I. Le retour : entre patriotisme et affranchissement
Face aux conditions de vie difficiles en terre
d'accueil, les immigrés se résignent à tenter le tout pour
le tout dans le but de séjourner dans ce pays qui leur crie son rejet au
quotidien. Leur décision de revenir sur leurs pas se perçoit
alors telle une volonté de revendiquer l'appartenance à une
patrie d'une part, et de s'affranchir des contraintes de cette
société, d'autre part. En gros, leur décision de retourner
se veut à la fois un acte patriotique et courageux.
I.1 L'esprit patriotique
Les personnages décrits dans le corpus de notre
étude voient en le retour une solution à un moment donné
de leur expérience émigrative. Choisir de rentrer chez soi alors
que d'autres options étaient envisageables traduit, dès lors, une
volonté de leur part de faire valoir une patrie. S'ils sont quelques
fois convaincus que leur pays ne leur offre pas toutes les garanties d'un
avenir meilleur, ils préfèrent tout de même y repartir pour
se battre aux côtés des leurs.
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I.1.1 Faire valoir une appartenance : décrier
l'antipatriotisme
Face au retour, nombreux sont ces immigrés qui
ne se montrent pas enthousiastes. Ils continuent de tout tenter pour rester
dans ce pays d'accueil qui, lui, ne veut pas d'eux. Face à cette
attitude, les personnages ayant gardé leur amour de la patrie
éprouvent de la gêne ; car pour eux, la patrie représente
encore quelque chose de fort, vers lequel on doit pouvoir se tourner quand tout
ne va pas pour le mieux. Maxime par exemple, dans Ces âmes
chagrines, est choqué de constater que certains personnages
sont malheureux à l'idée de devoir retourner dans leur pays.
Cette attitude manifestée par ses "frères" lui paraît
totalement absurde. Pour lui, il n'y a pas meilleur endroit que chez soi. Le
narrateur nous informe que :
parfois, lorsqu'il [Maxime] voyait des sans-papiers
manifester à grand renfort de tambours et de chants, lutter pour ne pas
être embarqués de force dans des avions qui leur aurait simplement
ramenés vers leur pays natal, il trouvait qu'ils exagéraient,
manquaient de dignité. On ne pouvait pas se comporter ainsi lorsqu'on
allait être reconduit vers la terre de ses pères.
(CAC, 51-52)
On constate, à travers cet extrait, que Maxime
est contre l'idée d'un non-retour au pays des ancêtres. Pour lui,
accepter de rentrer chez soi revient à faire preuve de courage, de
dignité et de patriotisme. On remarque que ces personnes que Maxime
plaint ne sont plus face à une alternative. Ils font partie de ceux qui
refusent de retourner volontairement et qui se trouvent actuellement sur le
point d'être expulsés. On a ici à deux catégories de
personnages : ceux pour qui le retour est la dernière option
envisageable, quand bien même elle serait envisagée ; et ceux pour
qui le retour est une preuve de dignité et de courage. Maxime appartient
à cette deuxième catégorie, raison pour laquelle il
s'insurge contre l'attitude des autres.
Cette divergence d'opinions face à la question
du retour a parfois tendance à être justifiée par les
motifs du départ. En général, les personnages qui
préfèrent se faire expulser plutôt que de repartir en toute
dignité, sont arrivés en Occident dans le but de faire fortune,
de fuir la misère du pays natal. Maxime, justement, ne fait pas partie
de ces personnages. Son séjour en Hexagone a deux intentions principales
: poursuivre ses études et retrouver sa mère. Au regard de cet
exemple, on pourrait être tenté d'affirmer que la posture
vis-à-vis du retour est étroitement liée à la
condition du départ. Or, des éléments de
Voici venir les rêveurs remettent en cause cet
argument, car on y trouve des personnages débarqués en Occident
dans le but de faire fortune mais qui n'acceptent pas de s'humilier. Face
à l'adversité, ils se souviennent d'avoir eux aussi une patrie.
Alors, il n'est nullement question de se faire
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expulser, de manquer de dignité. Dans sa
conversation avec son épouse, laquelle préfère l'expulsion
au retour volontaire au pays, Jende lui dit :
Tu crois que je n'ai pas envie de rester en
Amérique, moi aussi ? Tu crois que je suis venu ici pour repartir ? Je
fais le serviteur toute la journée pour des gens [...] je m'abaisse bien
plus bas que le feraient la plupart des hommes. Tu crois que je fais tout
ça pourquoi ? Pour toi, pour moi. Parce que je veux rester dans ce pays
! Mais s'ils me disent qu'ils ne veulent plus de nous ici, tu crois que je vais
continuer à les supplier pendant tout le reste de ma vie ? Tu crois que
je vais aller dormir dans une église ? Jamais. Même pas une fois.
Va coucher par terre dans ton église, tant que tu le voudras. Le jour
où c'en sera assez pour toi, tu viendras nous rejoindre, moi et les
enfants, à Limbé. Ma parole ! (VVR : 255)
Ces propos mettent en lumière deux
caractéristiques propres à Jende. Sa détermination, d'une
part à réussir dans cet univers, ce pays qui refuse d'être
le sien ; d'autre part, cette même détermination à rompre
avec les servitudes auxquelles le pays le soumet. S'il était
décidé à rester en Amérique afin de réaliser
ses rêves, il est désormais question de montrer à cette
Amérique qu'il a un pays qui ne le rejettera jamais et sera toujours
là à l'attendre au-delà de tout. Voilà pourquoi
Jende est surpris voire gêné par l'attitude de son épouse.
Celle-ci ne veut pas entendre parler de retour, et est prête à
tout pour rester aux USA. Toutefois, des propos de Jende, on sent une sorte de
déception due au fait de n'avoir pu atteindre ses objectifs. Son sens de
la patrie prend le dessus. Il réalise qu'il vaut mieux supporter
certaines épreuves chez soi qu'ailleurs. Il est remonté, et veut
montrer que lui aussi a un "chez lui".
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