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Le motif du retour au pays natal dans le roman de l'immigration: l'exemple de ces à¢mes chagrines de Leonora Miano et voici venir les rêveurs d'Imbolo Mbue


par Fabrice Lyonel NJIOTOUO NJAKOU
Université de Douala - Master 2 2019
  

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CHAPITRE 1 :

DES CONDITIONS DE VIE DE L'IMMIGRÉ : ENTRE MARGINALITÉ ET INTÉGRATION

Dans la peinture des immigrés offerte par les romans de l'immigration, il est de plus en plus difficile, voire impossible, de retrouver un immigré logé dans un confort psychosocial remarquable. Les personnages immigrés que nous présentent ces romans sont généralement pris dans le piège de la marginalisation et de l'intégration. Ceux de Ces Âmes Chagrines et de Voici Venir les Rêveurs ne dérogent pas à cette règle. Tout cela concourt à la construction d'une volonté de retour. La marginalisation s'entend tel un processus de mise à l'écart, de mise en marge de la société d'un individu ou d'un groupe. Ce concept s'oppose à celui d'intégration qui renvoie à un épanouissement de l'être sur quelques plans de sa vie, en ce sens que l'individu ne saurait être intégré dans la société s'il fait face à des pratiques tendant à le mettre à la marge. En d'autres termes, on ne saurait parler d'intégration là où il y a marginalisation. Cela se perçoit à travers la situation de l'immigré, ses rapports avec la société et les différents codes sociaux générés par cette société, qu'il assume fatalement.

I. La situation de l'immigré

Les immigrés de notre corpus, ne sont pas, pour bon nombre d'entre eux, dans une situation confortable. Que l'on observe les niveaux politique, économique ou social, le constat est identique : il se dégage une situation d'inconfort.

I.1 Du point de vue socio-économique

La dimension socio-économique est l'une des plus importantes, lorsqu'il s'agit de s'interroger sur la condition de vie de l'immigré. Il apparaît que l'une des raisons qui incite ce dernier à opter pour l'émigration est l'insatisfaction de sa situation sociale dans son pays. Le projet de départ s'apparente à une tentative d'amélioration de cette situation. Les choses, malheureusement, ne se passent pas toujours aussi bien qu'il l'espérait.

I.1.1 Description de la situation

Les immigrés constituent « toute la misère du monde » pour reprendre l'expression de Michel Rocard. Ces personnages vivent un véritable calvaire du point de vue socioéconomique. En effet, la dimension économique intrinsèquement liée dans le regard porté sur l'immigration, fait en sorte que tout immigré reflète l'image d'un être à la quête d'une stabilité économique et parfois sociale. Cela n'est pas totalement faux. En observant de

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près le phénomène tel que décrit dans les récits d'immigration, on se rend compte que les personnages immigrés sont, pour plusieurs, en quête d'un confort social et économique qui leur permettrait de mener une vie paisible sur une terre d'accueil6. Mais entre les espérances, les espoirs nourris au départ et la réalité sur le terrain, il y a un déphasage remarquable. Ces personnages sont souvent condamnés à vivre dans une situation précaire. La misère dans laquelle elles baignent est frappante.

Thamar dans CAC en est une illustration. Sa situation en France est déplorable. Elle se retrouve, après quelques années vécues dans le bonheur grâce à son amant Pierre, dans une situation lamentable qui a des répercussions sur son physique et sa santé. Thamar est dépeinte tel un virus, un élément à ne pas mélanger avec les autres au point que lorsqu'elle

S'asseyait, on se levait. On s'éloignait. On n'osait se pincer le nez mais on prenait résolument ses distances. On ne voulait pas se trouver si près de la misère, des poux, des punaises, de tout ça. On ne voulait pas songer à ce qui pourrait faire déraper l'humain -soi- même, donc, - jusque là- (CAC : 131).

À travers cette description, on entrevoit le quotidien de certains immigrés, un quotidien peu enviable. Ils sont dans une sorte d'indigence donnant l'impression qu'ils n'existent pas. Loin d'une impression, il s'agit d'une réalité palpable. À l'inverse de Thamar dont la situation est déplorable du point de vue socioéconomique, d'autres baignent dans l'espoir, dans l'attente d'un lendemain radieux. Ils croient fermement au changement futur de leur situation qui, elle, n'est vraiment pas encore déplorable. Neni de VVR se situe dans cette logique. Toutefois, forte de son expérience, son amie Fatou a tôt fait de l'exhorter à davantage de raison ; elle lui assure alors : « quand tu seras en Amérique depuis 24 ans et que tu seras toujours pauvre, tu ne vas plus compter. » (VVR : 19) Il faut noter que Fatou est arrivée en Amérique bien avant Neni qui n'est arrivée aux USA que depuis un an. Aussi, est-elle bien placée pour en parler avec autorité de par son expérience. L'euphorie du départ de Fatou a déjà cédé la place à la réalité que Neni elle, ne s'est pas encore représentée. L'écart des situations de Thamar dans CAC et Neni dans VVR a une explication logique. Elles sont deux femmes certes, mais elles n'ont pas le même poids sur les épaules. Thamar est une femme seule qui a dû se battre pour affronter la vie malgré les coups que celle-ci lui assène. Elle se retrouve abandonnée et rejetée par son propre fils. À l'inverse, Neni connaît une situation beaucoup moins stressante. Son époux Jende s'est toujours battu pour lui offrir le meilleur. Seulement, cette vie paisible et heureuse à laquelle elle aspire, ne s'obtient pas de manière

6 Le mot « accueil » ici n'a rien à voir avec sa connotation hospitalière, amicale ou joyeuse

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aussi simple. Elle feint d'ignorer que « Jende avait dû cumuler trois boulots afin de mettre de côté l'argent nécessaire pour leurs billets, son visa d'étudiante et celui de Liomi » (VVR : 20). Ce qu'elle voit et qui lui donne mille raisons de sourire,

C'est leur appartement que Jende venait de trouver, après deux ans passées dans le Bronx dans une chambre dans le sous-sol avec six Portoricains, rempli ce soir-là du rire de Jende, écoutant les histoires du pays et les cris de Liomi qui se roulait par terre avec son père, sur le tapis. » (VVR : 20)

On peut dès lors comprendre que les immigrés, confrontés à la réalité, vivent le martyre d'un point de vue socioéconomique. Ils ne sont pas à l'abri du besoin ; pire, ils sont au bord du gouffre et sont abandonnés à eux-mêmes.

Si la dimension sociale, c'est-à-dire le désir d'un bien-être social, est fatalement liée aux projets d'immigration dans leur majorité, il faudrait se demander comment on en est arrivé là. En effet, ce piège parfois infernal dans lequel sont pris les immigrés les surprend parce que ce n'est pas ce qui a été pensé ou alors construit à la base. De l'Occident, ils n'ont très souvent qu'une image biaisée, très éloignée de la réalité. Gérard Keubeng pense que

L'Occident donne en effet une image que l'on rapprocherait volontiers à celle qu'offraient les murs de la cité des dames de Christiane de Pizou au moyen-âge, une sorte de Bastille à prendre à tous les prix et par tous les moyens. Parce qu'elle est le symbole de la réussite de par son développement économique offrant de ce fait une certaine aisance matérielle à ses habitants. La France est pour de nombreux ressortissants d'Afrique le lieu où l'on ne manque plus de rien. (Keubeng, 2011 :113)

Pourtant, une fois en situation, ils comprennent bien qu'il n'en est rien. S'en suivent alors des désillusions. Or, en réalité, cette condition de précarité socioéconomique devrait être moins surprenante pour un immigré si celui-ci s'était représenté le phénomène en prenant en compte tous ses contours. Tout projet d'immigration qui se veut une tentative d'amélioration de sa situation sociale et économique, devrait s'inscrire non seulement dans la durée mais aussi dans l'éventuel. Il est vrai, le lieu d'arrivée est toujours représenté par opposition à celui de départ. L'Occident leur apparaît certes comme le lieu de délivrance de tous les maux, mais il ne faut pas s'attendre à ce que cette délivrance soit immédiatement effective. D'où la surprise désagréable de nombre d'immigrés une fois qu'ils arrivent en terre d'accueil.

Les propos de Gérard Keubeng susmentionnés tendent à justifier cette surprise. À ce niveau, on ne saurait en vouloir aux immigrés de se lamenter, de s'apitoyer sur leur sort, car

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ils ne sont en effet que des victimes de leur ignorance certes, mais également des caprices d'un Occident qui leur a donné une image déformée de la réalité. Thamar est arrivée en Europe dans l'espoir de s'affranchir économiquement. Si le motif de l'amour voué à son homme semble s'imposer pour mobile de son départ, on serait tenté de croire qu'elle ne l'aurait pas effectué si ce n'était pas en direction de l'Occident, un Occident érigé en terre promise. Une fois arrivée, après les étincelles de bonheur, la réalité la rattrape. Elle est abandonnée, elle doit se prendre en charge. La description qu'en fait le narrateur lorsque Maxime l'aperçoit est édifiante : « puis, il la vit, trainant la patte, vêtue d'un grand T-shirt [...] les yeux baissés, ne semblant pas voir les chaussures d'hommes fatiguées qu'elle portait, qui baillaient à l'avant. [...] n'auriez-vous pas une pièce ou deux, monsieur ». (CAC : 130) Voilà la situation économique de Thamar. Elle est devenue une mendiante. L'euphorie du départ a désormais laissé place, à la tristesse, à la misère, à la pitié à son égard. On peut constater que les immigrés mènent une vie entièrement à part. Abandonnés à leur propre sort, pris dans le filet de la réalité, ils n'ont pas les moyens de mener une vie décente. Leur quotidien frise l'enfer. Toutefois, le fait pour l'immigré de se retrouver seul, abandonné à lui-même, peut constituer un obstacle à son épanouissement, selon les cas.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry