II.1. Un sentiment d'exaspération
S'il y a une volonté affirmée de la part
des immigrés de rompre le lien avec la terre d'accueil, c'est parce que
ceux-ci en ont marre de pratiques dont ils sont victimes au
quotidien.
II.1.1. La volonté des immigrés de
défaire le noeud des abus
Dans Ces âmes chagrines,
Valentine et Staff manifestent leur ras-le-bol vis-à-vis de
la situation de ce dernier. En effet, Antoine prêtait sa carte à
Staff et en tirait d'énormes profits. Fatigué de vivre dans ces
conditions, Staff et sa fiancée sont décidés à y
mettre un terme. Et la rupture passe par le retour chez soi pour
Staff.
Analysant le parcours de l'immigré, Flora
Amabiamina nous renseigne que « l'avant dernière étape du
parcours des immigrés qui choisissent le retour chez soi, est la prise
de conscience d'un autre manque, le pays perdu, la fierté de s'en
réclamer » (2017 :210). La situation de Staff confirme cette
affirmation. Ce personnage réalise qu'il ne peut plus continuer à
vivre dans un espace où il est pratiquement réduit à
l'esclavage, condamné à être utilisé par les autres.
Plusieurs immigrés se retrouvent régulièrement dans la
situation de Moustapha, c'est-à-dire faire appel à des personnes
en règle pour pouvoir travailler. S'il est vrai que l'apport de ces
personnes peut être perçu comme une aide, la nature de celle-ci
reste tout de même à interroger ; car ces personnes les utilisent,
se font de l'argent sur leur dos sans le moindre effort. Valentine connait
très bien ces pratiques. Le narrateur nous fait savoir que :
Autrefois, elle avait connu un homme vivant uniquement
de ce que lui rapportait la location de son titre de séjour à des
sans-papiers. C'était facile, puisqu'on prétendait encore que les
Noirs se ressemblaient, qu'on ne prenait pas la peine de les regarder, de les
connaître en tant que personnes (CAC :
107-108)
Les immigrés victimes de ces pratiques
repensent à leur pays d'origine et se demandent s'il n'y a pas mieux
pour eux. Le désir du retour qui survient à cet instant
résulte d'un véritable sentiment d'exaspération que les
coups-bas au quotidien suscitent chez les immigrés.
Si la manifestation de ce sentiment a des allures de
rupture avec les personnages de Ces âmes
chagrines, l'on observe plutôt une forme de désespoir
chez ceux de Voici venir les rêveurs,
désespoir quant à la possibilité des
lendemains meilleurs. Tout semble s'écrouler. L'avenir est de plus en
plus incertain pour Jende. D'abord, « il se trouvait que M. Jones, patron
de la société de taxi, n'avait pas de travail pour lui »
(VVR: 283) ; sans travail, Jende est conscient de ce
que les jours à venir seront très difficiles. Il commence
à réaliser que « le
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rêve appartient au monde chimérique et
que la réalité est bien plus âpre et moins
légère » (Amabiamina, Op.cit. : 207) Cela se confirme
à travers la conversation qu'il a avec son épouse un soir
:
- Il nous reste encore des économies, dit-elle
en posant une main sur ses cuisses
- Et quoi ? [rétorqua-t-il]
- Et quoi ? il ne faut pas trop nous inquiéter, eh
?
- Oui, dit-il en se levant. On s'inquiétera
quand tout l'argent sera parti. (VVR :
283)
La réaction de Jende, qui se lève,
combinée à ses propos, traduit son désespoir. Il sait que
sans travail, sans sources de revenus, leurs économies ne tiendront pas
assez longtemps. Leur avenir dans ce pays est plus qu'incertain, les jours
à venir n'augurant rien de positif. Toutefois, sa résignation
n'est pas immédiate. Il entreprend plusieurs activités dans le
but de retrouver leur niveau de vie d'antan. Cela faisait en sorte qu' «
il partait avant que Liomi ne soit réveillé et rentrait lorsqu'il
était couché » (Ibid.). Le moins
que l'on puisse dire c'est que « la chute était dégradante
» (Ibid.). Tout cela suscite son courroux et le
pousse à envisager le retour dans son pays natal.
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