Section I : Une question soulevée devant le juge
ordinaire
Comme n'importe quelle exception de procédure
soulevée devant le juge ordinaire, l'exception
d'inconstitutionnalité doit respecter quelques exigences classiques
(§1). Toutefois, au Burkina Faso, la procédure
devant le juge ordinaire demeure remarquablement simplifiée
(§2).
§1 : Un mode d'introduction classique de
l'exception
Le caractère classique réside dans le fait qu'on
ne peut soulever une exception d'inconstitutionnalité que dans le cadre
d'un procès, c'est-à-dire uniquement à titre incident
(A). Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que ce moyen peut
être invoqué à n'importe quel moment de la procédure
(B).
A. Un mécanisme intervenant à titre
incident
L'exception d'inconstitutionnalité n'est pas un recours
direct232. L'article 157 alinéa 2 de la Constitution
burkinabè dispose que « tout citoyen peut saisir le Conseil
constitutionnel sur la constitutionnalité des lois...par la
procédure de l'exception d'inconstitutionnalité invoquée
dans une affaire le concernant devant une juridiction ». A la lecture
de cette disposition, il ressort que c'est au cours d'une instance qu'un
justiciable pourra soulever qu'une disposition législative est contraire
à la Constitution233. Il s'agit d'un mécanisme tendant
à introduire un contrôle incident de constitutionnalité des
lois234. Pour Théodore HOLO, l'exception
d'inconstitutionnalité est exclusivement réservée au
justiciable235. Le mot justiciable signifie qu'il soit dans un
litige236. De ce fait, l'exception d'inconstitutionnalité
n'est
232 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2010, 9ème
édition, p. 243.
233 Marie-Claire PONTHOREAU, Droit(s) constitutionnel(s)
comparé(s), Paris, Economica, 2010, p. 373.
234 Alessandro PIZZORUSSO, « Un point de vue comparatiste
sur la réforme de la justice constitutionnelle française »,
RFDC, n°4-1990, pp. 659-671.
235 Théodore HOLO, « Le citoyen, pierre angulaire
de la justice constitutionnelle au Bénin », Communication au
6ème Congrès de l'Association des Cours et Conseil
constitutionnels ayant en partage l'usage du français, Marrakech, du 4
au 6 juillet 2012.
236 Antoine MESSARA, « Le citoyen et la justice
constitutionnelle : problème et aménagement à la
lumière de l'étude de la Commission de Venise et en perspective
comparée », Communication au 6ème Congrès
de l'Association des Cours et Conseil constitutionnels ayant en partage l'usage
du français, Marrakech, du 4 au 6 juillet 2012, p. 125.
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qu'une « parenthèse dans le procès »,
insiste Ibrahim SALAMI237. Ainsi, à l'inverse du
contrôle a priori par voie d'action qui est abstrait,
l'exception d'inconstitutionnalité est pour sa part un contrôle
concret de la constitutionnalité des lois. Cela signifie qu'elle doit
être soulevée, à peine
d'irrecevabilité238, devant un juge ordinaire, dans « un
cas concret en litige »239. Dès lors, seule une partie
au procès peut soulever l'inconstitutionnalité d'une loi
promulguée240. Tel est le principe du contrôle par voie
d'exception241. Par ailleurs, le juge constitutionnel
burkinabè a affirmé que seuls les justiciables ayant le statut de
citoyen peut valablement soulever une exception
d'inconstitutionnalité242. Ainsi, le citoyen burkinabè
ne peut être lié au contentieux de la constitutionnalité
des lois qu'en qualité de justiciable. En effet, pour Catherine CASTANO,
l'exception d'inconstitutionnalité ne serait qu'une voie
dérogatoire qui accorde aux citoyens la possibilité d'invoquer
l'inconstitutionnalité d'une loi lors d'un procès243,
et seulement au cours du procès. C'est aussi le point de vue de Pierre
BON pour qui la question de constitutionnalité se pose à
l'occasion d'un procès se déroulant devant le juge
ordinaire244.
Le juge constitutionnel burkinabè n'est pas
resté en marge de ces considérations. En effet, il va
réaffirmer dans l'un des considérants de sa décision du 08
août 2019 « que le citoyen...ne peut saisir le Conseil
constitutionnel sur la constitutionnalité d'une loi que par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité soulevée devant une
juridiction dans une affaire le concernant... »245.
Cette décision du Conseil constitutionnel fait de la
nécessité d'un litige ordinaire246 une obligation
préalable conditionnant sa saisine par le citoyen. Dès lors,
contrairement à l'idée répandue, l'exception
d'inconstitutionnalité « ne crée pas une saisine du Conseil
constitutionnel par le justiciable, mais un simple renvoi par le juge
» ordinaire247. Cela conforte l'idée selon laquelle
au Burkina Faso, il s'agit plus d'une question préjudicielle de
237 Ibrahim David SALAMI, « Exception
d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au
Bénin et au Congo », Revue Burkinabè de Droit,
n°51-2ème semestre, 2016, pp. 9-41.
238 Philippe BELLOIR, La Question Prioritaire de
Constitutionnalité, Paris, l'Harmattan, 1ère
édition, p. 25.
239 Alec STONE, « Qu'y a-t-il de concret dans le
contrôle abstrait aux Etats-Unis », RFDC, n°34/1998,
pp. 227250.
240 Ibidem.
241 Guillaume DRAGO, Contentieux constitutionnel
français, Paris, PUF, 2011, 3ème édition,
p. 36.
242 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2020-030/CC du 13 novembre 2020 et DCC n°2021-006/CC du 08
février 2021.
243 Catherine CASTANO, « L'exception
d'inconstitutionnalité : la contrainte du droit, la force du politique
», RFDC, n°4-1990, pp. 631-649.
244 Pierre BON, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Espagne (Question de
constitutionnalité) », RFDC, n°41990, pp. 679-683.
245 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DCC
n°2019-017/CC sur le recours en inconstitutionnalité de la loi
n°044-2019/AN du 21 juin 2019 modifiant la loi n°025-2018/AN du 31
mai 2018 portant Code pénal.
246 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux
constitutionnel, Paris, Montchrestien, 2010, 9ème
édition, p. 243.
247 Thierry Serge RENOUX, « L'exception telle est la
question », RFDC, n°4-1990, pp. 651-658.
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constitutionnalité adressée par le juge
ordinaire au Conseil constitutionnel que d'une exception
d'inconstitutionnalité. Sauf ce recours préjudiciel, la
juridiction constitutionnelle ne connaîtra pas de la saisine des
justiciables248. D'ailleurs, dans un système concentré
de contrôle de constitutionnalité249, ce titre «
exception d'inconstitutionnalité » paraît impropre et n'a
été adopté que par facilité, dixit Louis
FAVOREU250.
Par ailleurs, force est de constater que ce mécanisme,
maladroitement appelé « exception d'inconstitutionnalité
», pourra être soulevée à n'importe quel moment de la
procédure.
B. Une requête introduite à tout
moment de la procédure
Il y a lieu de préciser qu'au Burkina Faso, le moyen
tiré de l'exception d'inconstitutionnalité devant le juge
ordinaire est généralement introduit par un mémoire du
requérant251. Toutefois, ce moyen peut aussi être
soulevé oralement à l'audience par le justiciable252,
c'est-à-dire en plein procès devant le juge du fond. Ainsi, au
Burkina Faso, l'exception d'inconstitutionnalité peut être
soulevée à n'importe quel moment de la procédure, devant
n'importe quel juge, quel que soit le litige dont il est question253
et par n'importe laquelle des parties254. En effet, le
législateur organique burkinabè n'ayant fait aucune
spécification255, l'exception d'inconstitutionnalité
devrait pouvoir être soulevée à tout moment et à
toute hauteur de la procédure ou de débat256 quel que
soit le litige en cause et peu importe la juridiction
248 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Op.cit., pp. 437-466.
249 Dominique CHAGNOLLAUD, Droit constitutionnel
contemporain, Paris, Dalloz, 2013, 7ème édition,
p. 72.
250 Louis FAVOREU, « L'exception
d'inconstitutionnalité est-t-elle indispensable en France ? », Les
méthodes de travail des juridictions constitutionnelles, Annuaire
International de Justice Constitutionnelle, n°8-1992, 1994, pp.
11-22.
251 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, DDC
n°2019-015/CC sur l'exception d'inconstitutionnalité de l'article
67 de la loi du 13 novembre 1996 portant code pénal. Dans cette
décision, il ressort clairement que le requérant avait introduit
le moyen tiré de l'exception d'inconstitutionnalité dans un
mémoire soumis au juge du fond.
252 Voir le deuxième considérant de la
décision du Conseil constitutionnel burkinabè dans sa
décision du 13 novembre 2020 dans lequel il est transcrit que le
requérant avait « soulevé oralement à l'audience,
l'exception d'inconstitutionnalité de l'article 53 de la loi
sus-évoquée ». Lire aussi Ibrahim David SALAMI, «
Exception d'inconstitutionnalité et principe d'égalité au
Bénin et au Congo », RBD, n°51-2ème
semestre, 2016, pp. 9-41.
253 Jean-Paul VALETTE, Droit constitutionnel, Paris,
l'Harmattan, 2013, p. 66.
254 Ibrahim David SALAMI et Diane O. Melone GANDONOU,
Droit constitutionnel et institutions du Bénin,
Op.cit., p. 379.
255 Lire la loi organique n°011/2000/AN du 27 avril 2000 sur
le Conseil constitutionnel.
256 Ibrahim David SALAMI et Diane O. Melone GANDONOU,
Droit constitutionnel et institutions du Bénin,
Op.cit., p. 379.
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ordinaire devant laquelle il est pendant257.
L'exception peut dès lors être soulevée à tous les
stades du procès, dès la prise de connaissance par les parties
des textes applicables au litige258. Par ailleurs, contrairement
à ce que laisse entendre l'article 157 alinéa 2 de la
Constitution, l'exception d'inconstitutionnalité n'est pas
réservée qu'au citoyen burkinabè. Le Conseil peut aussi
accueillir les requêtes émanant des
étrangers259.
Par contre, l'affirmation selon laquelle toutes les
juridictions sont compétentes doit être
nuancée260 notamment en droit comparé français.
En effet, le législateur organique français a expressément
prévu l'exclusion de certaines juridictions. D'abord, le moyen
tiré de l'inconstitutionnalité est irrecevable devant le juge
d'instruction. Si un tel moyen doit être présenté au cours
d'une information judiciaire, seule la juridiction d'instruction du second
degré est compétente261. De même, il est
interdit de soulever la QPC devant les Cours d'assises262.
Toutefois, les parties disposent de la faculté de soulever la QPC avant
le procès devant la cour d'assises d'appel dans un écrit
accompagnant la déclaration transmis à la Cour de
Cassation263. Ensuite, pour d'autres juridictions, l'exclusion
résulte du fait qu'elles ne relèvent pas des juridictions
suprêmes. Tel est le cas du Tribunal des conflits qui ne relève ni
du Conseil d'Etat ni de la Cour de cassation, mais est appelé à
se prononcer sur la répartition des contentieux entre l'ordre judiciaire
et l'ordre administratif. Le tribunal des conflits est donc exclu de la
question prioritaire de constitutionnalité. De même, la Cour
supérieure d'arbitrage, la Haute Cour chargée de juger le
Président de la République ne peuvent recevoir une
QPC264.
A propos de cette exclusion de la Cour d'assises du nombre des
juges habilités à recevoir des questions de
constitutionnalité, Alessandro PIZZORUSSO estime que « si l'on
retient, comme on le fait en Italie et en France, qu'ils (les juges populaires)
doivent être des juges aussi bien du droit que du fait, dans le cadre
d'un collège mixte, on ne voit pas pourquoi on devrait leur interdire de
participer à des décisions qui aboutissent à soulever des
questions de
257 Relwendé Louis Martial ZONGO, « L'accès
de l'individu au juge constitutionnel burkinabè »,
Op.cit., pp. 139164.
258 Mémorandum sur la loi organique relative à
l'exception d'inconstitutionnalité au Maroc, Conseil National des Droits
de l'Homme, Mars 2013, p. 4.
259 L'article 25 de la loi organique n°011/2000/AN du 27
avril 2000 sur le Conseil constitutionnel fait référence à
« tout justiciable ». Ce qui, dès lors, intègre les
étrangers se trouvant dans un contentieux sur le sol
burkinabè.
260 Philippe BELLOIR, La question prioritaire de
constitutionnalité, Paris, l'Harmattan, 1ère
édition, 2012, p. 27.
261 Article 23-1 al.3 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009 relative à la QPC.
262 Philippe BELLOIR, La question prioritaire de
constitutionnalité, Op.cit., p. 27.
263 Article 23-1 al.4 de la loi organique n°2009-1523 du 10
décembre 2009.
264 Philippe BELLOIR, La question prioritaire de
constitutionnalité, Op.cit., p. 28.
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constitutionnalité »265. Ainsi, selon
notre analyse, le système burkinabè serait le mieux adapté
dans la mesure où il permet une participation inclusive de toutes les
juridictions quelles qu'elles soient266 à la mise en oeuvre
du contentieux de la constitutionnalité des lois à travers
notamment le mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité. En
outre, force est de constater qu'au Burkina Faso, la procédure est d'une
remarquable simplicité.
§2 : Une procédure remarquablement
simplifiée
Au Burkina Faso, la loi n'est pas exhaustive sur la
procédure de l'exception d'inconstitutionnalité267. De
ce point de vue, la simplicité de la procédure réside dans
l'absence d'examen de la recevabilité de la requête (A)
et de l'immédiate obligation de renvoi (B) du
juge ordinaire.
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