II.2.3. Panser les plaies du passé
Le retour se veut également, pour les
immigrés, une volonté de panser les plaies de l'expérience
douloureuse. Ici, il n'est pas seulement vu dans le sens d'un voyage vers la
terre d'origine. Il s'agit d'un retour croisé. En effet,
l'immigré qui passe plusieurs années dans un lieu en porte
généralement une marque. Elle peut être heureuse ou
douloureuse. Certains retournent chez eux pour effacer ce souvenir douloureux ;
tandis que d'autres, une fois rentrés, ont besoin d'effectuer un autre
voyage vers l'ailleurs pour pouvoir panser leurs plaies. Ce cas de figure est
généralement observable chez les personnages qui ont
éprouvé un énorme choc psychologique dans le lieu
d'accueil.
Antoine a beaucoup souffert lors de ses passages au
Mboasu, le pays de sa mère. Ces voyages qu'il assimilait au rejet de la
part de sa mère ont eu des répercussions sur lui d'un point de
vue psychologique. Lorsqu'il retourne dans son pays natal, il ressent en lui
une sorte de vide, un manque à combler. Lorsqu'il décide de
repartir plus tard rendre visite à son frère devenu malade, ce
nouveau départ a des allures de thérapie. Antoine sent qu'il doit
guérir de quelque chose qu'il ne sait pas encore. Il a des plaies dans
l'âme, causées par ce qu'il prend pour le rejet de sa mère
et qui s'est matérialisé par des vacances au Mboasu. Ses
retrouvailles avec le vieux Masoma, Maxime, « nourrisson
piégé dans un corps d'adulte » (CAC : 271), la
découverte de la photo de Modi chez le vieux, sont entre autres des
éléments qui permettent à Antoine de panser les plaies du
passé. En même temps, il ressent de la satisfaction d'avoir fait
la lumière sur un certain nombre de choses. Le narrateur nous dit que
c'était ce jour-là, celui de la découverte de la photo,
qu' « Antoine avait véritablement commencé à
dépasser les blessures du passé pour se tourner enfin vers les
jours à venir » (CAC : 277).
Son retour dans cet ailleurs est donc le moyen pour
lui de guérir des plaies du passé. Jende de son côté
est convaincu que « le pays natal reste le pays natal » quoi qu'on
dise et quoi qu'on fasse. Lorsque, parlant de leur pays, il dit à son
cousin : « c'est notre gouvernement et c'est notre pays. Nous l'aimons,
nous le détestons, mais c'est toujours notre pays » (VVR :
418), il manifeste une volonté de garder la tête haute afin de
sortir de cet endroit qui a été un enfer. Se rassurer qu'il faut
préférer son pays malgré tout et au-delà de tout,
lui permet de guérir des douleurs du passé ; car il a pris la
bonne décision, qu'il ne
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regrettera pas. Le « bienvenue eh, [qu'il se dit
à lui-même] tandis que les lumières de sa ville
apparaissent au loin » (Ibid.) témoigne
de cette paix intérieure qu'il a enfin retrouvé, preuve que
désormais, tout est derrière lui. De même, lorsqu'il
demande à son fils de deviner où ils sont et que ce dernier
réponde « à la maison ? », on peut y lire cette joie,
cette fierté retrouvée dans la famille. Le mot « maison
» que son fils utilise ici a une charge émotionnelle significative.
Il ne s'agit pas seulement de la maison, mais de la seule vraie
maison.
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