III. Contraintes et enjeux liés au retour
Rendu à l'évidence que le pays
rêvé n'était pas la terre promise tel qu'envisagé au
départ, certains immigrés envisagent de faire
marche-arrière. Seulement, ce choix n'intervient pas de façon
spontanée. Une étude de Didier Bariani43 citée
par Cathy Thioye rapporte que
Le choix du retour est et doit rester un acte
volontaire car il ne faut pas oublier que toute immigration est souvent une
épreuve, celle de l'exil, toujours plus ou moins involontaire. Et cela
d'autant plus qu'un certain nombre de migrants ne souhaitent pas, en arrivant
en France, conférer un caractère permanent à leur
présence ni d'abandonner leurs us et coutumes. Leur but n'était
pas de s'y installer, mais d'y trouver du travail dans une économie
d'abondance (Cathy Thioye, Op.cit., 54)
« Un acte volontaire », telle est justement
la logique dans laquelle s'inscrivent les retours des personnages
décrits dans ce corpus. Toutefois, si la volonté y est, celle-ci
reste tout de même menacée. En effet, plusieurs facteurs
participent à freiner la mise en exécution de cette
volonté. Ces facteurs sont d'ordre socio-économique et
psychologique ; cependant, ces immigrés évaluent les enjeux
relatifs à ce retour, afin de se rassurer que leur décision est
la meilleure.
III.1. Du point de vue socioéconomique
Les immigrés, bien que décidés
à rentrer, font face à plusieurs facteurs qui rendent la mise en
oeuvre de ce projet difficile. Cependant, ils estiment que ce choix est
à la fois bénéfique pour eux et pour le pays
natal.
III.1.1. La peur d'un nouveau départ
Devoir tout reconstruire, se retrouver dans les
mêmes conditions que celles d'avant le départ, sont entre autres
des éléments qui font peur aux immigrés lorsqu'ils
envisagent de repartir chez eux. Ceux dont l'expérience n'a pas
été une réussite du point de vue socio-économique
désirent rentrer, bien que cette idée les emmène à
réfléchir davantage. S'il est
43 Les immigrés, pour ou contre la
France
89
vrai que le lieu d'arrivée n'est pas une terre
promise, celui de départ, lui aussi, n'offre plus aucune garantie, de
possibilités. Il est synonyme de « manque [...],
c'est-à-dire qu'à première vue, il devrait être
traumatique » (Amabiamina, Op.cit., 205). La question que ces
immigrés se posent est celle de savoir comment réussir dans ce
pays qui est le leur quand il n'a rien à leur offrir ; car, faut-il
peut-être le rappeler,
Au Mboasu, les habitants ne possédaient rien de
signifiant, on pouvait penser que l'air lui-même serait bientôt
rationné. Les richesses minières et forestières avaient
été bradées aux pays du Nord. Les dividendes de ces
opérations lucratives, confisqués par une élite gloutonne,
dormaient sur des comptes numérotés, pendant que le petit peuple
crevait la bouche ouverte (CAC : 170)
Dans un climat semblable à celui du Mboasu, il
est évident que rien n'a la chance de prospérer. C'est à
croire que les habitants de ce lieu sont condamnés à la
misère pendant très longtemps encore. Une telle situation, bien
évidemment, est beaucoup plus propice à la fuite de ses habitants
vers des contrées où il y a encore d'espoirs et des choses
à conquérir. Et pour les candidats au retour, il s'agit d'une
réelle mise en garde. Il en est de même pour le pays d'origine de
Jende. La peinture que le narrateur en fait est désolante :
Jende allait devoir rentrer chez lui. Il allait de
voir rentre dans un pays où la possibilité d'une vie meilleure
était l'apanage d'une poignée de gens bien nés, dans une
ville que fuyaient quotidiennement les rêveurs comme lui. Jende et sa
famille devait devoir rentre à New-town [...] La honte, Jende pouvait
vivre avec, mais échouer en tant que père... (VVR :
72)
Dans les pays de Maxime et de Jende, la situation
socio-économique est de nature à décourager quiconque
songerait à s'y installer. Qu'ils veuillent y remettre les pieds
au-delà de tout est un acte salutaire. Pour eux, cet endroit
représente davantage qu'un simple lieu. Ils réalisent qu'il leur
revient la tâche de construire le construire, de poser les jalons d'une
société prospère où les possibilités de
réussite ne seront non plus « l'apanage d'une poignée
», mais à la portée de tous. L'enjeu du retour ici est le
désir ardent de faire partie des acteurs d'une nouvelle
génération, une génération dénuée de
rêveurs et composées de personnes qui accomplissent, qui luttent
afin que le jour puisse enfin se lever.
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