I.1.3 Les batailles de l'immigré
Il arrive bien un moment où l'immigré se
doit de prendre son destin en main. À ce niveau, la
réalité rattrape le plus souvent de nombreux immigrés. Ils
comprennent que la réalité est tout autre. Elle est loin
d'être celle-là qu'ils se sont fabriquée. Ils sont ici
à l'image d'un enfant qui, au jour le jour, lorsqu'on le tient par la
main, marque des pas avec assurance et fierté, mais une fois la main
lâchée, reste debout, hésitant. Deux options sont
envisageables dans ce cas : soit il avance, soit il retombe. Maxime n'est
jamais tombé.
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En effet, Maxime n'a pas connu de « moment de
galère » durant tout son séjour en France. De son
arrivée à son départ, il s'est toujours tiré
d'affaire. Il a eu un séjour respectable. Cela ne fait pas pour autant
de lui un modèle d'immigration réussie. La réussite de son
séjour trouve son sens dans les motifs de son départ. La
réussite et l'échec d'un immigré dépendent de ses
représentations de sa terre d'accueil, mais aussi et surtout des
motivations qui les accompagnent. Ces motivations liées au départ
de l'immigré de sa terre d'origine, nous les avons opposées plus
haut, pour ce qui était des cas de Maxime et du couple Jende. Ce couple
n'aura pas les chances de réussite égales à celles de
Maxime. Dès que Jende perd son boulot de chauffeur, le couple se
retrouve confronté à la dure réalité de l'Occident
avec son lot de tracas : « M. Jones, patron de la société de
taxis, n'avait pas de taxi pour lui » (VVR :
283). En revanche, son ardeur et sa détermination lui permettront de
trouver « une place de plongeur dans deux restaurants »
(VVR : 284).
Le bonheur connu au départ cède place
peu à peu à la souffrance sous toutes ses formes. Le couple Jende
prend un coup véritable sur le plan économique. Leur niveau de
vie doit baisser considérablement. Il doit fournir davantage d'efforts
s'il veut le maintenir. Les efforts, Jende en fait car « il partait avant
que Liomi ne soit réveillé et rentrait lorsqu'il était
déjà couché. Pour toutes ces heures de travail, il gagnait
moins de la moitié de ce que rapportait son travail pour Clark Edward
» (Ibid.). C'est dans des moments de souffrance
que l'immigré réalise qu'il existe deux mondes. L'un est celui
qu'il s'est construit et dans lequel il rêvait de vivre, l'autre
correspond à la réalité pure, loin du rêve. Si la
situation précaire de Thamar peut susciter de la pitié au regard
de la vie de rêve qu'elle a menée avec son amant et de ce qu'elle
se retrouve aujourd'hui loin, très loin de son niveau de vie d'antan,
cela l'est davantage pour Jende. Son niveau de vie, au fil du temps,
s'améliorait peu à peu jusqu'à ce qu'il se retrouve sans
ce travail de chauffeur auprès d'Edwards. Avec sa famille qui s'est
agrandie, la situation devient davantage préoccupante. Jende
réalise que
La chute [est] dégradante. Avoir porté
un costume, être parti avec une mallette tous les jours, être
allé devant les lieux importants, tout ça pour se retrouver
à jeter des restes et mettre des assiettes au lave-vaisselle. Avoir
roulé en Lexus, emmené des Directeurs à leurs
réunions, tout ça pour rester planté debout dans un coin
à astiquer les couverts. Avoir disposé d'heures d'attentes
entières dans la voiture [...] tout ça pour disposer de quinze
minutes de pause ici et là » (VVR :
284-285).
Telle est la nouvelle vie de Jende.
Misère, aisance, bonheur-misère,
voilà à quoi se résume la vie de nos personnages, du point
de vue socioéconomique en situation d'immigration. Il a
été établi qu'il s'avère difficile
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pour les immigrés de vivre une situation
d'épanouissement total sur les plans sus-cités. L'aspiration au
bonheur et à une aisance matérielle ne se concrétisent pas
toujours. Thamar, Maxime et le couple Jende en sont des illustrations. Thamar
semble être celle qui a le plus souffert parmi les trois. Le
décès de son amant avec tout ce que cela a eu comme implication,
associé à son rejet par son propre fils, constitue un
véritable fardeau pour elle. Le couple Jende quant à lui, n'a
également pas atteint ses objectifs ; « leur budget-nourriture
réduit de deux tiers » (VVR : 306) montre le changement
qui s'est opéré dans leur vie. Leur situation est, elle aussi,
déplorable et inquiétante.
Maxime est celui qui se tire le mieux d'affaire Il est
une sorte de pont entre les deux cas. Le bonheur, on ne saurait dire qu'il l'a
connu car, en réalité, ce n'est pas ce qu'il est venu chercher.
La misère matérielle, il ne l'a non plus connue. Cela nous
amène une fois de plus à dire que la situation
socioéconomique d'un immigré dépend en partie des
motivations de son départ. Le pays d'accueil étant le plus
souvent représenté de façon chimérique, il se
trouve que de nombreux immigrés deviennent victimes de leurs illusions,
et cela s'observe à plusieurs niveaux.
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