A. L'effet inter partes de la décision
Contrôle de constitutionnalité
opéré a posteriori, c'est-à-dire en aval de
l'entrée en vigueur de la loi522, l'exception
d'inconstitutionnalité, il faut le rappeler, est un moyen soulevé
par une partie à un litige pendant devant une juridiction. Le
requérant ayant invoqué le moyen d'inconstitutionnalité
demande au juge de ne pas lui appliquer une loi inconstitutionnelle. De ce
fait, l'intérêt de l'exception serait d'écarter la loi
inconstitutionnelle du procès en cours. Ainsi, l'exception
d'inconstitutionnalité, dans sa version originale523, tend
juste à l'inapplication de la norme querellée dans l'instance en
cours. Dès lors, il peut être fait application de la même
disposition dans un autre procès, sur un autre justiciable qui lui,
n'aurait pas soulevé le moyen d'inconstitutionnalité. Le Conseil
constitutionnel français a rappelé très
521 Delphine Emmanuel ADOUKI, « Contribution à
l'étude des décisions du juge constitutionnel en Afrique »,
RFDI, n°95, 2013/3, pp. 611-638.
522 Isaac Yankhoba NDIAYE, « L'accès à la
justice constitutionnelle par le citoyen », Communication au 6ème
Congrès de l'Association des Cours et Conseil constitutionnels ayant en
partage l'usage du français, Marrakech, du 4 au 6 juillet 2012.
523 Il s'agit de l'exception d'inconstitutionnalité
consacrée aux Etats-Unis dans la célèbre affaire Marbury
c/ Madison dans lequel la Cour Suprême rappelle qu'il revient à
elle seule et uniquement à elle de prononcer la
constitutionnalité ou l'inconstitutionnalité d'une loi.
74
récemment ce principe. Ainsi, dans sa décision
rendue le 02 octobre 2020, le juge constitutionnel français rappelle qu'
« En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit
bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de
constitutionnalité... »524. C'est assurément la
raison pour laquelle l'on qualifie souvent ce recours de contrôle
subjectif525. En effet, assuré au moyen d'une exception
d'inconstitutionnalité, ce contrôle n'aboutit pas à
l'annulation d'une loi reconnue inconstitutionnelle mais à son
inapplication au litige en cours526. Il s'ensuit qu'une loi
déclarée inconstitutionnelle par cette voie ne cesse pas
d'exister dans l'ordre juridique ; elle pourrait, cependant, être
appliquée dans une autre affaire527. De cette manière,
la décision d'inconstitutionnalité n'aurait qu'un effet inter
partes, c'est-à-dire entre les parties au procès. Cela
signifie que l'exception d'inconstitutionnalité n'a, en principe, qu'une
autorité immédiate528 certes, mais
relative529 de chose jugée.
Il faut avouer que l'effet inter partes est ou
devrait être le corollaire de tout moyen d'exception. Au même titre
que l'exception d'illégalité530 ou l'exception
d'inconventionnalité531, la décision rendue par la
voie d'une exception d'inconstitutionnalité ne devrait avoir
autorité qu'entre les parties concernées par le litige dont il
est question. Etant un héritage du paysage juridique américain,
l'exception d'inconstitutionnalité ne vaut que pour le juge du fond et
dans l'affaire qu'il est amené à trancher. Dans cette
hypothèse, l'inconstitutionnalité constatée par le juge
n'a qu'un effet déclaratoire532.
Certes, l'autorité des décisions rendues par une
juridiction constitutionnelle est généralement établie par
la Constitution de l'Etat533 et cela, qu'il s'agisse d'un
contrôle de constitutionnalité a priori ou d'un
contrôle de constitutionnalité a posteriori, notamment
par le
524 V°. Conseil constitutionnel français,
décision n°2020-858/859, QPC du 02 octobre 2020.
525 V°. Supra., p. 52.
526 Anne RASSON, « La valeur de la distinction entre
autorité absolue et autorité relative de la chose jugée
», AIJC, n°27, 2011, pp. 593-612.
527 Jean-Louis ESSAMBO KANGASME, Le droit constitutionnel,
Op.cit., p. 110.
528 Dieudonné DIBWA KALUBA, La justice
constitutionnelle en république démocratique du Congo,
Op.cit., p. 576.
529 Louis FAVOREU et alii, Droit
constitutionnel, 21ème édition, Op.cit., p. 291.
530 V°. Les deux arrêts rendus par le Conseil d'Etat
en date 18 mai 2018.
531 Dans ce type de contrôle, le juge constitutionnel
est incompétent. V°. Conseil Constitutionnel français,
décision n°74-54/DC du 15 janvier 1975, IVG. C'est le juge
judiciaire qui est compétent depuis l'affaire des cafés Jacques
Vabre rendu par la Chambre plénière de la Cour de cassation en
date du 15 mai 1975 et plus tardivement le juge administration depuis
l'arrêt CE, Ass., 20 octobre 1989, Nicolo.
532 Albrecht WEBER, « Notes sur la justice
constitutionnelle comparée : convergences et divergences »,
AIDC, n°19, 2003, pp. 29-41.
533 Anne RASSON, « La valeur de la distinction entre
autorité absolue et autorité relative de la chose jugée
», Op.cit., pp. 593-612.
75
mécanisme de l'exception d'inconstitutionnalité.
Mais, sur ce point, au Burkina Faso, la Constitution du 02 juin 1991 brille par
son silence. Par conséquent, nous sommes en droit de nous demander s'il
convient de retenir l'effet inter partes classique des
décisions rendues sur exception d'inconstitutionnalité à
proprement parlé534, ou si au contraire il y a lieu de
retenir une autre solution au Burkina Faso.
Quoi qu'il en soit, il convient de préciser que cette
exigence d'effet inter partes n'est valable que dans le modèle
de contrôle diffus ou décentralisé de
constitutionnalité : c'est le cas du modèle américain. Par
ailleurs, pour le système de contrôle centralisé à
l'image de celui burkinabè où la compétence pour le
contrôle de constitutionnalité des lois n'est reconnue qu'à
un juge spécial à savoir le Conseil constitutionnel, l'effet
inter partes des décisions rendues sur exception
d'inconstitutionnalité paraît logiquement insensé et
contre-productif. Ainsi, nous remarquerons la tendance en pratique vers un
effet erga omnes des décisions intervenues sur exception
d'inconstitutionnalité.
B. La tendance vers un effet erga omnes de la
décision
Tel que précisé tantôt, une
décision rendue sur exception d'inconstitutionnalité ne devrait
avoir qu'une autorité relative de chose jugée et ne produire
d'effet qu'entre les parties au litige. Mais, au regard de la «
modélisation »535 faite par chaque pays de son
système de justice constitutionnelle, l'on s'aperçoit que ce
principe doit fortement être relativisé, sinon abandonné
notamment dans les systèmes d'Afrique noire francophone536.
En effet, c'est lorsque les juridictions ordinaires sont dotées d'une
compétence constitutionnelle que leurs décisions sur la
constitutionnalité d'une loi revêtiront un effet inter partes.
Même dans cette hypothèse, lorsque la question de
constitutionnalité arrivera sur la table de la juridiction
Suprême, la décision de cette dernière revêtira un
effet erga omnes, naturellement. Pour les systèmes
où il est institué une juridiction constitutionnelle
spécialisée qui statue en premier et dernier ressort en
matière de constitutionnalité des lois, le problème ne se
pose guère, car la décision de cette juridiction aura d'office un
effet erga omnes. A ce propos, Abdoulaye SOMA écrivait qu'
« En
534 Il convient de rappeler qu'il y a eu tout un débat
sur la commodité de retenir la qualification « exception
d'inconstitutionnalité » ou s'il convient plutôt de parler
d'une « question préjudicielle de constitutionnalité ».
V°. Supra., p. 30.
535Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Op.cit., pp. 437-466.
536 Il s'agit essentiellement des Etats ayant choisi le
modèle européen de justice constitutionnelle fondé sur une
juridiction constitutionnelle spécialisée.
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ce qui concerne les systèmes où la juridiction
constitutionnelle est placée au sommet de la hiérarchie
judiciaire, comme aux Etats-Unis, en Suisse, en Afrique du Sud, en Inde et au
Nigeria, sa pratique et sa politique jurisprudentielles déploient un
effet erga omnes. De la même manière, dans les
systèmes où la juridiction constitutionnelle n'est pas
intégrée à l'ordonnancement juridictionnel ordinaire de
l'Etat et où la justice constitutionnelle est une branche
parallèle spécialisée, à l'image de la France, de
l'Algérie, du Burkina Faso, du Bénin, du Gabon et de l'Autriche,
ses décisions sur la constitutionnalité de telle ou telle norme
revêt une telle autorité »537.
A la lumière de cette doctrine, il est clair que
même si le constituant burkinabè n'a pas précisé la
portée de l'autorité de la décision rendue par la voie de
l'exception d'inconstitutionnalité, celle-ci devrait être
revêtue de l'effet erga omnes. Comme l'a fortement
rappelé Delphine Emmanuel ADOUKI, les décisions rendues par les
juridictions constitutionnelles africaines sont non seulement incontestables,
elles produisent, en outre, un effet erga omnes538. Toutes
les décisions du Conseil, y compris celles relevant de l'exception
d'inconstitutionnalité sont revêtues de l'autorité absolue
de la chose jugée539. Alors, on peut certes reprocher au
constituant et au législateur de n'avoir pas précisé
clairement les effets du contrôle de constitutionnalité des lois
a posteriori. Mais, toujours est-il qu'au Burkina Faso, cet
absolutisme des décisions rendues sur exception
d'inconstitutionnalité s'observe dans la pratique.
§2 : L'absolutisme observé des effets de la
décision
La décision d'inconstitutionnalité a
autorité absolue de chose jugée540, qu'elle soit
intervenue a priori ou par exception d'inconstitutionnalité. A
ce titre, on peut observer ce caractère absolu à travers
l'opposabilité de la décision aux pouvoirs publics (A)
en plus de son imposition aux juridictions ordinaires
(B).
537 Abdoulaye SOMA, « Modélisation d'un
système de justice constitutionnelle pour une meilleure protection des
droits de l'homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel
comparé », Op.cit., pp. 437-466.
538 Delphine Emmanuel ADOUKI, Op.cit., pp. 611-638.
539 Dominique ROUSSEAU, Droit du contentieux constitutionnel,
7ème édition, Op.cit., p. 165.
540 Pierre BON, « L'exception
d'inconstitutionnalité en Espagne (question de
constitutionnalité) », RFDC, n°4, 1990, pp.
679-683.
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