III.1.2. Les réactions de l'entourage
« L'échec forme-t-il la seule raison qui
motive la décision de retour au pays laissé ? », s'interroge
Flora Amabiamina (2017 : 107). Bien évidemment, au regard du corpus en
étude, la réponse est négative. On constate qu'ici,
l'échec constitue non pas une raison, mais une contrainte, une entrave
à la décision de certains immigrés. Ils éprouvent
la peur parce que leur
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vie au pays rêvé ne fut pas une
réussite sur le plan socio-économique. Sauf que ce n'est pas
l'échec en lui-même qui pose problème ici, c'est la
réaction de l'entourage. Étant donné que les personnes
restées sur le continent ont pour la plupart une image
édénique de l'Occident, ils s'attendent à ce que celui qui
revient de ces contrées soit bourré d'or et d'argent. Comment
leur faire comprendre que la réalité est bien plus âpre,
là est la question difficile que se posent les candidats au retour. En
réalité, cette image que ces personnes attendent d'eux est la
même que ces immigrés se représentaient bien avant leur
départ. C'est ce qui fait Betty dire : « j'ai entendu beaucoup de
choses folles dans ma vie, mais jamais que quelqu'un quittait l'Amérique
pour retourner dans son pays » (VVR : 281).
Betty, amie de Neni, ne conçoit pas le fait que
quelqu'un puisse quitter l'Amérique après qu'il y est
arrivé. Pour elle, l'Amérique est le seuil de la réussite
sociale. Et quand bien même il lui arriverait de ne pas réussir,
rentrer chez elle n'est pas l'option envisageable. Dans ces conditions,
l'Amérique représente une sorte de refuge, un gilet de sauvetage,
le moyen par lequel elle entretient l'image déformée que les
autres sur le continent ont d'elle. Le simple fait pour elle de rester aux USA
est un motif de gloire, de satisfaction.
Thamar se situe dans le même sillage. Elle
« aurait pu prendre cette décision [celle de retourner] il y avait
longtemps, mais le courage lui avait manqué » (CAC : 133).
En retournant dans ce pays, les poches vides, elle fait preuve de courage. Le
narrateur explique que « Thamar avait songé qu'il était
impossible, inadmissible de retour chez soi en vaincue. Être partie si
loin, si longtemps, rentrer les mains vides » (134). Thamar juge cela
impossible. Mais il est important de savoir que sa crainte ne se situe pas d'un
point de vue personnel. Elle ne voulait pas rentrer en « vaincue »,
car le faire serait accepter d'être la risée de tout le monde, de
donner l'image de celle qui s'est faite vaincre par l'Occident. Sa crainte est
donc due aux réactions de son entourage, aux moqueries auxquelles elle
s'expose par cet acte. Les sacrifices consentis et les prières
formulées à l'endroit de l'immigré qui va vers les
contrées lointaines sont destinés à le protéger,
à l'aider à braver tous les obstacles qu'il rencontrera en
chemin. Il n'est pas question qu'il revienne en vaincu. Ce complexe pousse
malheureusement bon nombre d'immigrés à vivre dans l'errance et
la clandestinité plutôt que de retourner.
D'ailleurs, n'eut été l'arrivée
salvatrice de Maxime dans la vie de Thamar en Hexagone, tout montre que sa vie
aurait été une misère pour toujours. Elle ne serait jamais
sortie de cette rue où elle avait élu domicile. Maxime est celui
qui lui redonne le sourire, lui permet de lever la tête et de comprendre
qu'il faut parfois oser, ou que la crainte du retour par peur de railleries est
une absurdité. Ainsi, Thamar part de la rue pour rentrer chez elle, la
tête
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haute, les poches non remplies bien évidemment,
mais avec l'honneur et la joie, la dignité et la fierté, la
fierté d'être enfin redevenue une personne ; ce droit que
l'Hexagone lui refusait.
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