Le bas peuple est condamné à souffrir de
générations en générations dans ce pays où
les chances de réussites sont minces, sinon inexistantes. Se confiant
à son patron sur les motifs de son départ, il déclare :
(VVR : 53)
monsieur, il n'y a pas de bon ou de mauvais travail
dans mon pays. Parce que tout travail est bon au Cameroun. Le simple fait
d'avoir un endroit où aller quand vous vous réveillez le matin
est une bonne
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chose, Monsieur Edwards. Mais l'avenir ? Le
problème est là Monsieur. Je n'avais même pas le droit
d'épouser ma femme...
Aussi tristes qu'ils paraissent, ces mots
décrivent la réalité du lieu d'origine de Jende ; un lieu
dénué d'espoirs, où un petit groupe formé de ceux
venant « d'une famille qui a un nom » (Ibid.)
s'est accaparé les richesses au détriment du peuple.
La situation est à un niveau où le citoyen a perdu toute
confiance en son pays, toute assurance. Or celui-ci est censé le
protéger, c'est à lui que revient la charge de lui donner des
moyens d'une vie acceptable. Si une nation vomit ses citoyens, c'est à
raison qu'ils pensent à s'en aller. Ils ont le sentiment d'être
des étrangers chez eux. Mbue dénonce donc cette gestion
calamiteuse des gouvernants du Sud et les tient pour responsables de l'exil de
leurs concitoyens.
Bien plus qu'une cause alimentaire, Moura (1999) voit
en la migration au coeur de plusieurs romans le résultat d'un
dysfonctionnement total de la part des pays de ces immigrés
plombés par la corruption de grande envergure. Le peuple n'aspire plus
à rien dans son propre lieu natal, il est convaincu que ce dernier n'a
plus rien à lui offrir. C'est ce qui explique par exemple le fait que
« les filles du Mboasu, la tête farcie de délires
chimériques, squattaient les web cafés de Sombé ou de
Nasimapula s'inscrivant sur des sites de rencontres à la recherche de
l'homme blanc » (CAC : 172). Cette situation
montre que ces filles sont désormais convaincues que le salut ne viendra
pas de l'endroit où elles se trouvent actuellement, mais d'ailleurs.
Elles ont cessé de croire et s'en remettent à la chance, celle de
trouver un homme blanc. Le Blanc ici connote le bonheur, celui existant
ailleurs, loin de ces terres de souffrance et de malheur. Ces terres où
aucun rêve n'est plus possible. Ce départ des Africains vers
l'Occident renforce le regard péjoratif que les Occidentaux portent sur
le continent africain.
Ils sont de en plus convaincus qu' « être
pauvre en Afrique cela n'a rien d'exceptionnel [car] tout le monde ou presque
est pauvre là-bas » (VVR : 139). C'est en
ces mots que Cindy Edwards parle du continent africain. Derrière ces
peintures faites par les personnages de Ces âmes chagrines
et Voici venir les rêveurs, on
perçoit une réelle dénonciation de la gouvernance dans les
pays d'Afrique. Les personnes censées assurer un partage
équilibré des richesses nationales ne le font pas, ce qui pousse
le bas peuple à candidater à l'émigration. Toutefois,
au-delà de cette dénonciation, qui tend à dédouaner
les personnages immigrés, Miano et Mbue proposent leur vision
l'immigration.
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