Section II : Une question tranchée par le
Conseil constitutionnel
Lorsqu'une exception d'inconstitutionnalité est
soulevée devant une juridiction, celle-ci transmet la question au
Conseil constitutionnel qui a compétence exclusive289 pour la
trancher. Pour ce faire, il sied de rappeler qu'il y a eu une évolution
dans le mode de saisine du juge constitutionnel (§1). Il
nous paraît opportun d'évoquer également le
déroulement de l'instance constitutionnelle
(§2).
§1 : L'évolution du mode de saisine du
Conseil constitutionnel
Au titre de l'évolution du mode d'introduction de la
question de constitutionnalité au prétoire du juge
constitutionnel, il y a lieu de retenir qu'au départ, seule une
juridiction avait la compétence pour saisir le juge constitutionnel
(A). Mais, désormais, les parties à une instance
peuvent directement saisir le juge constitutionnel d'une exception
d'inconstitutionnalité : c'est ce qu'il conviendrait d'appeler «
une saisine directe par voie d'exception » (B).
A. L'exigence de la qualité de juridiction
En droit constitutionnel burkinabè, exception faite du
cas de la saisine politique290, l'accessibilité du
prétoire du juge constitutionnel n'a jamais été
aisée. Il est vrai que l'exception d'inconstitutionnalité devait
permettre aux justiciables d'accéder au juge constitutionnel. Mais,
cette accession se fait par l'intermédiaire des juges
ordinaires291. Toutefois, l'exception d'inconstitutionnalité
peut être déclarée irrecevable pour de nombreuses raisons.
En effet, la non reconnaissance du pouvoir de saisir le juge constitutionnel
peut résulter de la nature même
289 L'exclusivité de la compétence du Conseil
constitutionnel pour statuer sur la constitutionnalité des lois est
tirée de l'article 152 al.1 de la Constitution du 02 juin 1991.
290 Il s'agit de la saisine a priori
réservée aux personnalités citées à
l'alinéa premier de l'article 157 de la Constitution du Burkina Faso.
291 Bertrand DE LAMY, « Les principes constitutionnels
dans la jurisprudence judiciaire. Le juge judiciaire, juge constitutionnel ?
», RDP, n°3-2002, pp. 780-820.
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de l'organe292 devant lequel le litige est en
cours. Il s'agit des organes n'ayant pas la qualité de
juridictions293. L'exclusivité du droit de saisine du juge
constitutionnel est donnée aux seules juridictions. En effet, l'article
25 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel dispose clairement
que la juridiction devant laquelle l'exception d'inconstitutionnalité a
été soulevée « est tenue de surseoir à
statuer et de saisir le Conseil constitutionnel »294. Il
ressort qu'une exception d'inconstitutionnalité ne peut être
soulevée que devant un organe ayant la qualité de juridiction. Le
juge constitutionnel burkinabè l'a très bien exigé dans sa
décision n°2018-007/CC du 20 mars 2018295. Dans cette
affaire, monsieur BIRBA Ousmane, conseiller à la Cour d'appel de
Ouagadougou, est traduit devant le Conseil Supérieur de la Magistrature,
statuant comme conseil de discipline, « pour faute professionnelle et
manquement grave aux obligations liées à son statut ».
Devant cette instance, il soulève l'exception
d'inconstitutionnalité des articles 17 alinéa 2, et 30 de la loi
organique n°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation,
composition, attributions et fonctionnement du Conseil Supérieur de la
Magistrature et 137 al. 2 de la loi organique n°050-2015/CNT du 25
août 2015 portant statut de la magistrature. Le conseil de discipline
sursoit à statuer et saisit le Conseil constitutionnel sur
décision n°2018-03/CSM/CD du 24 février 2018296.
La solution du Conseil constitutionnel burkinabè a été de
déclarer la requête de monsieur BIRBA Ousmane irrecevable aux
motifs que, au terme de l'article 126 de la Constitution297, le
conseil de discipline n'a pas le statut de juridiction et qu'aucune loi ne lui
donne ce statut298, si bien qu'il n'a pas compétence pour
faire le renvoi au Conseil. Ainsi, selon le Conseil constitutionnel
burkinabè, l'exception d'inconstitutionnalité ne peut valablement
être soulevée que devant la Cour de cassation, le Conseil d'Etat,
la Cour des Comptes, le tribunal des conflits et les Cours et tribunaux
institués
292 Philippe BELLOIR, La question prioritaire de
constitutionnalité, Paris, l'Harmattan, 2012,
1ère édition, p. 28.
293 Il s'agit notamment des juridictions relevant de l'ordre
judiciaire ou de l'ordre administratif tel que prévu à l'article
126 de la Constitution burkinabè ou d'un organe ayant reçu la
qualité de juridiction par une loi spéciale.
294 Article 25 de la loi organique n°011-2000/AN du 27 avril
2000 sur le Conseil constitutionnel.
295 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2018-007/CC du 20 mars 2018 sur le recours en exception
d'inconstitutionnalité des articles 17 alinéa 2, et 30 de la loi
organique n°049-2015/CNT du 25 août 2015 portant organisation,
composition, attributions et fonctionnement du Conseil Supérieur de la
Magistrature et 137, alinéa 2, de la loi organique n°050-2015/CNT
du 25 août 2015 portant statut de la magistrature
296 C'est cette décision qu'on qualifie, en droit du
contentieux constitutionnel, de « décision de renvoi ».
Celle-ci conditionnait la recevabilité de l'exception devant le juge
constitutionnel.
297 Selon cet article, les juridictions de l'ordre judiciaire
et de l'ordre administratif au Burkina Faso sont : la Cour de cassation, le
Conseil d'Etat, la Cour des Comptes, le tribunal des conflits et les Cours et
tribunaux institués par la loi.
298 V°. Le 6ème considérant
de la décision sus-évoquée.
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par la loi parce qu'étant les seuls organes ayant la
qualité de juridictions au sens de la Constitution
burkinabè299.
Par ailleurs, l'exception d'inconstitutionnalité doit
être introduite par une décision de la juridiction devant laquelle
elle a été soulevée300. Comme l'a si bien
souligné Pierre BON, la logique voudrait que « la question
d'inconstitutionnalité soit posée par les juges ou les tribunaux
»301. Ces derniers sont de ce fait les véritables
titulaires du pouvoir de saisir la juridiction constitutionnelle302.
Dès lors, l'introduction de la requête devant le Conseil
constitutionnel est déterminée par la décision de renvoi
du juge a quo. Il en résulte qu' « en aucune
manière » le juge constitutionnel ne peut être saisi par les
parties303. Ainsi le Conseil constitutionnel a-t-il rejeté la
demande du requérant qui l'avait saisi directement après le refus
de la Cour de cassation dans l'affaire EROH304.
Toutefois, ce régime a évolué.
Désormais, à la seule condition d'être en procès
devant l'une des juridictions visées par l'article 126 de la
Constitution, le justiciable peut saisir directement le Conseil constitutionnel
d'une exception d'inconstitutionnalité.
B. La consécration d'une saisine directe par
voie d'exception
Le contrôle de constitutionnalité en droit
burkinabè s'était pendant longtemps limité au
contrôle a priori par voie d'action et au contrôle a
posteriori par voie d'exception. Mais, la révision
constitutionnelle de 2015305 allait sonner le glas de ce
régime restreint de saisine du juge constitutionnel. En effet, l'article
157 al. 2 de la Constitution dispose « ... En outre, tout citoyen peut
saisir le Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois,
soit directement, soit par la procédure de l'exception
d'inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne
devant une juridiction... »306. Nombreux sont ceux qui ont
applaudi cette nouvelle réforme, car le constituant burkinabè
avait semblé consacrer une saisine directe du Conseil par
299 Article 126 de la Constitution du Burkina Faso du 02 juin
1991.
300 Eric NGANGO YOUMBIA, La justice constitutionnelle au
Bénin, Paris, l'Harmattan, 2016, p. 381.
301 Pierre BON, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Espagne (question de
constitutionnalité) », RFDC, n°41990, pp. 679-683.
302 Marilisa D'AMICO, « Juge constitutionnel, juges du
fond et justiciables dans l'évolution de la justice constitutionnelle
italienne », Annuaire International de Justice Constitutionnelle,
n°5/1989, 1991, pp. 79-96.
303 Augustin LOADA, Avis et Décisions
commentés de la justice constitutionnelle burkinabè de 1960
à nos jours, Op.cit., p. 122.
304 Décision n°2007-04/CC du 29 août 2007 sur
l'exception d'inconstitutionnalité de la société EROH.
305 Loi n°072-2015/CNT du 5 novembre 2015 portant
révision de la Constitution du 02 juin 1991.
306 Article 157 al.2 de la Constitution burkinabè du 02
juin 1991 révisée courant 2015.
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le citoyen comme c'est le cas au Bénin307.
Mais, le juge constitutionnel burkinabè ne l'entendait pas de cette
oreille. Pour lui, cette saisine directe du citoyen consacrée par la
Constitution est une saisine qui ne peut non plus intervenir qu'à
l'occasion d'un cas concret en litige308. La saisine est
conditionnée par l'existence d'un procès. Ainsi, le juge
constitutionnel, dans sa décision du 09 juin 2017, a rappelé que
« le citoyen ne peut valablement saisir directement le juge
constitutionnel sur la constitutionnalité des dispositions d'une loi
déjà promulguée que s'il est partie à une instance
pendante devant une juridiction et au cours de laquelle les dispositions
législatives attaquées ont étés invoquées
pour lui être fait application »309.
C'est également ce qui ressort de sa décision
n°2019-017/CC du 08 août 2019310. Dans cette
dernière, quatre citoyens tous résidants à Ouagadougou
ont, sur la base de l'article 157 alinéa 2 de la Constitution, saisi
directement le Conseil constitutionnel pour voir déclarer
l'inconstitutionnalité des dispositions de la loi n°044-2019/AN du
21 juin 2019 modifiant la loi n°025-2018 du 21 mai 2018 portant code
pénal. Mais, interprétant cet article 157 de la Constitution, le
juge constitutionnel décida que le citoyen « ne peut saisir le
Conseil constitutionnel de la constitutionnalité d'une loi que par la
voie de l'exception d'inconstitutionnalité soulevée devant une
juridiction dans une affaire le concernant, soit directement par lui-même
soit par les diligences de cette juridiction »311. Plus
récemment encore, le Conseil constitutionnel a
réitéré cette position en déclarant irrecevable la
requête introduite directement par cinq (5) citoyens pour
l'inconstitutionnalité des articles modificatifs du code
électoral312. Au regard des décisions
sus-évoquées, cela était tout à fait
prévisible, à moins que le Conseil constitutionnel ne se
résolve à opérer « un demi-tour jurisprudentiel
», a ironisé Ousséni ILLY313. Voilà
à quoi se réduit donc la saisine directe du citoyen au Burkina
Faso, une saisine directe certes, mais par voie d'exception.
307 Article 122 de la Constitution du Bénin.
308 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2017-014/CC du 09 juin 2017 sur l'exception
d'inconstitutionnalité de la loi sur la Haute Cour de Justice.
309 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2017-014/CC du 09 juin 2017.
310 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2019-017/CC du 08 août 2019 sur le recours en
inconstitutionnalité de la loi n°044-2019/AN du 21 juin 2019
modifiant la loi n°025-2018 du 21 mai 2018 portant code pénal.
311 V°. Le septième considérant de la
décision n°2019-017/CC du 08 août 2019.
312 V°. Conseil constitutionnel burkinabè,
décision n°2020-024/CC du 16 octobre 2020 sur le recours de DICKO
Harouna et quatre autres en inconstitutionnalité des dispositions des
articles 50, 122.2, 148, 155 et 236 du Code électoral.
313 Propos tenus par le Professeur Ousséni ILLY lors de
la journée d'étude sur « L'universalité du vote
» organisée le 06 octobre 2020 par l'Institut de Recherche sur les
Finances, les Investissements au service du Développement (IRFID) dans
la salle de la réforme de l'Etat à l'ENAM.
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Pourtant, le constituant burkinabè nous avait paru bien
décidé à consacrer la saisine directe du particulier
indépendamment de tout procès, une saisine a posteriori
et par voie d'action. En effet, quand on jette un regard sur le dispositif
de l'article 122 de la Constitution béninoise, il ressort que le citoyen
peut saisir le juge constitutionnel « soit directement soit par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité ». Il y a là, à
première vue, une même écriture dans les Constitutions
béninoise et burkinabè mais une interprétation
différente de la part des juges constitutionnels béninois et
burkinabè, étrangement. Selon Relwendé Louis Martial
ZONGO, « c'est exactement comme si l'on retirait au citoyen-plaideur de la
main gauche ce qu'on lui avait donné de la main droite, dans l'euphorie
de la révision constitutionnelle de 2015 »314. Le juge
constitutionnel burkinabè venait-il de torpiller un droit accordé
par la Constitution aux citoyens ? Quoi qu'il en soit, le juge constitutionnel
est la « bouche de la Constitution »315. La Constitution
est ce que le juge dit qu'elle est. Le juge constitutionnel est « le seul
dépositaire de la vérité constitutionnelle
»316. C'est son rôle d'interpréter la Constitution
pour préciser ou éclairer ses dispositions317. Il en
est « l'interprète authentique »318 et son
interprétation prévaut sur celle des doctrinaires319.
Il a rendu sa décision et nous devons nous en tenir.
La bonne nouvelle tirée de cette décision
controversée du juge constitutionnel burkinabè réside dans
l'assouplissement de la procédure de l'exception
d'inconstitutionnalité. Cette décision consacre entre autres le
dépassement320 de l'exigence de la qualité de
juridiction pour saisir le juge constitutionnel. En affirmant que le citoyen ne
peut directement saisir le Conseil constitutionnel que par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité, le juge constitutionnel
burkinabè venait de soustraire l'exception d'inconstitutionnalité
des désidératas des magistrats, juges du fond. Grâce
à cette saisine directe par voie d'exception, le justiciable
burkinabè n'a nul besoin de la bénédiction du juge
chargé de trancher le litige au principal avant de faire entendre sa
cause au prétoire du Conseil constitutionnel. L'exception
d'inconstitutionnalité peut
314 Relwendé Louis Marial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Op.cit., pp. 139164.
315 Abdoulaye SOMA, « Le statut du juge constitutionnel
africain », Op.cit., p. 451.
316 Marie-Claire PONTHOREAU, « Réflexions sur le
pouvoir normatif du juge constitutionnel en Europe continentale sur la base des
cas allemand et italien », Cahiers du Conseil Constitutionnel,
n°24-2008, 8 p.
317 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Paris, Dalloz, 2013, 7ème édition,
p. 75.
318 Marie-Anne COHENDET, Droit constitutionnel, Paris,
Montchrestien, 2015, p. 204.
319 Robert Mballa OWONA, « L'autorité de la chose
jugée des décisions du juge constitutionnel en Afrique
francophone », in Oumarou NAREY (dir.), La justice
constitutionnelle, Op.cit., p. 424.
320 En parlant du « dépassement » de
l'exigence de la qualité de juridiction, nous faisons allusion au refus
de recevoir la requête introduite directement par les parties au
procès ordinaire. Ce dépassement ne concerne ainsi que les
parties en litige. Un autre organe qui n'a pas la qualité de juridiction
ne saurait saisir valablement le Conseil constitutionnel d'un recours
préjudiciel en exception d'inconstitutionnalité.
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désormais être introduite devant le Conseil
constitutionnel soit directement par le justiciable, soit par les diligences de
la juridiction du fond321. Cela est une particularité du
paysage constitutionnel burkinabè322. Toutefois, l'exception
d'inconstitutionnalité sur saisine des parties au litige peut
entraîner des perturbations dans le déroulement du
procès323. Cela a été le cas notamment «
dans l'affaire du Procès du dernier gouvernement Tiao. Dans
cette affaire, c'est le Conseil constitutionnel qui, à travers une
missive, avait informé la Haute Cour de Justice de sa saisine et l'avait
enjoint à surseoir à statuer »324.
En tout état de cause, l'évolution du mode de
saisine du juge constitutionnel burkinabè par la voie exceptionnelle
facilitera aux justiciables l'accès au juge constitutionnel. Cette
évolution leur permettra de ne plus être bloqués par le
refus des juridictions ordinaires comme ce fut le cas dans l'affaire
EROH. Ce qui est rassurant pour les justiciables qui se voient
s'ouvrir davantage les portes325 de l'instance constitutionnelle.
§2 : Le déroulement de l'instance
constitutionnelle
L'ouverture de l'instance constitutionnelle est actée
dès le moment de l'introduction de la requête devant la
juridiction constitutionnelle. La requête doit, sous peine
d'irrecevabilité, obéir à une forme rigoureusement
précisée (A). Il s'en suit une procédure
contradictoire devant le juge constitutionnel (B).
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