III.1.3. Servir ou faire servir
Lorsque la peur de la réaction de l'entourage
est surmontée, certains commencent à planifier leur retour. On a
d'un côté ceux qui, bien qu'ayant échoué en
Occident, veulent préserver l'image de la personne auprès de qui
il faut se prosterner. Pour eux, le simple fait d'avoir vécu en Occident
leur octroie des pouvoirs sur leurs proches. Ils font tout pour marquer la
distance et se comporter en rois, une personne à qui on doit des
services, simplement parce qu'ils sont revenus des contrées
inaccessibles. Neni fait partie de cette catégorie. Son
expérience en Amérique ne peut pas être
considérée comme réussie. Si au départ elle
n'entendait pas retourner tel que le suggérait son époux, elle a
bien fini par l'accepter. Elle doit suivre son mari dans leur pays. Toutefois,
elle s'arrange à maquiller son retour afin qu'il ne puisse pas
être perçu tel un échec. Elle s'est arrangée
à faire des achats : « faux sacs, Chanel, Gucci, et Versace »,
« bijoux bon marché, lunettes de soleil et chaussures, postiches et
tissages, crèmes, parfum et maquillages, tout cela pour prouver aux
filles de vertes de Limbé qu'elle ne jouait pas dans la même cour
» (VVR : 411). Les vêtements que Cindy lui
avaient donnés, quant à eux,
Seraient réservés pour les grandes
occasions. Neni avait décidé de les porter aux mariages et
anniversaires afin de montrer à ces filles que même si elle
était rentrée au pays et vivait à présent parmi
elles, elle n'était pas des leurs. Elle était maintenant une
femme de haut rang, portant des habits de marques ; une femme avec laquelle
aucune d'entre elles ne pouvait rivaliser. » (VVR
: 419)
Neni se soucie du paraître ; elle veut
être une déesse que les filles de Limbé louent.
On observe un changement entre les attitudes
respectives de Neni et de Thamar. Convaincue que son expérience n'a pas
été une réussite du point de vue financier, Thamar
préfère se focaliser sur l'expérience qu'elle a acquise et
qu'elle pourra mettre au service des siens. Son retour sera
bénéfique aux gens de chez elle. Elle pourra leur apporter autre
chose que l'argent, quelque chose qui ne s'achète pas. Elle savait que
:
Sa présence au Mboasu [aurait] un sens. Si elle
n'était pas riche sur le plan matériel, elle avait une
expérience à partager. Nombreuses étaient celles qui,
parmi les jeunes femmes défavorisées de ce pays, étaient
prêtes à tout pour s'en aller. Traverser le désert
jusqu'aux limites du continent, tenter leurs chances là-bas, de l'autre
côté, au Nord. Là où, disait-on, l'âme des
subsahariens avaient été emprisonnée dans des
92
musées, dans des collections privées, dans
des coffres de banques,
depuis des générations
(GAG: 172)
Dans ce pays où les jeunes femmes croyaient au
paradis terrestre, Thamar pourrait donc se positionner en véritable
guide. Elle qui a tâté du doigt la réalité, elle
pourra déconstruire ce mythe en lequel ses compatriotes continuent de
croire et les chimères qu'ils entretiennent. Son retour est donc autant
salutaire que bénéfique. Il est riche et prodige, salvateur et
heureux.
|