III.1.3 Les immigrés : victimes d'abus et des
peurs
Une autre forme du phénomène
décrit, observée chez les personnages de CAC,
est celle liée à leur condition de clandestin sur le
territoire français. Cette situation les expose à diverses formes
d'abus et les amène à se poser des questions au rang desquelles
pourquoi ils y sont. Si Maxime « avait dû faire appel [...] pour se
faire employer, acquérir une expérience valable dans son domaine,
gagner sa vie » (CAC : 58), cela montre qu'il
est de ce fait exposé aux arnaques et abus de toutes sortes. Son
frère Antoine est sans pitié pour lui. Il ne manque pas
l'occasion de se faire de l'argent sur son dos. Si le narrateur, tentant
d'expliquer les motivations d'Antoine, souligne qu'il « avait vu là
l'occasion de se venger de ce demi-frère qui avait toujours
été si parfait, si solide, si responsable »
(Ibid.) et que Maxime, lui, ne voit pas
véritablement en cela un problème, il reste qu'il n'est pas sans
inquiétude. D'ailleurs, pour peu que s'offre l'occasion de sortir de ces
murailles dressées par son frère, il n'hésite pas un seul
instant.
Maxime n'est pas le seul immigré victime de la
cupidité d'Antoine. Moustapha, un autre immigré clandestin, en
fait aussi les frais. Antoine « gardait une visibilité assez nette
sur les avoirs de Staff [...] si le salaire avait augmenté, il l'aurait
su. » (CAC : 100). Profiter de la situation des
immigrés pour leur enfoncer le couteau dans la plaie, non seulement cela
nourrit en eux un profond malaise, mais cela constitue un fardeau difficile
à transporter et s'érige en une sorte de hantise. Telle est la
situation de Maxime et de Moustapha. Tous deux finiront, heureusement pour eux,
par trouver une issue favorable. Si Maxime, certainement par amour pour son
frère, lui tiendra la main plus-tard, ce n'est pas le cas pour Moustapha
qui avait hâte de « lui démontrer qu'il serait bientôt
aisé de se débarrasser de lui. » (CAC
: 103)
Par ailleurs, l'angoisse observée chez les
personnages de Voici venir les rêveurs n'a pas
les mêmes fondements. Contrairement à Ces âmes
chagrines qui décrit à quel point cela peut
être rongeur et dévastateur, Voici venir les
rêveurs montre que cela est dû aux mécanismes
à emprunter pour améliorer leurs conditions plus ou moins
prometteuses. Autrement dit, les personnages décrits sont
angoissés non pas par ce qu'ils vivent, mais parce qu'ils redoutent les
jours à venir. Écoutons Jende se confier à son patron
Clark Edwards :
Car mon pays n'est pas bon, monsieur,
commença-t-il. Il n'a rien à voir avec l'Amérique. Si
j'étais restée dans mon pays, je ne serais devenu rien du tout.
Je serais resté un rien du tout. Mon fils serait devenu un homme pauvre
comme moi, qui suis devenu pauvre comme mon père. Mais en
Amérique Monsieur, je
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peux devenir quelqu'un. Je peux même de venir un
homme digne de respect. Mon fils peut devenir un homme digne de respect.
(VVR : 49)
Si la confession de Jende à son patron connote
d'emblée une comparaison mettant aux prises Jende, le pays laissé
et le pays rêvé, il y transparaît, en toile de fond, une
préoccupation beaucoup plus sérieuse. Jende est inquiet et
espère que son fils soit ce qu'il n'aurait jamais pu être dans son
pays natal. Apparaît donc la peur de l'échec. L'immigré a
peur de l'échec, peur de ne pas pouvoir réussir. Cette angoisse
s'érige en hantise et emmène l'immigré à être
prêt à tout pour ne pas sombrer dans l'échec. S'il est vrai
que « le premier contact avec l'Europe se révèle très
décevant d'autant que les personnages ont longtemps rêvé de
ce voyage », pense Christiane Albert (2005), plus décevant l'est
encore, lorsque ceux-ci s'installent dans la durée. Une autre forme de
sentiment qu'ils développent à cet effet est
l'étrangéité.
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