A. Une absence d'examen de la recevabilité de la
requête
Sur la recevabilité de l'exception devant le juge
ordinaire, la législation burkinabè brille par son silence. En
effet, au Burkina Faso, les conditions de recevabilité de la
procédure de l'exception d'inconstitutionnalité ne sont ni
prévues par la Constitution ni par la loi organique sur le Conseil
constitutionnel. Il s'agit là d'une « erreur digne d'un profane du
droit qui a été commise par le législateur
»268. Toutefois, cette omission, soit-elle intentionnelle ou
pas, profite tout de même aux justiciables. Ainsi, à défaut
de toute précision sur la question, la requête en exception
d'inconstitutionnalité n'est soumise à aucune condition autre que
celle de l'existence d'un procès encore moins à un contrôle
préalable de la part du juge du fond.
Par contre, en droit comparé français, le juge
ordinaire opère un contrôle de pertinence sur la requête en
inconstitutionnalité269. Il s'agit d'un double filtrage
tendant à la vérification de la recevabilité de la
requête dont une première vérification par le juge du fond
et une
265 Alessandro PIZZORUSSO, « Un point de vue comparatiste
sur la réforme de la justice constitutionnelle française »,
RFDC, n°4-1990, pp. 659-671.
266 A la seule et unique condition de répondre à la
qualité de juridiction. V°. Infra., pp. 39-40.
267 Augustin LOADA, Avis et Décisions
commentés de la justice constitutionnelle burkinabè de 1960
à nos jours, Op.cit., p. 122.
268 Ibrahim David SALAMI et Diane O. Melone GANDONOU,
Droit constitutionnel et institutions du Bénin,
Op.cit., p. 380.
269 Ibidem.
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deuxième par la juridiction suprême de l'ordre
concerné. Ainsi, pour le premier filtrage, pour que la QPC soit
recevable, il faut que la disposition législative contestée ait
un lien avec le litige270. Cela est une condition sine qua non
pour sa recevabilité devant le juge ordinaire. Il faut que la
décision au fond soit différente selon que la loi est
inconstitutionnelle ou non271. Le recours sera donc
déclaré irrecevable lorsque la norme contestée n'est pas
applicable en l'espèce et si le demandeur à l'instance principale
ne puisse pas obtenir satisfaction même en cas
d'inconstitutionnalité de la norme contestée272.
Dès lors, seule une QPC soulevée contre une loi directement
applicable au litige273 demeure recevable devant le juge du fond.
Celui-ci doit vérifier si la disposition contestée commande
l'issue du procès274. A cet effet, Thierry Serge RENOUX
écrivait que « Le moyen tiré de
l'inconstitutionnalité d'une disposition législative ne peut
être soulevée que lorsque la disposition contestée commande
l'issue du litige, la validité de la procédure ou constitue le
fondement des poursuites... »275. C'est seulement lorsque cette
condition est remplie que le juge du fond pourra transmettre la question au
juge suprême qui opèrera alors un second filtrage. La juridiction
suprême elle, vérifiera si la question est nouvelle276
ou si elle présente un caractère sérieux277.
Il est clair qu'il existe, au regard de la procédure,
une très grande différence entre le mécanisme
burkinabè et celui français. Par ailleurs, ce refus d'accorder au
juge ordinaire burkinabè la possibilité d'avoir un regard sur la
recevabilité de la requête en exception
d'inconstitutionnalité nous paraît appréciable au moins sur
un double point de vue. D'abord, cela nous semble judicieux parce qu'il permet
de garantir la célérité de la
procédure278. En effet,
270 Article 23-2 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la
Constitution française.
271 Christian AUTEXIER, « L'exception
d'inconstitutionnalité en droit allemand », RFDC,
n°04-1990, pp. 672675.
272 Ibidem.
273 Philippe ARDANT et Mathieu BERTRAND, Institutions
politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ, 2013,
25ème édition, p. 94.
274 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2010, 9ème
édition, p. 44.
275 Thierry Serge RENOUX, « L'exception telle est la
question », Op.cit., pp. 651-658. Voir aussi la décision
du Conseil constitutionnel français, DCC n°2010-1, QPC du 28 mai
2010.
276 Une question déjà tranchée par le
juge constitutionnel ne saurait être recevable à moins qu'il y ait
eu un changement de circonstances. V°. Conseil constitutionnel
français, DCC n°2009-595 du 3 décembre 2009 sur
l'application de l'article 61-1 de la Constitution. Voir aussi Mathieu BERTRAND
et Michel VERPEAUX (dir.), L'autorité des décisions du
Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 2010, p. 25.
277 Article 23-4 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à la QPC. Sur le caractère
sérieux de la question, lire Christian AUTEXIER, « l'exception
d'inconstitutionnalité en droit allemand », Op.cit., pp.
672-675.
278 Tandis qu'au Burkina Faso, lorsqu'une exception
d'inconstitutionnalité est soulevée, le juge du fond doit
effectuer sans attendre le renvoi au Conseil constitutionnel qui doit statuer
dans un délai d'un (1) mois, en France, une QPC peut prendre plus de six
(6) mois pour être vidée : trois (3) mois pour la juridiction
suprême et trois (3)
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la requête passera du juge ordinaire au juge
constitutionnel en moins de temps que s'il y avait un contrôle
préalable de la requête comme c'est le cas en France. Ensuite,
cela permettrait d'éviter que le juge ordinaire se substitue au juge
constitutionnel parce qu'en procédant à un examen de la
recevabilité de la requête, le juge ordinaire pourrait
indirectement s'adonner à un véritable contrôle de
constitutionnalité279. Comme l'a si bien expliqué
Thierry SANTOLINI, il serait difficile pour les juges ordinaires de ne pas
aborder « le fond » de la question d'inconstitutionnalité et
d'empiéter aussi sur la compétence exclusive du juge
constitutionnel280. Ainsi, le constitutionnalisme281
gagnerait mieux à maintenir cette procédure remarquablement
simplifiée qui ne donne au juge ordinaire nul autre choix que de
surseoir à statuer et d'effectuer le renvoi préjudiciel au
Conseil constitutionnel.
B. Une obligation immédiate de renvoi
préjudiciel
L'article 157, alinéa 2 de la Constitution du Burkina
Faso dispose en des termes clairs « En outre, tout citoyen peut saisir le
Conseil constitutionnel sur la constitutionnalité des lois, soit
directement, soit par la procédure de l'exception
d'inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne
devant une juridiction. Celle-ci doit surseoir à statuer jusqu'à
la décision du Conseil constitutionnel qui doit intervenir dans un
délai maximum de trente jours à compter de sa saisine ».
Pour sa part, la loi organique relative au Conseil
constitutionnel282 à son article 25 emploie l'expression
« celle-ci est tenue de surseoir à statuer... ». Il
ressort de ces deux dispositions que dès l'instant où une
exception d'inconstitutionnalité aura été soulevée
devant une juridiction, celle-ci doit immédiatement surseoir à
statuer et saisir le Conseil constitutionnel. Le juge ordinaire se trouve
dès lors en situation de compétence liée aussi bien pour
le sursis à statuer que pour le renvoi283. Ainsi, on remarque
qu'au Burkina Faso,
mois pour le Conseil constitutionnel (annoter que le juge du
fond a 8 jours pour transmettre la QPC à la juridiction suprême).
Cf., les articles 23-4 et 23-10 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la
Constitution française.
279 Thierry SANTOLINI, « La question prioritaire de
constitutionnalité au regard du droit comparé », Revue
Française de Droit Constitutionnel, n°93, 2013/1, pp.
83-105.
280 Ibidem.
281 Le constitutionnalisme est une théorie du droit qui
insiste sur le rôle et la fonction de la Constitution dans la
hiérarchie des normes ainsi que sur le contrôle
de constitutionnalité. Voir dans ce sens Théodore HOLO, «
Emergence de la justice constitutionnelle », Revue Pouvoirs,
n°129, 2009/2, pp. 101-114.
282 Loi organique n°011-2000/AN du 27 avril 2000 sur le
Conseil constitutionnel.
283 Relwendé Louis Martial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Op.cit., pp. 139164.
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l'introduction d'un moyen d'inconstitutionnalité oblige
le juge du fond à surseoir sans condition et à effectuer le
renvoi préjudiciel.
Toutefois, on pourrait voir un certain manque de rigueur dans
la formulation de la loi organique sur le Conseil constitutionnel qui s'est
simplement limitée à disposer que la juridiction du fond «
est tenue de surseoir à statuer ». En effet, le législateur
organique, afin qu'il ne subsiste aucune ambigüité, aurait pu se
montrer beaucoup plus rigoureux à l'image des législateurs
organiques nigérien et béninois. A ce titre, la loi organique sur
la Cour constitutionnelle du Niger dispose à son article 26 que
« La juridiction devant laquelle l'exception
d'inconstitutionnalité a été soulevée transmet
immédiatement à la Cour constitutionnelle l'expédition ou,
à défaut, l'attestation du jugement avant-dire-droit. Dans les
cinq (5) jours, la personne qui a soulevé l'exception
d'inconstitutionnalité saisit la Cour constitutionnelle par
requête adressée à son président
»284. Pour sa part, la loi organique sur la Cour
constitutionnelle du Bénin précise que la juridiction devant
laquelle l'exception d'inconstitutionnalité a été
soulevée « doit saisir immédiatement et au plus tard
dans les huit jours la Cour constitutionnelle et surseoir à statuer
jusqu'à la décision de la Cour »285.
A l'évidence, les législateurs organiques
nigérien et béninois se sont montrés beaucoup plus
rigoureux que celui burkinabè sur l'obligation faite au juge ordinaire
d'effectuer illico presto286 le renvoi préjudiciel
dès qu'une exception d'inconstitutionnalité aura
été soulevée devant lui. Mais, quoi qu'il en soit, cette
obligation de renvoyer immédiatement la question au juge
constitutionnel est aussi sous-entendue dans la formule consacrée par la
loi organique sur le Conseil constitutionnel burkinabè. En effet, selon
notre analyse, lorsque le législateur organique affirme que la
juridiction « est tenue de surseoir » sans autre condition,
il l'oblige par là même à s'exécuter
immédiatement. C'est donc à tort que la Cour de cassation
burkinabè s'était adonnée à un contrôle du
caractère sérieux de la requête en exception
d'inconstitutionnalité introduite dans l'affaire EROH287.
La Cour affirmait que « l'exception soulevée l'est à
des fins purement dilatoires et que le moyen tiré de ce chef n'a pas un
caractère sérieux...et que le juge doit écarter tout moyen
dilatoire »288. Sauf qu'il ne lui revenait pas
284 Loi organique n°2012-35 du 19 juin 2012
déterminant l'organisation, le fonctionnement de la Cour
constitutionnelle du Niger et la procédure suivie devant elle.
285 Article 24 al.2 de la loi organique n°91-009 du 4 mars
1991 sur la Cour constitutionnelle du Bénin.
286 Expression tirée du latin illico et de
l'italien presto qui signifie « immédiatement ».
287 V°. Conseil constitutionnel, DCC n°2007-04/CC du
29 août 2007 sur l'exception d'inconstitutionnalité de la
Société EROH.
288 V°. Ordonnance de référé
n°11/2007/G.C/C.ASS du 05 juillet 2007.
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d'exercer un tel contrôle. Les conditions de
recevabilité de la question sont laissées à la seule
discrétion du Conseil constitutionnel.
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