II.1.3 Sur le plan sentimental
Une fois arrivé dans leur nouvelle terre, les
immigrés y reçoivent deux choses qu'ils mettent en balance avec
la situation initiale, celle de départ. Il s'agit de l'affection, la
charité ou le rejet d'une part et le calme ou l'agitation du milieu
d'autre part. Et lorsque le don de cette terre d'accueil est moins
bénéfique que leur avoir de départ, cela peut peser dans
leur décision du retour. Valentine et Staf sont dans ce cas. Ils
comparent le degré d'affection du pays d'accueil à celui du
départ. Il faut peut-être rappeler que ces deux personnages
forment un couple. Staf est un immigré venant de l'Afrique. Valentine,
elle, est française, une Blanche. Seulement, elle a été
élevée et a grandi en Afrique. Pour elle, l'Afrique constitue son
lieu de départ et la France, celui d'accueil. Les deux vivent en France
et vont bientôt se marier. La future épouse de Staf envisage de
retourner en Afrique car dit-elle,
Voyez-vous, j'ai été
élevée sur le continent [africain]. Papa y dirigeait une
compagnie d'hydrocarbures dans la zone équatoriale. Enfant, je n'avais
aucune idée de la couleur de peau. Dans mon esprit,
j'étais
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comme les autres filles du quartier, avec lesquelles
je jouais au mbang au jakasi, et à la poursuite. J'ai beaucoup souffert
de devoir quitter les lieux pour venir étudier ici, dans la grisaille
» (CAC : 105)
Les propos de Valentine montrent à suffisance
que, dans son nouveau lieu de vie, il lui manque quelque chose qu'elle
affectionnait pourtant. De citer les jeux auxquels elle prenait part durant son
enfance traduit deux choses : la fierté et l'affection que les autres
filles lui témoignaient. Le fait d'en parler montre que ces deux
périodes de sa vie sont évaluées et la balance penche plus
pour le lieu où elle a vécu son enfance. Tout porte à
croire qu'elle ne l'aurait pas quitté si elle en avait eu le choix. Cet
espace connote pour elle le manque d'affection tout comme pour Antoine. Se
retrouver en Afrique est l'expression du manque engendré par l'absence
de proximité de la mère :
Maxime avait toujours reçu ce qui [à
Antoine] manque [affection]. Antoine n'avait eu que cet internat depuis
l'âge de sept ans où il avait été l'unique gamin
noir, le noirot, [...] il n'avait eu que des mensonges-des histoires dans
lesquelles Thamar devenait une princesse subsaharienne, toutes sortes de ruse
pour se respecter des autres pensionnaires. Il n'avait eu que ce
beau-père, l'animal qui lui avait dérobé toutes
possibilités d'avoir une mère (CAC : 59).
Cette description de la situation d'Antoine nous fait
comprendre que cette affection lui était déjà
refusée bien avant. Le fait que sa mère décide de «
l'expulser » en Afrique en constitue le paroxysme. Chez Antoine et
Valentine, la terre d'accueil représente un lieu
dysphorique.
Neni, quant à elle, « n'avait jamais
compris les gens qui sortaient dans les bars » (VVR 102). Elle n'arrive
pas à s'expliquer le fait que Winston « habitait tout seul dans un
deux pièces » (ibid.). Ces agissements
lui sont étrangers, car en les confrontant à ceux de Limbe, elle
ne trouve pas de lien. Limbé est un endroit où, pense-t-elle,
loin de l'ambiance des bars qu'elle trouve en Amérique, le calme
règne en maître. Et à la différence du mode de vie
dispendieux de Winston, on y pratique le système d'économie. Tel
est le quotidien de l'immigré, la comparaison des deux espaces entre
lesquels il se situe.
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