I.1.3 La nostalgie du bercail
39 L'expression est de Nug
Bissohong Thomas Théophile dans son livre intitulé
L'hymne national du Cameroun : un poème-chant à
décolonialiser et à réécrire,
Yaoundé, Clé, 2007.
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Au bout de quelques années passées loin
de leurs terres d'origine, beaucoup d'immigrés commencent à
ressentir un manque. Il naît en eux une envie pressante de renouer avec
le terroir. Cette envie se nourrit entre autres du souvenir des moments
passés dans le pays natal. Si ces souvenirs sont assez forts pour
susciter une envie d'y retourner, c'est parce que l'amour pour le pays se
manifeste de plus en plus. En réalité, le pays d'accueil dispose
de plaisirs à contempler, lesquels pourraient empêcher de se
souvenir de la terre natale. Malgré cela, l'envie de retourner dans ce
dernier surgit car son souvenir prend le dessus. Dans sa conversation avec
Neni, Fatou lui avoue sa tristesse de ne pouvoir être chez elle
:
Si seulement je pouvais rentrer dans mon village, je
construirais une maison pour moi, près de celle de mon père et de
ma mère. Là, je peux vivre tranquille et mourir tranquille. Si
seulement je pouvais rentrer très bientôt. (VVR
: 394)
Fatou désire repartir en Guinée mais ne
peut malheureusement pas le faire à cause de son mari Ousmane qui ne
veut pas en entendre parler. Pour elle, son pays est le seul lieu où
elle peut « vivre tranquillement » et « mourir tranquillement
». Il est important de noter que, à la différence des Jonga,
la vie de Fatou et Ousmane n'est pas assez tumultueuse. Et si malgré
cela, elle souhaite repartir chez elle après tant d'années
passée aux USA, c'est par amour pour son pays d'origine, dont elle pense
qu'il est le meilleur gage de protection et de paix de l'âme.
Jende lui aussi désire retourner et est
prêt pour ce faire. Penser à la possibilité de revoir son
Limbé, cette terre qu'il a longtemps associée tous les maux, le
rend fier. Il réalise enfin, avec du recul, que c'est le meilleur
endroit où vivre :
En toute vérité monsieur [dit-il
à son patron], mon corps est encore ici, mais mon âme est
déjà rentrée. Je suis venu en Amérique pour fuir la
vie dure, oui, et je ne voulais pas rentrer [...] mais quand j'ai compris que
je devais partir, je me suis senti heureux en pensant à chez moi,
monsieur. L'Amérique va me manquer, mais je serai content de vivre
à nouveau dans mon pays. [...] Je me vois déjà dans les
rues de Limbé avec mes amis, boire avec eux et emmener mon fils au stade
là-bas (VVR : 411)
Il convient de relever qu'à chaque propos de
Jende relatif à sa volonté de rentrer dans son pays, il se
dégage une comparaison entre son Limbé natal et
l'Amérique. Et si à chaque fois le choix porte le premier, c'est
par amour et par conviction. Cette perception du retour est la même chez
Antoine, même si on peut déceler un écart dans la
manifestation de l'envie de repartir. Revenu au Mboasu pour un court
séjour, avant le décès de sa mère, Antoine
n'hésite pas à rentrer quelques temps après dans son pays
natal, la France. Si avec Jende on a pu observer, dans la comparaison des deux
espaces, une volonté de mesurer la gravité de sa
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décision, la réalité est tout
autre pour Antoine. Pour lui, le Mboasu n'est rien, comparé à son
pays natal qu'il aime et n'a même jamais envisager de quitter. Cet
écart avec le cas de Jende peut s'expliquer tant par les motifs de leur
départ que par le séjour en terre d'accueil. Jende et son
épouse sont arrivés en Amérique dans le but de fuir la
misère de Limbé. Ils y sont venus dans l'espoir de faire fortune,
et leur vie en Amérique n'a pas toujours été
misérable. Cela n'a jamais été le cas pour Antoine. Ses
passages au Mboasu sont contraints ; ce Mboasu a toujours été
pour lui un enfer. Dès lors, il est évident que son pays natal
soit le seul pour lequel il éprouve amour et fierté. Les Jende
doivent quelque chose, malgré tout, à l'Amérique, raison
pour laquelle leur perception du retour n'est pas tout à fait radicale
à l'instar de celle d'Antoine. Toutefois, au-delà du fait que la
décision du retour témoigne de l'expression d'un patriotisme
affirmé, elle se veut également une volonté des
immigrés de s'affranchir.
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