I.2.3. Du point de vue administratif
Beaucoup d'immigrés sont
généralement en situation irrégulière. Cela fait en
sorte qu'ils vivent très souvent avec la peur de se faire arrêter
et de se voir expulser. Pour certains, tous les moyens sont bons du moment
où ils peuvent les conduire à rester. D'autres par contre devant
l'adversité, capitulent. À cet instant, le retour s'apparente
à une libération, une volonté
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de s'affranchir de cette peur de se voir un jour
expulser. Maxime, par exemple, n'a pas d'existence officielle. Il vit à
travers son frère, travaille sous son identité. Sa volonté
de rentrer au Mboasu est une tentative de renouer avec une véritable
existence et s'inscrit dans un projet tel qu'il l'explique à son
frère : « Je pourrais revenir au Nord, fort de cette
expérience. Probablement ailleurs qu'en Hexagone. Peut-être en
Albion ou en Helvétie. Je demeurerai au sein du groupe en tant que
Maxime Kingue» (CAC : 62) Et son frère ne
peut que lui exprimer sa joie, malgré lui, de le savoir « libre
» après tant d'années passées « sans existence
officielle ». Maxime montre par là qu'il n'est pas fermé
à un éventuel retour en Hexagone. Seulement, il est d'abord
impératif pour lui de repartir sur la terre qui l'a vu naître.
S'en aller de l'Hexagone est ainsi un moyen de libération. L'Occident
est donc liberticide, par opposition au pays natal qui est le lieu où
les dommages causés vont être réparés.
Parlant de dommages, l'Amérique en a tellement
causés à Jende. Il n'a pas pu assister aux obsèques de son
père. Dans la culture africaine, ne pas pouvoir accompagner son
père à sa dernière demeure est quelque chose
d'inacceptable dont le souvenir vous hante pendant longtemps. Il n'a pas pu
prendre part à ces obsèques parce que sa situation administrative
ne le lui permettait pas. Il a conscience de ces dommages et ses pleurs en
témoignent :
Papa, oh, papa, pleura-t-il, pourquoi ne m'as-tu pas
donné une dernière chance de te revoir ? Eh, papa, comment as-tu
pu me faire ça ? Son nez, ses yeux, sa bouche crachaient des fluides de
toutes parts. Pourquoi ne m'as-tu pas attendu, papa ? Eh ? Pourquoi m'avoir
fait ça ? (VVR : 336)
Jende est doublement choqué. D'abord par le
décès de son père, ensuite par la douleur de savoir qu'il
ne le verra pas une dernière fois. Tout cela nourrit son envie de
retourner dans son pays ; ce retour qui a cette fois-ci des allures de
libération.
II. Le refus de l'esclavage et la redéfinition de
l'eldorado
Le sentiment du retour qui anime les immigrés
à un moment de leur parcours naît aussi de ce que ceux-ci vivent
le martyr en terre d'accueil. Ils sont esclaves au quotidien d'une
société qui leur crie son rejet et son mépris. D'autre
n'en peuvent plus, et veulent se libérer de cet enfer. À ce
moment, surgit en eux un réel questionnement sur la perception de
l'eldorado. Le pays rêvé qui connotait le bonheur et la fin des
souffrances commence à prendre une autre coloration. Ces immigrés
se rendent comptent que ce lieu n'est pas le paradis tel qu'ils le croyaient,
et que ce paradis qu'ils recherchent se trouve peut-être ailleurs, chez
eux-mêmes. La décision du retour découle de
l'exaspération, et se mue en une volonté de
s'affirmer.
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