II.2 Une volonté d'affirmation du sujet : supporter
le poids des autres.
Il arrive à un moment de la vie de
l'immigré que ce dernier commence à comprendre qu'il lui est
impossible de réaliser les rêves nourris parfois longtemps avant
son arrivée. Il se rend compte qu'entre ce qu'il prenait pour
réel et faisable, et la réalité sur le terrain, il y a un
fossé. Étant donné que l'immigré est
généralement l'espoir de toute famille, la lumière de
toute une communauté, il réalise que baisser les bras est une
solution très mauvaise dans ces circonstances. Une seule issue : il se
doit de s'affirmer. S'affirmer ici signifie refuser de se résigner pour
continuer à entretenir les rêves des siens et nourrir leurs
espoirs.
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II.2.1 Demeurer à tout prix : le projet de
l'immigré
Quand les choses commencent à se compliquer
pour l'immigré et qu'il se rend compte que ses rêves de
réussir peuvent prendre fin du jour au lendemain, il met sur pied tous
les stratagèmes pouvant contribuer à le faire rester encore plus
longtemps. Être au moins dans cet `ailleurs' lui permet d'entretenir ses
rêves de réussite. Cesser d'y être serait synonyme de retour
à la case de départ. Alors, il n'en est pas question. Des
mensonges aux pensées les plus insondables, tous les moyens sont bons
pour demeurer dans le pays de ses rêves. Thamar est celle qui n'a de
pensée que pour elle-même. Son bonheur tant désiré
auprès de Pierre, elle n'a nullement l'intention de le voir s'envoler.
Sachant que son amant n'aime pas vraiment son fils et que la présence de
ce dernier auprès d'elle pourrait mettre à mal sa relation, elle
opte pour une mesure drastique :
Pour éviter les heurts, elle avait placé
le petit à l'internat durant l'année scolaire [...]
l'été, elle l'expédiait chez sa mère au Mboasu, se
contentant d'envoyer un peu d'argent pour son entretien c'était vrai,
elle ne l'avait pas fait uniquement pour lui permettre de faire connaissance
avec ses racines, mais aussi parce que la jeune femme qu'elle était
avait besoin des regards d'un homme et qu'il n'y avait eu, sur son chemin
solitaire, que celui-là qui ne voulait pas entendre parler de son fils
(CAC :30).
Cet extrait montre que le bonheur de Thamar passe par
sa séparation avec son fils, fruit de ses entrailles. On se serait
attendu, en toute logique, qu'elle choisît de rester aux
côtés de son fils. Seulement, cet acte aurait impliqué la
fin de ses rêves et probablement un retour à la case de
départ. Puisque son bonheur et son bien-être comptent davantage,
elle n'hésite pas à isoler son fils. Elle doit rester en Hexagone
à tout prix car sa réalisation en tant que femme passe par
là.
L'attitude de Thamar rompt d'avec celle de Maxime.
Demeurer à tout prix n'a jamais été son objectif. Si son
aventure arrivait à tourner court, « il serait alors
retourné sans regrets d'où il était venu, convaincu
d'avoir tenté le maximum. Et, de toute façon, cela avait toujours
été son objectif ». (Id. : 50). On
peut établir à partir de ces deux exemples que la réaction
de l'immigré dans sa terre d'accueil est étroitement liée
aux raisons de son départ. En effet, ces attitudes divergentes de Maxime
et Thamar s'expliquent par les raisons à l'origine de leur
émigration. Thamar est venue en Occident à la recherche du
bonheur, raison pour laquelle elle s'accroche et est prête à tout
pour y rester. Maxime, en revanche, n'a jamais rêvé de «
l'Hexagone comme une sorte de paradis terrestre »
(Ibid.). Alors il n'est pas partisan de la
théorie de l'Occident à tout prix.
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À l'inverse, le couple Jende autant que Thamar
en sont des adeptes. S'il est vrai que Jende est un peu plus
modéré et prêt à rebrousser chemin quand les choses
commencent d'aller de travers, son épouse est plutôt une
extrémiste à l'image de Thamar. Tandis que son époux Jende
« racontait mille et un mensonges à l'immigration simplement pour
devenir un jour citoyen des États-Unis et passer le restant de sa vie
dans cette grande nation » (VVR : 16) ou encore accepte de « plaider
la persécution motivée par l'appartenance à un groupe
social particulier » (Id. : 33), pour la
même cause, Neni se confesse en ces mots : « je dois... je dois
divorcer de mon mari pendant quelques années. Ensuite, je pourrais me
marier à l'ami de ma cousine pour avoir des papiers
(Id.:315).
Tel est l'état d'esprit des immigrés
à un moment de leur vie en terre d'accueil. Ils sont gênés,
surtout ceux qui y sont venus dans l'espoir de faire fortune, de voir ce
rêve prendre fin en chemin. Il faut tout tenter, et tous les moyens sont
bons dans ces périodes difficiles. En revanche, chez d'autres qui n'y
sont pas allés dans l'espoir de faire fortune à l'instar de
Maxime, la réaction est différente. Et en toute logique, pour
ceux des immigrés dont le premier contact a été
décevant avec l'ailleurs, Antoine par exemple, le seul rêve est de
revenir sur ses pas, raison pour laquelle on ne le retrouve pas en train
d'essayer quoi que ce soit pour rester au Mboasu, le lieu de
dégoût et de rejet, contrairement à ce que l'Occident
représente pour les autres immigrés.
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