III.2.3 Modalités de mise en oeuvre
Il faut partir de l'hypothèse que tous les
hommes sont différents aussi bien du point de vue des habitudes, des
attitudes que des actions. On ne peut mieux cerner les contours d'une personne
ou d'un groupe qu'en étudiant sa culture en contexte. Partant de ce
postulat, nous posons que l'immigré, lorsqu'il va à la rencontre
de l'autre, ce dernier lui échappant le plus souvent sur tous les plans,
il doit chercher à mieux le comprendre s'il veut avoir une vie
réussie dans ce milieu. Or le problème justement est que
l'altérité est souvent pensée relativement à soi.
On se prend parfois pour la mesure et on veut juger et cerner l'autre en
relation à un arrière-plan culturel, le nôtre. Être
un mutant culturel suppose ici se fondre dans un processus reposant sur trois
étapes. D'abord, il faut se libérer de son background culturel et
se poser tel un être nouveau, à l'image d'un enfant venant de
naître et pouvant être déporté dans n'importe quel
milieu de l'univers. Cette opération est difficile car il y a des choses
qui
37 J'emprunte cette expression à Flora
Amabiamina qui, lors d'un de nos échanges, a parlé de «
mutant » pour désigner cette tendance pour des sujets à
adapter leurs être et agir en fonction des circonstances. Toutefois, je
lui donne une nouvelle orientation.
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nous sont propres et dont il est quasiment impossible
de se débarrasser. Ensuite, il faut accepter d'apprendre. Cela veut dire
chercher à intérioriser les pratiques et modes de vie de son
nouveau milieu. Ainsi, l'immigré se construit et devient le produit de
ce milieu. Enfin, il faut savoir se détacher des pratiques et
enseignements appris. Cet aspect est lié au second et permet à
l'immigré de recommencer le processus une fois qu'il se retrouverait
dans un autre milieu. De cette manière, le séjour en terre
d'accueil ne sera plus un fardeau pour l'immigré, étant entendu
qu'il sera en phase avec cette terre. Et à partir du moment où
l'immigré sera totalement en phase avec le lieu d'accueil, qu'il accepte
d'apprendre de ce pays et de l'aimer durant son séjour, de ne pas le
juger et de ne pas à le comparer, son séjour pourra être un
long fleuve tranquille.
Dans ce chapitre, nous nous sommes
intéressé aux questions de culture et d'identité qui
constituent une sorte de piège pour l'immigré et l'empêche
de se sentir, ailleurs, totalement chez lui. En effet, il a été
établi que l'immigré reste et demeure un être en
quête permanente de repères. Cela participe à construire en
lui, de façon inéluctable, le sentiment du retour au pays natal.
On ne saurait cependant s'empêcher de se poser la question de savoir
quels mécanismes rentrent en jeu dans cette volonté de retourner
au pays natal, quels en sont les contraintes et les enjeux ? Telles sont, entre
autres, des pistes explorées dans la partie suivante.
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DEUXIÈME PARTIE :
RETOUR ET PERSPECTIVES : CONTRAINTES, VISION ET
ENJEUX
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La vision des épigones de la négritude
par laquelle le héros envisageait le retour au pays natal parce que le
séjour en Occident était temporaire, a tendance à
être remise en question voire dépassée dans la
littérature contemporaine de l'immigration ; car, depuis les
écrivains de la migritude, l'idée de mise est que la
finalité du départ exclut tout retour possible. Dans cette
partie, nous voulons questionner - ou mieux -, proposer une relecture des
retours dans les romans contemporains de l'immigration. Nombreux sont ces
romans nous présentant une toute autre lecture du
phénomène du retour. Dans le corpus de cette étude, on
observe des personnages qui, à un moment donné de leur
expérience émigrative, choisissent volontairement38 de
retourner au pays natal. Toutefois, ce choix ne s'opère pas de
façon hasardeuse. Il y a tout un processus déployé par les
personnages, résultat d'un profond questionnement et d'une remise en
cause permanente. De ce fait, l'immigration telle que décrite par les
auteurs du corpus rompt avec la conception traditionnelle. Ce
phénomène cesse d'être un refuge pour des personnes aux
abois, et se positionne telle une ouverture au monde. Cette partie compte deux
chapitres. Le premier analyse la manière dont la décision des
personnages immigrés de retourner au pays natal s'opère ; les
contraintes et enjeux y afférents. Le deuxième chapitre se
positionne en une sorte de relecture des phénomènes migratoires,
relecture proposée par les auteurs du corpus de notre
étude.
38 Nous utilisons ce mot
à dessein car s'il est vrai que la « volonté »
observée dans leur décision peut être questionnée,
il reste que leur choix est le résulte d'une volonté personnelle,
au-delà de tout.
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CHAPITRE 3
LES PROCESSUS DE CONSTRUCTION DU RETOUR :
VOLONTE, CONTRAINTES ET ENJEUX
À un moment donné du parcours de
l'immigré, la question du retour finit toujours par apparaître.
Celle-ci peut être le fruit des travers subis par l'immigré en
terre d'accueil. En effet, lorsque cette expérience émigrative
s'avère être un échec, certains immigrés s'obstinent
à errer dans le pays d'accueil. D'autres, par contre, choisissent de
retourner, la tête haute. Dans l'un et dans l'autre cas, on remarque que
la question du retour est fatalement liée à celle du
départ, car « il n'est point d'immigré qui soit totalement
dupe de sa condition initiale. Le retour [était] bien naturellement le
désir et le rêve de tous les immigrés, c'est pour eux
recouvrer la vue, la lumière qui fait défaut à l'aveugle.
» (Sayad, 1998 :139) De ces propos de Sayad, on note qu'au-delà
d'une simple option, le retour constitue parfois un refuge pour des
immigrés, une sorte de délivrance. Des personnages mis en
scène dans le corpus de cette étude se positionnent dans ce
cadre. Ils choisissent de rentrer au pays natal alors même que d'autres
options étaient envisageables. Cette décision résonne
telle la manifestation d'un esprit patriotique, une volonté de
s'affranchir et de s'affirmer. Cependant, ils font face à plusieurs
facteurs qui tentent de leur faire changer d'avis.
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