III.1.2 Culture comme donnée innée
Plusieurs auteurs voient en la culture, de nos jours,
quelque chose de propre à l'homme, quelque chose d'essentiellement
ancré en l'homme et par lequel il se définirait. Nous retenons
ici les points de vue de deux penseurs : Aimé Césaire et Flora
Amabiamina. Pour Césaire, la culture s'entend comme « la
civilisation en tant qu'elle est propre à un peuple, à une
nation, partagée par nulle autre et qu'elle porte,
indélébile, la marque de ce peuple et de cette nation »
(Césaire, cité par Flora Amabiamina, 2017 :8). Selon lui, la
culture est une entité authentique, pure, elle est la marque d'un
peuple. De cette manière on peut parler de culture camerounaise, culture
française, culture chinoise, etc. Flora Amabiamina partage ce point et
s'interroge notamment sur les « mécanismes de préservation
de sa culture » (Ibid.)
En effet, les déplacements qu'effectuent les
migrants aujourd'hui posent ce problème de sauvegarde de la culture. Les
immigrés transportent avec eux un bagage culturel conséquent.
Suivant cette logique, Thamar, Jende, Maxime et Neni par exemple, portent en
eux, bien qu'étant dans un nouveau pays, les marques de la culture
africaine, entendu comme des agissements, des habitudes vestimentaires ou
alimentaires par exemple, tandis qu'Antoine en se déplaçant en
Afrique draine avec lui les marques de la culture française. Il est
clair que l'immigré se retrouve en conflit. Doit-il, pour survivre
abandonner sa culture et embrasser celle de son pays d'accueil ? Peut-il
concilier les deux ? Apporter une réponse affirmative à ces
questions paraît bien compliqué. En effet, la culture, entendue
comme une marque de l'individu, serait indissociable de ce dernier. Embrasser
celle de son pays d'accueil n'est pas aussi une entreprise aisée. Flora
Amabiamina propose non pas d'abandonner sa culture, mais plutôt de
s'ouvrir à la culture de l'autre tout en préservant la sienne. Un
tel appel est salutaire et règlerait les différentes crises
culturelles que traversent les immigrés. Mais en pratique, on se rend
compte que plusieurs immigrés n'intègrent malheureusement pas ce
principe. Cela peut s'expliquer par le fait que le contact avec la terre
d'accueil est parfois violent et ne leur laisse aucune chance d'apprendre quoi
que ce soit. Il leur semble plus facile de vivre à l'africaine en
Occident. Cependant, d'autres penseurs s'opposant à la conception de la
culture dans le sens d'une chose acquise, montrent qu'il est bien parfois
important voir impératif pour l'immigré de faire des concessions
s'il veut s'en sortir dans son pays d'accueil.
III.1.3 La culture comme inscription dans un chronotope
Quand on conçoit la culture d'une
manière autre que celle renvoyant aux conceptions des auteurs que nous
venons de citer, on ne saurait s'empêcher de penser à Gaston
Kelman.
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En effet, Kelman ôte à la culture toute
référence d'ordre historique ou ethnique. Pour lui, «la
culture est un élément social et non ethnique même si
l'ethnie sert souvent d'espace d'enracinement à un modèle
culturel. Ce cas de figure se retrouve notamment et presque exclusivement en
milieu traditionnel et rural. Dans tous les cas, la culture reste un
élément spatial et temporel. C'est la capacité de
s'adapter à son milieu et à son temps. » (2003 :42).
Théoriquement, Kelman propose aux immigrés de se fondre dans leur
pays d'accueil et de faire corps avec lui. Cette conception de culture
s'apparente un peu au concept d'assimilation, vu dans le sens de la
capacité et la volonté d'intérioriser les moeurs de sa
société d'accueil. Cette vision de la culture ne saurait,
toutefois, prospérer pour deux raisons : premièrement parce que
Kelman dans son appel à s'adapter à son espace-temps,
privilégie le pays d'accueil, l'Occident surtout. Dans sa logique c'est
aux Africains, qu'il revient de fournir ces efforts une fois en Occident car,
dans le sens inverse, cela s'avère plutôt compliqué. Le cas
d'Antoine l'illustre à suffisance ; deuxièmement parce que
l'immigré qui fait immersion dans le pays d'accueil perd ses
repères une fois qu'il lui arrive de retourner chez lui. Renoncer
à des choses acquises et qui constituent entre autres la marque de
fabrique de l'individu, rend difficile le retour de l'immigré. Dans la
plupart des récits de l'immigration, les personnages, s'y étant
essayés, en ont payé le prix. L'impasse
de Daniel Biyaoula en est une illustration. De l'une comme de
l'autre conception de la culture, le problème de l'épanouissement
de l'immigré n'est pas résolu. Que faut-il faire ? C'est ce que
nous essayons de voir.
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