III.2.2 Les différences
Les conditions de vie différentes constituent
un autre facteur qui développe le sentiment d'étrangeté.
Il faut relever le fait que ce sentiment naît également de la
perception différente d'une situation de l'immigré par une
personne à priori non étrangère, ou alors inversement.
Mighty par exemple est surpris28 de constater que chez les Jende,
« tout le monde dort dans la même chambre » (VVR :
182). Cette surprise naît de ce qu'il n'est pas habitué à
cette pratique. Chez eux, les choses se passent différemment. Cela peut
donc être vu en symbole d'étrangéité par les Jende.
Ils constatent que leur pratique ne colle pas à celles de leur nouvelle
société. Cette différence se perçoit
également à travers Thamar. Les parents de son amant, en
l'expulsant après le décès de leur fils, lui renvoient au
visage son étrangeté.
26 L'expression est identique
dans le texte original.
27 Il est vrai que la
nature de ces visites peut être questionnée. Mais, au-delà
de tout, Thamar semblait tout de même heureuse de voir son fils de temps
en temps.
28 Positivement
d'ailleurs.
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Étrangère, Neni aussi l'est. Elle qui ne
maîtrise pas le mode d'emploi de sa nouvelle société et
veut se comporter avec celle-ci pareillement à sa société
de départ. Évidemment cela ne peut pas fonctionner et ne peut que
lui révéler cette dimension étrangère qui l'habite.
L'extrait ci-dessous décrit cette méconnaissance de sa nouvelle
aire.
Il lui semblait fou de constater que la même
somme d'argent ne permettre d'acheter que trois plantains, qui ne suffisaient
même pas à nourrir Jende un seul jour [...] ces prix-là
n'avaient aucun sens. Trois plantains pour deux dollars ? Pourquoi ? Deux
dollars correspondaient à mille francs CFA, et pour cette
somme-là une femme pouvait acheter de quoi nourrir sa famille pour au
moins trois repas. (VVR : 307)
Cela s'observe dans l'attitude qu'elle adopte au
foyer. Dans son pays d'origine, le Cameroun, la femme a
généralement tendance à jouer la carte de la douceur,
à accepter la domination de son époux dans tous ses aspects.
Voilà pourquoi elle accepte de se faire bastonner par son époux
parce que le mari est celui qui décide.
III.2.3 La langue
Enfin, on note la méconnaissance de la langue.
L'immigré ne maîtrisant pas la langue de son pays d'accueil est
condamné à demeurer étranger dans ce pays-là, la
langue étant fondamentalement un outil d'intégration. Antoine est
étranger à l'Afrique. Ses passages dans ce continent durant ses
années d'enfance ont relevé une impossible intégration. On
peut le comprendre à travers ce récit de sa première
visite du continent, dressé par le narrateur.
Une hôtesse s'était occupée de lui
pendant le vol qui avait duré sept interminables heures, une vieille
l'avait accueilli à l'aéroport, le serrant dans ses bras comme
s'ils s'étaient quittés la veille. Elle se parlait à
elle-même, une langue qu'il ne comprenait pas (CAC
: 79)
On peut donc constater qu'Antoine, dès son
premier contact avec ce pays, est frappé par le facteur langue. On parle
une langue qu'il ne connaît pas, ce qui ne fera que conforter ce
sentiment d'étrangeté. Toute la suite, pour lui, dans ce pays, ne
sera qu'étranger. Au-delà de la langue qu'il ignore, il trouve
tous les actes et pratiques exercés dans ce lieu, extérieurs
à sa personne:
Dans la maison, d'énormes cafards aux ailes
noires volaient [...] se jetaient dans les plats venant d'être servis
à table. Des rats aussi gros que des chats vous narguaient [...] tout
cela l'avait tenu à distance du repas. La vieille l'avait couché
sur un matelas de mousse que partageaient déjà les trois autres
gamins [...] elle l'avait couché, lui avait passé la paume de sa
main calleuse sur le visage [...] il refusait de s'abandonner à cette
caresse, de se mettre à aimer l'inconnu chez
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qui on l'avait jeté comme une pelure de patate au
fond d'une poubelle. Pouvait-on s'attacher au fond d'une poubelle ? »
(CAC : 80-82)
Ils sont nombreux ces facteurs qui participent
à faire de l'immigré un être plongé dans le
sentiment d'étrangeté. Nous en avons établis trois dans
notre corpus.
Dans ce chapitre, nous nous sommes focalisé sur
la personne de l'immigré dans son nouveau lieu de vie. L'étude de
la dimension psychique a primé sur celle physique car elle est celle qui
participe le plus de la naissance du sentiment du retour. On a pu
établir que le séjour de l'immigré n'est pas toujours
agréable car ce dernier, en plus d'être inconfortablement
épanoui sur les plans socio-économiques et administratif, pour
d'aucuns, est en proie aux préjugés et au regard de l'autre. Il
développe alors un sentiment d'étrangeté et d'angoisse
profonde. Tout cela porte atteinte à son intégration. Il figure
dès lors un personnage toujours marginalisé. Aussi comment
réagir, y faire face ? Comment, en effet, se positionner ? Comment se
définir ou alors vouloir se définir pour au moins exister ?
Telles sont entre autres les réflexions développées dans
le chapitre suivant.
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