II.2. Une volonté de s'affirmer
Le désir du retour qui anime plusieurs
personnages du corpus est certes le résultat d'un sentiment
d'exaspération, mais encore et surtout celui d'une réelle
volonté de s'affirmer, de reconquérir une dignité perdue
et bafouée.
II.2.1 L'expression d'un leadership
Étant donné que l'Occident n'est pas le
lieu de réalisation des rêves tel que l'ont compris les
personnages du corpus, ceux-ci se retrouvent le plus souvent sous la
dépendance des amis ou des frères. Cette situation est
inconfortable, toute chose qui les pousse à vouloir prendre les choses
en main en rentrant à la case départ. Maxime et Jende sont deux
personnages qui voient en le retour un moyen de s'assumer, de se
libérer. En Occident, ces deux personnages sont, chacun à sa
manière, dépendant d'un ami ou d'un frère. De Maxime, le
narrateur nous fait savoir qu'
Il avait passé des années au sein de la
banque, protégé par le directeur général en
personne, qui avait conservé son secret plus qu'un frère ne
l'aurait fait. Ce jour-là, Édouard lui avait dit : `je crois
effectivement que nous manquerions de bon sens si nous décidions de nous
passer de vous.' Il avait ajouté `et j'aime que vous ne veniez pas
larmoyer pour essayer de me donner mauvaise conscience, comme les subsahariens
savent bien le faire.' Là-dessus, ils étaient d'accord. Max
n'était pas du genre à vouloir qu'on s'apitoie sur son sort
(CAC : 53-54)
Ces propos mettent en exergue deux faits. Nous
remarquons que Max est un protégé d'Édouard, et qu'il
n'apprécie pas cette position dans laquelle il a besoin d'un coup de
main
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de temps en temps. Mais on remarque aussi qu'il
nourrit le désir d'être le sujet par qui toutes les
décisions qui engagent sa vie passent. Son désir de retourner se
lit ici telle une volonté de s'affirmer, une volonté de se
prendre en charge sans avoir besoin d'une aide quelconque. La
réalisation de ce désir est difficile dans cet endroit, or son
pays natal l'attend à bras ouverts.
De même, Jende est fatigué de devoir
compter sur son cousin Winston. Sa vie en Amérique est tumultueuse, et
son cousin lui est venu en aide à plusieurs reprises. L'annonce de son
licenciement par son patron Edwards constitue le début de la crise qui
l'attend : « Je suis profondément désolé Jende,
dit-il, mais je vais devoir me séparer de vous » (VVR
: 277). Rappelons que ce boulot qu'il est en train de perdre,
c'est son cousin qui le lui avait trouvé. Il en a assez fait pour lui,
et Jende lui en est reconnaissant :
Si l'argent commence à manquer, si l'un de nous
tombe malade, alors qui va nous aider ? Winston va devenir père de
famille. Il va se marier, avoir d'autres enfants. Ses petites soeurs vont avoir
leur diplôme à l'université de Buea l'année
prochaine, et Winston devra les faire venir ici. Winston ne sera plus là
pour nous sauver. Et même s'il était, je suis un homme ! Je ne
peux pas continuer à attendre que mon cousin me vienne en aide à
chaque fois (VVR : 345).
Jende comprend que l'avenir s'annonce très
sombre. Son cousin sur qui il a toujours compté ne sera plus là.
Il se rappelle qu'il est un homme. Et en tant que tel, il doit pouvoir conduire
sa propre vie, gérer ses problèmes sans attendre l'aide de
quiconque. Il assume néanmoins ce statut dans les débuts car,
lorsque sa femme a voulu reprendre son service dans une maison de santé,
il s'y est opposé fermement. Pour lui, « sa femme devait rester
à la maison [encore qu'elle était enceinte]. Il était
l'homme ; c'était à lui de prendre soin d'elle »
(VVR : 285). Seulement, il se rend compte que pour
assumer pendant longtemps sa qualité d'homme capable qu'il revendique,
l'Amérique n'est pas le cadre idéal. Il faut penser à
rentrer au Cameroun. Cette volonté est donc l'expression d'un
leadership, un moyen de de prendre les choses en main, de
s'affranchir.
Tout comme lui, Neni rêve de s'affranchir. Sauf
qu'à l'inverse de son mari, elle veut plutôt s'affranchir du lourd
fardeau qui pèse sur les épaules de l'immigré clandestin.
Elle est prête à tout oser pour enfin devenir, elle aussi,
maitresse de la situation. Les arrangements immoraux auxquels elle est
prête à se soumettre (divorcer de son époux, contracter un
mariage blanc et se remarier avec son époux) ne veulent pas dire qu'elle
n'aime pas son époux. Tout au contraire, c'est l'expression même
d'un amour profond. Elle veut trouver un moyen de les libérer de la
clandestinité, d'être celle par qui ce salut passe.
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