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Le motif du retour au pays natal dans le roman de l'immigration: l'exemple de ces à¢mes chagrines de Leonora Miano et voici venir les rêveurs d'Imbolo Mbue


par Fabrice Lyonel NJIOTOUO NJAKOU
Université de Douala - Master 2 2019
  

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I.2 Le sentiment de non-appartenance des personnages

Les perpétuelles crises identitaires et le manque constant de repères dans lesquels les immigrés se retrouvent concourent à faire naître en eux un sentiment de non-appartenance. Celui-ci s'exprime non seulement à l'égard de la nouvelle société qu'ils n'arrivent toujours pas à cerner, mais aussi vis-à-vis du pays laissé derrière eux. Dans ce deuxième cas, ce sentiment est doublé du regret d'avoir abandonné un «ici» dont ils avaient plus ou moins la maîtrise, pour un ailleurs capricieux, prêt à leur refuser la main qu'ils lui tendent.

I.2.1 Un ailleurs hostile

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Le sentiment de non-appartenance qui se développe chez les immigrés naît d'une part d'une non maîtrise des codes que l'ailleurs leur impose, des barrières infranchissables qu'il dresse devant eux. En effet, s'il est vrai que tout projet d'immigration implique de la part de l'immigré d'avoir un mental haut, prompt à franchir les obstacles qu'il aurait à croiser en chemin, il reste que ce dernier ne s'attend pas beaucoup à franchir des obstacles toute sa vie durant. Sa nouvelle terre, vue autrefois tel un ailleurs dont il ne parlait qu'en s'en faisant des représentations, devraient logiquement cesser d'être un ailleurs pour devenir un « ici » dès le moment où il y a posé les pieds. Cela ne se passe toujours pas de la sorte. La réalité décevante le rattrape et lui échappe, et ce dernier prend conscience que cet «ailleurs-ici» n'est pas le sien. Thamar, au Mboasu, a rêvé de la France tel un pays de bonheur, un pays où elle pourra mettre fin à ses années de galère et qui lui offrira ce que son pays natal n'a pas pu (ou su) lui offrir. Avec ces convictions, elle a pris le chemin de l'Europe où elle fait la rencontre de son amant Pierre, l'incarnation du bonheur à ses yeux. Si les débuts ont été plus ou moins festifs et heureux, cet ailleurs rêvé aura tôt fait de lui montrer un visage différent. En effet, Pierre, indépendamment de sa volonté, cesse d'être cette incarnation du bonheur de Thamar. On peut lire à ce sujet que :

l'homme [entendu Pierre] avait, depuis peu, des ennuis de santé, des difficultés rénales qui le clouaient au lit. Il semblait souffrir, mais tenait farouchement à ne pas mourir, s'accrochait. Sa mère [Thamar, mère d'Antoine], qui avait envisagé des études, des voyages, une vie normale [nous soulignons], se retrouvait dans la position de garde-malade, privée de gages. Ses sorties se limitaient aux courses, aux rendez-vous chez le médecin [...] Thamar se fanait à vue d'oeil, ne demeurait aux côtés de cet homme que pour l'argent, celui qui payait le pensionnat, les billets d'avion vers le Mboasu » (CAC, 125-126).

Par ce passage, on comprend que le bonheur de Thamar disparaît peu à peu. L'amour et l'enthousiasme du départ ont laissé place à l'intérêt. Elle agit désormais par intérêt. Si vis-à-vis de cet homme Thamar ne trouve que ses intérêts pour justifier sa présence à ses côtés, on peut clairement comprendre que ce bonheur a changé de camp. L'intérêt qu'elle tire de sa présence, malgré elle, aux côtés de cet homme, ne saurait combler ce bonheur auquel elle aspirait. La dimension mentale est donc importante ici. D'un point de vue matériel, la situation de vie de Thamar ne change pas radicalement jusqu'ici car elle a toujours cette possibilité, venant de lui, de payer le pensionnat de son fils, son billet d'avion pour le Mboasu. En revanche, ses petites gâteries à elle et son épanouissement lui manquent certainement. Elle ne saurait être heureuse, au-delà de tout, de vivre cette situation dans laquelle elle est privée d'un immense bonheur. Cet ailleurs, autrefois synonyme de félicité,

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s'érige en un lieu de peine, un lieu où tous les stratagèmes sont nécessaires pour maintenir son bonheur, fût-il apparent.

La situation est relativement la même avec les Jende. Ceux-ci rêvaient de mener une vie paisible en Amérique, d'y réussir. Ce pays qu'ils ont érigé en un univers du bonheur leur montre qu'il n'est pas le leur, qu'il ne l'a jamais été. Si avec Thamar, il y avait une quête d'intérêt lui donnant une raison de s'accrocher, ça sent plutôt le désespoir avec Jende. Sa situation a d'importantes répercussions sur sa santé, sur son être. Se confiant au médecin, il affirme (VVR : 340) :

mon père vient de mourir et je n'ai pas pu aller à son enterrement. Quelle plus grande honte peut-il avoir pour un fils aîné ? [...] j'ai une femme et deux enfants à nourrir, habiller et loger [...] je m'oblige à la plus grande des rigueurs concernant mes économies, pour être prêt quand le pire viendra, mais je me demande pourquoi toutes ces économies ? Le pire est arrivé, et mon dos se brise. Oui, docteur, je peux dire qu'il y'a des facteurs importants de stresse dans ma vie.

Ces difficultés liées à sa condition d'immigré concourent à engendrer en lui un sentiment de résilience. La société américaine est bien plus dure qu'il ne l'avait pensé et il se retrouve perdu entre d'une part ce pays où il espérait mener sa vie et celui qu'il a quitté du fait de la dureté de la vie et de quasi impossibilité d'y réussir, d'autre part. Cependant, il y a un écart dans la perception de ce sentiment de non-appartenance dès lors qu'on s'intéresse à l'autre versant de l'immigration, c'est-à-dire à l'immigré parti de l'Occident pour l'Afrique. Le cas d'Antoine est révélateur. Ce sentiment ne s'impose pas à lui, contrairement aux cas susmentionnés. Il le construit lui-même. « Il détestait ce territoire où tout était dégoûtant de la plus petite fourmi jusqu'aux habitants, ne supportait pas les pluies torrentielles et sans fin, la présence constante d'autres enfants » (CAC : 125). Antoine se refuse de faire corps avec ce territoire. Cet écart d'avec les cas de Thamar et de Jende trouve sa justification dans la situation de chacun au pays de départ. Dans le pays de départ de Jende, « pour devenir quelqu'un, il faut déjà être quelqu'un quand vous naissez » (VVR : 49). Jende est convaincu que, resté dans son pays, il « ne serait rien devenu du tout. » (Op.cit.48) il serait « resté un rien du tout » (Ibid.). Chez Thamar, « les habitants ne possédaient rien de signifiant, on pouvait penser que l'air lui-même serait bientôt rationné (CAC : 170).

Il y a à la base, chez Thamar et Jende, une volonté réelle de fuir ce lieu, cet « ici », incarnation de la misère. Thamar, davantage que la misère, fuit cette terre qui l'a quasiment dépossédée d'elle-même ; qu'y a-t-il de plus violent pour la femme que de se faire violer et d'en récolter un fruit ? La preuve en est qu'elle va rejeter les fruits de ces viols et ne donnera des nouvelles à sa mère qu'après près de dix ans lorsqu'elle voudra que celle-ci s'occupe de

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son fils. Or avec Antoine, son « ici » connote le confort, la paix, la sécurité, « ces contrées rêvées, inaccessibles aux simples mortels » (CAC : 35) et l'ailleurs, un espace douteux. Son premier passage en Afrique conforte cette hypothèse et il hisse des barrières entre ces deux lieux, au point de ne plus vouloir entendre parler d'un endroit autre que sa France natale. Le sentiment de non-appartenance chez lui est à la limite naturel relativement à ce que connote l'ici et l'ailleurs, pourtant, il s'impose à Jende et à Thamar, du fait de leur non-maîtrise des ambigüités de ces espaces.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille