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Le motif du retour au pays natal dans le roman de l'immigration: l'exemple de ces à¢mes chagrines de Leonora Miano et voici venir les rêveurs d'Imbolo Mbue


par Fabrice Lyonel NJIOTOUO NJAKOU
Université de Douala - Master 2 2019
  

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II. Les personnages en situation d'immigration : entre tourments et affirmation de soi

Tout immigré est une histoire. Au-delà de cette personne qu'on retrouve dans les rues d'un pays n'étant pas le sien, venue à la recherche de la terre promise, se cache toute une histoire. Celle-ci est à la fois l'histoire de ses déboires et espérances dans son pays de départ et celle de toute une famille dont les espoirs reposent sur lui. En effet, la conception de l'ailleurs tel un eldorado a fait en sorte qu'à partir du moment où quelqu'un opte pour l'immigration, ses proches voient en lui une lumière censée éclairer la sombre obscurité dans laquelle il les a laissés. La vie dure qu'il embrasse en Occident lui montre combien il est difficile de supporter les attentes placées en lui. Désireux de ne pas manquer à cette

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obligation, sa vie devient une bataille au cours de laquelle le pays laissé et le pays rêvé sont mis en confrontation.

II.1 Les comparaisons incessantes

L'immigré ne cesse de comparer la situation qu'il vit dans son présent avec celle d'avant son statut d'immigré. Cette comparaison s'opère sur tous les plans : social, développemental et sentimental. L'objectif est non seulement de se convaincre de ce que la décision prise était la meilleure, mais aussi de trouver des motifs de satisfaction lui permettant de garder la tête haute dans cette bataille qu'est désormais sa vie.

II.1.1 Sur le plan social

Plusieurs immigrés dès leur arrivée dans ce qu'ils considèrent comme leur nouveau pays plongent dans le jeu des comparaisons. Ils comparent sans cesse leur situation sociale du pays de départ à celle qu'ils vivent et envisagent de vivre dans le pays hôte. En effet, ils ne sont pas très nombreux ces immigrés dont la gêne se fait ressentir à peine débarqués. Toute arrivée est généralement pleine d'enthousiasme. L'euphorie du départ est souvent encore présente dans les premiers jours en terre d'accueil. L'immigré est façonné par son entourage et est convaincu que la réalisation de ses rêves ne tardera pas. Cela fait en sorte que les pensées sont constamment tournées vers le pays laissé dans le but d'effectuer des comparaisons. Elles constituent pour eux, dès le début, une forme d'encouragement, de refus de l'échec car jusqu'ici, le pays laissé représente le lieu de tous les échecs, de tous les déboires contrairement au pays d'accueil, synonyme de toutes les espérances, le lieu où l'impossible devient possible. Le premier élément mis en balance dans la comparaison est d'ordre social. Ces immigrés rapprochent leur niveau social d'antan, non pas avec le niveau présent mais plutôt avec celui futur. Pour eux, le simple fait d'être déjà parvenus dans l'espace rêvé est un gage de réussite. Les pays dits du nord calquent leur perception des immigrés sur l'image qu'ils ont bâtie de leur terre de provenance, c'est-à-dire des êtres de basse condition sociale. Vu que les immigrés, à partir du moment où ils rêvent de ces pays, assimilent les leurs à la pauvreté, la souffrance, le siège des échecs, de l'impossibilité de réussite, en partir et se retrouver en Occident est synonyme d'affranchissement, de réussite, de gage d'un lendemain meilleur. Comparer les deux espaces et se convaincre d'avoir opté pour le bon, l'unique d'ailleurs, les conforte et les rend heureux.

Jende jauge la vie sociale au Cameroun et celle aux États-Unis en examinant les possibilités de réussite dans chacun des deux espaces. Le résultat est sans appel :

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mon pays n'est pas bon, Monsieur, commença-t-il. Il n'a rien à voir avec l'Amérique. Si j'étais resté dans mon pays, je ne serais rien devenu du tout. Je serai un rien du tout. Mon fils serait devenu un homme pauvre comme moi qui suis devenu pauvre comme mon père. Mais en Amérique, monsieur, je peux devenir quelqu'un. Je peux même devenir un homme digne de respect. Mon fils peut devenir un homme de respect » (VVR : 49).

La manière dont Jende agence ces arguments est très significative. On a au départ la marque de la négation « n'a rien ». Cette négation situe les deux lieux à des extrémités bien distinctes : le Cameroun et l'Amérique n'ont rien de semblable. Nous avons ensuite le choix des temps verbaux et des verbes. Le conditionnel passé (première forme) domine lorsqu'il parle de ce qu'aurait été sa vie au Cameroun. « serais rien devenu » « serais resté un rien » ; « serais devenu pauvre ». À travers ces constructions verbales, Jende avoue implicitement être déjà devenu quelqu'un. Affirmer qu'il peut le faire revient à montrer que cela ne dépend de rien d'autre que de lui-même. Sa réussite est certaine car lui seul a le contrôle des choses. Cela justifie à suffisance le principe énoncé plus haut, selon lequel dans l'état d'esprit de l'immigré, quitter son pays natal équivaut à fuir la misère ambiante ; et se retrouver dans un pays rêvé, embrasser le bonheur, la richesse ; être riche tout simplement.

Un autre aspect de la vie sociale mis en comparaison ici par Jende a trait à la répartition des biens. Les pays du Sud, le sien notamment, ne mettent pas en place un système équitable de répartition des richesses. Une poignée seulement en profite. Expliquant à son patron Edwards les raisons de son refus de rester à Limbé, il dit :

dans mon pays, pour devenir quelqu'un, il faut déjà être quelqu'un quand vous naissez. Si vous ne venez pas d'une famille riche, ce n'est pas la peine d'essayer. C'est comme ça, c'est tout monsieur. Une personne comme moi, vous voulez qu'elle devienne quoi dans un pays comme le mien ? je suis parti de zéro pas de nom. Pas d'argent. Mon père est un homme pauvre. Le Cameroun n'a rien [...] l'Amérique a quelque chose à offrir à tout le monde monsieur. Regardez Obama32, monsieur, qui est sa mère ? qui est son père ? ce ne sont pas des gens importants du gouvernement. Ce ne sont pas des gouverneurs, pas des sénateurs en fait, monsieur, j'ai entendu dire qu'ils étaient morts. Et regardez Obama aujourd'hui. Cet homme ; un homme noir sans père ni mère qui essaye de devenir le Président d'un pays ! (VVR : 49-50)

Jende oppose une fois de plus, à travers cette comparaison, la réussite sociale dans sa terre natale à celle de son pays d'accueil. Cette conception est toutefois fausse et témoigne en partie du culte du défaitisme que célèbrent la plupart des immigrés. Car du moment où l'idée

32 Président des États-Unis d'Amérique de 2008 à 1016. L'histoire débute dans ce roman à partir de 2007 et s'étend sur quelques années.

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du départ s'installe en eux, ils détestent leurs terres d'origine et tout ce qui s'y trouve. Mais ses propos laissent croire que si la réussite sociale à Limbe était possible comme aux USA, il n'aurait jamais émigré.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire