A. L'opposabilité de la décision aux pouvoirs
publics
Il ressort des dispositions de la Constitution que les
décisions du Conseil constitutionnel burkinabè « s'imposent
aux pouvoirs publics... »541. Ce paramètre exige que les
décisions rendues par la juridiction constitutionnelle par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité, et pas seulement, doivent être
parfaitement respectées dans tout l'ordonnancement juridique interne
concerné. Comment pourrait-il en être autrement ? S'interroge
Abdoulaye SOMA542. Selon lui, « «
l'obligatoriété » des décisions rendues par le juge
constitutionnel est un principe du droit généralement
observé »543.
La détermination de la nature et de la portée de
l'autorité des décisions des juridictions constitutionnelles
africaines paraît, a priori, être une question
dépourvue d'intérêt, tant il est vrai que les dispositions
constitutionnelles qui la consacrent semblent claires. Mais, selon Delphine
Emmanuel ADOUKI, il ne s'agit en réalité que d' « une
obscure clarté » car, poursuit-elle, « ces dispositions
constitutionnelles ne livrent manifestement pas toutes les clefs de
compréhension en droit positif de l'autorité des décisions
du juge constitutionnel »544, « à l'exception du
Niger où l'alinéa 2 de l'article 134 de la Constitution dispose :
« Tout jet de discrédit sur les arrêts de la Cour est
sanctionné conformément aux lois en vigueur »
»545.
Par ailleurs, Dominique ROUSSEAU expliquait que les
décisions du Conseil doivent scrupuleusement être
exécutées par les pouvoirs publics546. A ce titre,
claire ou obscure, l'autorité des décisions du Conseil
constitutionnel est vraisemblablement respectée par tous les pouvoirs
publics au Burkina Faso. En effet, le Parlement ne s'est jamais aventuré
à adopter en termes identiques un texte que le Conseil venait de
censurer notamment sur exception d'inconstitutionnalité. Ce respect de
l'autorité des décisions du Conseil constitutionnel dont fait
montre les pouvoirs publics est notoire et sans conteste. Le Conseil
constitutionnel burkinabè l'a lui-même reconnu lors du
deuxième Congrès de la conférence Mondiale sur la justice
constitutionnelle tenu à Rio de Janeiro en Janvier 2011. En effet,
à cette occasion, la délégation du Conseil constitutionnel
du Faso affirmait en des termes clairs qu'« On sait par ailleurs que
l'article 2, alinéa 1 de la loi n°011-2000/ AN du 27 avril 2000
portant composition, organisation,
541 Article 159 al.2 de la Constitution burkinabè.
542 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Op.cit., pp. 437-466.
543 Ibidem.
544 Delphine Emmanuel ADOUKI, « Contribution à
l'étude des décisions du juge constitutionnel en Afrique »,
Op.cit., pp. 611-638.
545 Ibidem.
546 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
7ème édition, Op.cit., p. 170.
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attributions et fonctionnement du Conseil constitutionnel et
procédure applicable devant lui, qui prévoyait la prise en compte
de l'avis du Conseil Supérieur de la Magistrature dans la nomination des
magistrats au Conseil constitutionnel, a été modifié par
la loi organique n°034-2000/AN du 13 décembre 2000. Cette loi
modificative comporte la formule « sur proposition du Ministre
chargé de la justice ». Il est important de noter que cette
modification est intervenue suite à la décision
n°02-2000/CS/CC du 31 août 2000 sur la constitutionnalité de
la loi organique n°011-2000 relative au Conseil constitutionnel. Par cette
décision, le Conseil avait déclaré la formule «
Après avis du Conseil Supérieur de la Magistrature »
inconstitutionnelle. Le législateur organique a donc tiré les
conséquences de cette décision en biffant la formule
incriminée. De ce qui précède, on peut inférer que
les décisions du Conseil constitutionnel ont, au Burkina Faso, un
certain impact sur les pouvoirs publics »547. Toutefois, cette
autorité peut parfois être rudement mise à mal lorsque le
Conseil constitutionnel, sur demande de ces mêmes pouvoirs publics,
revient sur ses décisions. En effet, le Conseil constitutionnel
burkinabè avait déclaré un traité contraire
à la Constitution pour violation du principe de
laïcité548. Trois mois plus tard, il a
déclaré le même traité non amendé conforme
à la constitution549.
Quoi qu'il en soit, les décisions rendues, aussi bien
a priori qu'a posteriori par le Conseil constitutionnel sont
généralement respectées par les pouvoirs publics
burkinabè. Cette autorité des décisions du juge
constitutionnel s'étend aussi aux juridictions ordinaires.
B. L'imposition de la décision aux
juridictions ordinaires
L'imposition aux autres juridictions des décisions
rendues par le Conseil constitutionnel peut paraître quelque peu complexe
à envisager. Cette complexité réside dans le fait qu'il
n'existe aucune hiérarchie entre le Conseil d'Etat, la Cour de cassation
et le Conseil constitutionnel. Ce dernier n'est pas le supérieur des
deux juridictions suprêmes. Le Conseil d'Etat et la Cour de cassation
sont et demeurent les deux cours suprêmes au sommet des deux ordres de
juridiction. Le Conseil constitutionnel reste un juge spécialisé
en matière
547 Conseil Constitutionnel du Burkina Faso, «
Séparation des pouvoirs et l'indépendance des Cours
constitutionnelles et instances équivalentes », Communication
à l'occasion du deuxième Congrès de la Conférence
Mondiale sur la Justice Constitutionnelle tenu à Rio de Janeiro, du 16
au 18 janvier 2011, 15 p.
548 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, avis
juridique n°2007-03/CC du 20 avril 2007 sur la conformité à
la Constitution de l'accord de prêt entre le Burkina Faso et la Banque
Islamique de Développement.
549 V°. Conseil constitutionnel burkinabè, avis
juridique n°2007-11/CC du 20 juillet 2007.
79
constitutionnelle. Cette « absence de hiérarchie
se traduit par le fait qu'il n'existe pas »550, aussi bien dans
le système burkinabè que celui français, une «
sanction du non-respect de l'autorité des décisions du Conseil
constitutionnel par les autres juges. Le Conseil ne peut pas annuler les
jugements des autres juridictions »551. De ce fait, force est
de constater que la question de l'imposition des décisions du juge
constitutionnel sur les autres juges devient moins aisée dans sa mise en
oeuvre.
Toutefois, l'article 159 de la Constitution du Burkina Faso
dispose à son deuxième alinéa que « Les
décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun
recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les
autorités administratives et juridictionnelles ». Cette disposition
traduit l'autorité de la chose jugée attachée aux
décisions du Conseil constitutionnel. Il en résulte que lorsqu'un
arrêt est rendu sur la non-conformité d'une loi, il s'impose
à toutes les juridictions de la République. Selon
Dieudonné KALUBA, cette autorité s'impose même aux
juridictions suprêmes des deux ordres552. Ainsi, en
matière d'exception d'inconstitutionnalité, lorsque le Conseil
constitutionnel rend sa décision sur la constitutionnalité de la
disposition contestée, le juge a quo doit en tirer les
conséquences. Dès lors, s'il s'agit d'une décision de
conformité, le juge du fond en charge de l'affaire doit appliquer la
disposition dans le procès en cours devant lui. Au contraire, s'il
s'agit d'une décision de non-conformité, le juge a quo
doit également en tenir compte.
Par ailleurs, cette large autorité dont sont
revêtues les décisions du Conseil constitutionnel, si d'une part
elle force l'admiration, d'autre part, elle suscite quelques
inquiétudes. Ainsi, en permettant au juge constitutionnel de
déclarer l'inconstitutionnalité d'une loi qui est
déjà en application, l'exception d'inconstitutionnalité
semble être un mécanisme tendant à accorder un pouvoir
législatif au juge constitutionnel.
550 Marc GUILLAUME, « L'autorité des
décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux
équilibres ? », Les Nouveaux Cahiers du Conseil
constitutionnel, n°30, 2011/1, pp. 49-75.
551 Ibidem.
552 Dieudonné DIBWA KALUBA, La justice
constitutionnelle en République démocratique du Congo,
Op.cit., p. 584.
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