I.1.1 Des conceptions de la notion d'identité
L'identité s'entend communément telle la
marque de fabrique d'une personne, ce qui fait dire d'une personne qu'elle est
différente des autres. En somme, l'identité est l'ensemble des
éléments concourant à caractériser quelqu'un.
Rappelons cependant que c'est une notion problématique dans la mesure
où ses interprétations et le contenu qu'on y insère
créent de moins en moins l'unanimité. Jean François
Deplancke (2013), commentant le livre Les embarras de
l'identité de Vincent Descombres nous renseigne que ce
dernier aborde la notion de l'identité sous deux prismes : l'identique
et l'identitaire. Le premier s'inscrit dans une logique philosophique et tend
à établir que deux objets ou deux individus ne font qu'un. Le
second, dont l'usage ne date que de la deuxième moitié du
XXème siècle, « n'est pas défini dans le dictionnaire
et cherche à répondre à la question «Qui suis-je
?» ou «Qui sommes-nous ?» » (Delplancke, 2013 :64). Le
problème naît de ce « qu'aujourd'hui nous sommes conduits
à appréhender l'identitaire à partir du paradigme de
l'identique, alors que leurs significations sont logiquement distinctes »
(Ibid.). Ainsi, c'est sous le paradigme de
l'identitaire, de la tentative de répondre à la question «
qui sommes-nous ? » que la question d'identité nous
intéresse ici.
Si le concept nous vient des États-Unis et
théorisé par Erick Erickson, au travers de la notion de crise
d'identité au tout début des années 1950, il demeure
qu'il
émergera de la rencontre entre la psychanalyse
et l'anthropologie américaine, principalement le courant «culture
et personnalité», l'une et l'autre, revisitées par Erickson
à l'aune de son histoire personnelle. Et ce mot va s'imposer face aux
d'autres termes qui auraient pu tout aussi bien faire l'affaire :
personnalité, caractère, self, égo...
(Ibid.)
Bien que l'équivoque tende à être
levée autour de ce concept, des zones d'ombre persistent lorsque l'on
rentre dans le champ du discours sur les migrations. Ce flou reste entretenu du
fait que les immigrés sont des personnes à la croisée des
chemins. Il est d'ailleurs impératif pour eux, surtout pour des
personnes adultes, de composer avec une part de leur « personne », de
leur « être » originel, et une autre part qui commence à
germer et à croître dans l'ici présent. Si l'on admet avec
Bertrand Amougou, à la suite de bien d'autres chercheurs que, «
l'identité n'est pas une donnée assignable ; figée et
éternitaire » (Amougou, 2016 : 234), mais qu'elle est «
plutôt un idéal de représentation/perception et expression
de soi en construction permanente. Car il s'agit du projet/prétention
d'être la même personne
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(...) au-delà des changements socio-contextuels
et contingents » (Ibid.) alors, on
réalise que les immigrés sont des êtres en quête
perpétuelle d'identité. Cette quête rend compte de ce qu'il
y a des contextes à prendre en compte dans la saisie de
l'identité. Elle concerne des personnes qui se retrouvent souvent en
situation trouble et cherchent à se définir. Parfois, il y en a
qui se perdent dans cette aventure parce qu'ils sont déchirés
entre des systèmes.
Autant dire que l'immigré est condamné
à de perpétuels errements. Il ne saurait jamais être celui
que la société dite d'accueil veut qu'il soit, encore moins celui
qu'il était ou qu'il a été au pays natal. C'est une
véritable situation trouble constituant un réel handicap au plein
épanouissement des immigrés. Deux cas sont significatifs dans
notre corpus, ceux du couple Jende et d'Antoine. Le premier (le couple Jonga)
consent un maximum d'efforts pour vivre à l'américaine, pour
intégrer cette identité américaine consistant entre
autres, une fois qu'on a de l'argent, d'emmener « sa famille visiter
d'autres endroits du pays, peut-être vers l'océan pacifique,
...contempler un coucher de soleil... » (VVR : 85). Bref, on peut dire des
Jonga qu'ils ont un réel désir de s'américaniser. Ce
désir contraste cependant avec l'attitude de Neni lorsque son
époux, porté par la colère lors d'une dispute, lui flanque
une gifle. Neni réagit en Africaine. Elle refuse de dire la
vérité aux voisins, de peur d'attirer les ennuis à son
époux. De ce fait, cette quête d'américanité
s'estompe et laisse place à un retour aux sources : l'africanité.
Chez Antoine, on observe plutôt un refus de cohésion sous toutes
ses formes avec son pays d'accueil, le Mboasu. Il importe de rappeler
qu'Antoine est certes Noir, mais il est français. Il n'est pas un
immigré en France, contrairement à son frère Maxime par
exemple. En revanche, au Mboasu, le pays de sa mère et de son
frère - où il vient parfois passer ses vacances, il est un
immigré. Durant toutes ses visites en Afrique, au Mboasu, il opte pour
l'introversion. Cette posture, loin de le faire se sentir mieux, nourrit en lui
une sorte de rejet et de dégâts au point où pour lui,
« tout valait mieux que le continent, ses nuées de moustiques, sa
population bruyante, remuante, ses rigoles pleines d'une eau verdâtre,
malodorante. » (CAC : 127). Il se renferme justement parce qu'il se sent
étranger dans ce pays qu'il n'a jamais connu, dont sa mère ne lui
a jamais parlé et qu'il découvre de manière
violente.
Les immigrés sont ainsi pris dans le
piège de l'entre-deux identitaire. Ainsi, n'arrivent pas à se
définir. Ici et ailleurs se mélangent et se
confondent.
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