III.2. L'étrangéité
Nombreux sont ces immigrés qui, plus ou moins
longtemps après leur arrivée en terre d'accueil, ont le sentiment
de demeurer étrangers dans leur être. Ils sont conscients du fait
que cette nouvelle terre ne leur appartient pas. Il est évident que
demeurer dans ce sentiment est l'un des facteurs d'une auto-marginalisation et
donc d'une non-intégration. Pour Brigitte Fichet (2004), est
étranger « celui qui est l'objet de mise à l'écart
par le groupe majoritaire qui ne reconnaît aucune appartenance au groupe,
quels que soient ses points communs ou ses différences objectivement
partagées par les membres du groupe ». C'est dans cette logique que
nous appréhendons le concept d'étranger, bien qu'il sera
davantage question d'expliquer les raisons de cette « mise à
l'écart » ou alors parfois, de cette auto-mise à
l'écart par soi-même qui, dès cet instant, le disqualifie
d'une probable intégration.
III.2.1. La solitude
La prise de conscience de la solitude est l'un des
facteurs concourant au développement de ce sentiment immigré. Il
arrive à un moment donné que l'immigré prenne conscience
de ce qu'il est « seul »25. Il réalise en effet
que, contrairement à tout ce monde qui l'entourait jadis dans le pays
laissé et dont il maîtrisait les contours, il semble
désormais, beaucoup plus un être-jeté-au-monde. Il doit
créer ses propres contours. Le narrateur de Voici venir les
rêveurs décrit cet aspect lorsqu'il nous
présente Jende qui vient de décrocher un emploi, ce qui le rend
fier.
25 Abandonné à
ses dépens d'un point de vue psychique.
39
À Limbé, il aurait bondi hors de la
voiture, pris le premier venu dans ses bras et crié devant tout le
monde, Bo26, tu ne vas jamais deviner ce qui vient de m'être
dit. À New Town, il serait forcément tombé sur une
connaissance avec qui partager la nouvelle ; pas comme ici, dans les rues du
Bronx bordées de vieilles maisons [...] il y avait bien un jeune noir
qui marchait avec des écouteurs [...] trois asiatiques qui pouffaient
[...] il y avait un Africain aussi, mais vu sa peau noire, son visage anguleux
[...] cet Africain-là était très certainement un
sénégalais ou un Burkinabè [...] Jende ne pouvait pas lui
tomber dans les bras sous-prétexte qu'ils étaient tous deux
Africains. » (VVR : 24)
À travers la description de cette scène,
on comprend clairement que Jende ne se sent pas chez lui, parmi les siens. On
remarque effectivement que ce n'est pas une présence humaine qui lui
manque -car ils sont nombreux dans la rue, les Africains aussi- mais il se sent
différent de toutes ces personnes. Il n'est pas des leurs, il est
étranger à toutes ces personnes, à tout cet environnement,
ou alors inversement. Jende est conscient de ce qu'il est seul, qu'il est un
étranger. Cette solitude, bien que perceptible par bribes dans
CAC, n'a pas la même ampleur que celle ressentie par les
personnages de VVR. Cela peut s'expliquer par le fait que le destin
des personnages de CAC semble croisé. En effet, on peut dire de
Thamar qu'elle a longtemps été seule, de par le temps qu'elle a
passé dans la rue. Mais pareille affirmation pêcherait par vice de
flexibilité. Elle recevait la visite27 de l'un de ses fils de
manière périodique. Et c'est toujours l'un de ses fils qui la
fait sortir de la rue.
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