I.2. La volonté de s'affranchir
Avant son départ pour le pays
rêvé, l'immigré voit en celui-ci le lieu de tous les
bonheurs. Une fois sur place, par expérience, il devient de plus en plus
convaincu qu'il s'était fait une représentation erronée de
ce lieu. Il naît donc à ce moment une volonté de revenir
sur ses pas. Ce retour qui « n'est pas obligatoirement perçu comme
unique solution d'autant qu'il est teinté d'appréhension »
(Thioye, 2005 : 49), se perçoit dès lors telle une tentative de
s'affranchir sur plusieurs plans, notamment social, personnel et
administratif.
I.2.1 Du point de vue social
D'un personnage immigré à un autre, la
volonté de retourner au pays natal n'est pas motivée par les
mêmes facteurs. Cela renforce l'idée selon laquelle la
construction du retour est une quête individuelle. Étant
donné que les personnages, même s'ils émigrent parfois en
clan, ont des personnalités différentes, il va de soi que leurs
réactions face aux épreuves endurées ne sont pas
semblables. De ce fait, la perception du retour, elle aussi, ne saurait
être identique. Nous l'avons vu plus haut avec Jende et Neni qui sont
pourtant mariés et vivent sous le même toit, mais ont des
appréhensions antagonistes du retour. Pour certains, ce dernier
s'inscrit dans une démarche d'affranchissement. Ils veulent s'affranchir
de cette société qui leur a longtemps fait comprendre qu'ils sont
des étrangers et qu'ils ne sont pas les bienvenus. Étant
donné que la terre natale est un acquis, ces immigrés estiment
qu'il serait préférable de renouer avec elle. Par cette occasion,
ils s'affranchissent de cette société aux codes rigides. Maxime a
compris cela et, une fois que le contrat qu'il s'est fixé en France est
rempli, il entreprend de repartir au Mboasu. Il est convaincu que cet espace
lui offrira ce que d'aucuns
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tiennent pour un paradis n'a jamais su lui offrir. Le
narrateur nous confie que « Sa vie allait radicalement changer et, tout
à coup, il se demandait comment il avait tenu [...] il avait
travaillé au noir pour s'acquitter de son loyer, Colette, sa logeuse,
n'avait voulu voir que sa carte d'étudiant, au moment de l'accueillir
chez elle » (CAC : 88). Maxime est ainsi surpris
de savoir qu'il a pu s'en sortir dans cette société. Il a
été obligé de « travailler au noir », à
la merci de ses employeurs. En rentrant au Mboasu, il met un terme à
cette vie compliquée. Comment peut-on être heureux si l'on ne peut
même pas travailler en bénéficiant de conditions idoines
(être reconnu par l'administration pour pouvoir jouir de sa retraite,
être affilié pour avoir une sécurité sociale). Il
sait qu'il ne sera jamais à l'aise dans cette société. Il
y a donc clairement une volonté de s'affranchir qui se dégage de
ses propos.
Jende va plus loin en traitant ce pays de « pays
de mensonges » (VVR : 369), un véritable
cimetière de vérités duquel il faut se libérer. Une
conversation entre Jende et son épouse au sujet du retour est
très édifiante de ce point de vue :
- On rentre au pays, lui disait-il, et c'est
tout.
- « Comment tu peux nous faire ça ?
», répondait-elle d'une voix haut perchée.
- « comment tu peux être
égoïste à ce point ?», parlait-elle pendant qu'il
mangeait. Il repoussait son assiette et éclatait de colère, la
blâmant d'avoir cru que l'Amérique était le meilleur pays
du monde. Je t'explique, lui disait-il en la prenant de haut,
l'Amérique, ce n'est pas ça du tout. C'est un pays pleins de
mensonges et des gens qui aiment entendre des mensonges [...] ce pays n'a plus
de place pour des gens comme nous. Moi je ne vais pas passer ma vie à
espérer devenir soudain heureux par l'opération du Saint-Esprit.
Je refuse ça. (Ibid.)
On voit là que Jende oppose deux
réalités : la vérité et le mensonge. Il se situe du
côté de la vérité, c'est-à-dire de la
réalité palpable. Il associe l'Amérique à la
tromperie et au marchand d'illusions. Or, les deux réalités sont
inconciliables. De ce fait, vouloir y rester en tant qu'homme de
vérité est une entreprise risquée. Il faut donc
s'affranchir, et cela passe inéluctablement par le retour aux
sources.
On remarque tant chez Jende et Maxime que la
réalité sociale est dure. Si les deux ne la décrivent pas
de la même façon, il reste que tous deux nourrissent une
volonté réelle et affirmée de se libérer de cette
société, de retourner au pays natal où, selon eux, tout
est encore vrai et ils pourront être heureux à tous les niveaux ;
car ce n'est pas uniquement sur le plan social qu'ils veulent
s'affranchir.
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