I.1.3 Identité : construction ou imposition
Selon Wittorski, l'identité se construit
relativement à l'histoire et à ses modes de transmission et se
renforce de façon réactive. Autrement dit, la définition
de l'individu ne saurait faire fi du parcours historique de sa
communauté d'appartenance. Une étude de Fischer (1978)
cité par Wittorski souligne que « le sentiment d'identité
dérive de l'histoire [...], d'une religion ou d'une idéologie et
d'une culture partagée, d'une discrimination et d'une exploitation
économique constamment subies. » (Fischer, 1978 : 246, cité
par Wittorski). Pour lui, l'individu est le résultat d'une cause, la
continuité d'un processus
Vu sous cet angle, Jende et Neni ont une
identité africaine du fait de leur histoire et de leur culture
africaine. Liomi est africain, Timba est africaine, même si elle est
née aux États-Unis car l'histoire de ses parents est aussi la
sienne. Cette vision des choses pose problème. L'identité ne
saurait être totalement rattachée à l'histoire. La preuve,
Liomi à peine arrivé se sent comme un poisson dans l'eau en
Amérique. Et Antoine qui, pourtant, est né de parents africains
se sent étranger à la culture africaine.
48
Deux cas nous intéressent et semblent poser
problème ici. De quelle manière, en effet, faut-il définir
Antoine et Winston ? Le premier est né en France, y a grandi et y vit.
Seulement, il est noir, de parents africains. Winston est né et a grandi
au Cameroun (pendant beaucoup d'années) avant de rejoindre les
États-Unis où il a déjà passé beaucoup
d'années. Si on veut appréhender l'identité sous le prisme
de l'histoire, de la lignée, on se heurte ici à un
véritable problème. Les deux ont deux histoires : l'histoire
africaine (originellement) et partagent tout de même l'histoire de leur
pays actuel. Pour le cas d'Antoine, on peut avoir la réponse à
partir de concept théorisé par Léonora Miano. Il s'agit de
l'afropéanisme. Ce néologisme dérive de l'adjectif
afropéen ; formé sur la juxtaposition simplifiée de deux
termes, renvoyant à deux horizons distincts : Afrique et Europe. Ce
concept porte en lui la marque de ses orientations. De manière simple,
il désigne ces Africains nés en Europe. La notion se
détourne des considérations liées à la couleur de
peau. Car dans l'inconscient collectif, le Noir est assimilé à
l'Africain, et le Blanc à l'Européen. L'identité
afropéenne est celle-là dont la construction se fait à
mi-chemin entre l'histoire africaine et celle européenne. Il s'agit
d'une identité métissée, hybride car le personnage
afropéen (Antoine par exemple) n'est pas africain, encore moins
européen mais africain et européen à la fois.
Le cas de Winston est différent. Il n'est pas
né en Occident, mais il y vit depuis un bon bout. Nous proposons pour
mieux le définir, « l'auto-identification ». L'identité
ne saurait être essentialiste, mais auto-identificatrice. Si les
immigrés se définissent en majorité et
généralement par leur pays d'origine, c'est aussi parce qu'ils en
décident. Or on peut naître africain et s'identifier, par
cohabitation peut-être, à un occidental. Le cas de Winston en dit
long. Il a intégré tous les pans de la vie américaine.
Beaucoup d'immigrés sombrent cependant dans le piège de
l'essentialisme et demeurent de ce fait des personnages en perpétuelle
crise identitaire.
|