II. Le regard des
représentations sociales
Cadre fécond pour analyser les facteurs psychologiques,
relationnels et sociaux de la pensée sociale (Dany, Apostolidis, 2012),
les représentations sociales seront présentées ici
à travers leur définition et opérationnalisation (A), les
mécanismes de leur formation, l'ancrage et l'objectivation (B), ainsi
que leur lien avec la pensée et les pratiques sociales (C).
A. Les représentations sociales,
une théorie, des approches
Héritée du concept de représentation
collective de Durkheim, et inspirée de Piaget et de Freud, (Moscovici,
2003), la théorie des représentations sociales occupe une place
certaine dans le champ de recherches sur la connaissance en psychologie
sociale. Moscovici les décrit comme un « corpus
organisé de connaissances et une des activités psychiques
grâce auxquelles les hommes rendent la réalité physique et
sociale intelligible, s'insèrent dans un groupe ou un rapport quotidien
d'échanges, libèrent les pouvoirs de leur
imagination » (1976, p. 27). Sa fonction première est
ainsi d'interpréter la réalité en entretenant avec elle
des rapports de symbolisation et en lui attribuant des significations. La
représentation sociale permet l'élaboration des comportements et
la communication entre individus ou groupes ; elle est dirigée vers
la maitrise de l'environnement et évolue à travers les
interactions et les échanges.
En somme, le concept de représentation sociale renvoie
aux produits et processus caractérisant la pensée de sens commun,
forme de pensée pratique, socialement élaborée,
marquée par un style et une logique qui lui sont propres et
partagée par les membre d'un même ensemble social ou culturel
(Jodelet, 1997). Elles sont sociales par leur mode d'élaboration,
à savoir les interactions et expériences communes, et par leur
objet, social.
En tant que théorie, elle est une voie
privilégiée d'accès au sens commun, elle permet
d'interpréter les comportements, les conduites et les actions, de se
saisir de l'histoire en train de se faire. Théorie paradigmatique, sa
portée est compréhensive et explicative, prédictive
seulement locale. (Apostolidis, 2005). Appliquée à la
santé, elle présente plusieurs intérêts ; d'une
part elle propose un modèle d'analyse de la pensée
sociale, en considérant les facteurs psychosociaux de sa
production et de sa fonction, l'individu comme sujet-acteur compris dans un
contexte culturel, et sa logique de maitrise de l'environnement. D'autre part,
elle se propose modèle d'articulation entre
« systèmes de pensée et systèmes de
comportements, des relations (orientation, légitimation) entre
pratiques et représentations sociales, dans et par la
considération de la correspondance entre « situations
sociales » et « modalités de connaissance et
d'action » » (Apostolidis, Dany, 2012, p. 71).
En outre, il existe trois approches pour
appréhender les représentations sociales, inspirées de
l'ouvrage sur la psychanalyse de Moscovici (1961), à laquelle se rajoute
une quatrième d'après la classification de Molinier et
Guimelli(2015). La première, l'approche structurale -ou théorie
du noyau central, proposée par Abric (1976), est axée sur la
structure et l'organisation des représentations sociales. La
deuxième, l'approche dynamique -ou positionnelle- a été
développée par Doise (1990) et s'intéresse à
l'insertion sociale de l'individu ou de sa relation avec l'alter. La
troisième, l'approche socio-génétique -ou anthropologique,
mise en évidence par Jodelet (Kalampalikis, Apostolidis, 2016), met
l'accent sur les conditions et processus en jeu dans l'émergence des
représentations sociales. Enfin, l'approche dialogique, explorée
par Marková (2007), porte son attention sur le rôle du langage et
de la communication. Il conviendra ici de ne développer que l'approche
socio-génétique, dont sera inspirée cette étude.
Héritée de la psychologie collective et
inspirée de la phénoménologie sociale, deux
spécificités caractérisent principalement cette approche
et la distinguent des autres. D'une part, les objets choisis doivent être
situés, holistes, complexes et systèmes, selon le postulat
« tout objet représentationnel est tensionnel ».
D'autre part, l'accent est mis sur la posture méthodologique, ouverte et
compréhensive, et le « polythéisme
méthodologique » est de mise. En définitive,
l'approche socio-génétiques'applique à
« saisir l'objet représentationnel comme
phénomène dynamique, sa génèse comme une
trajectoire dans le temps présent et l'histoire, son expression en tant
que connaissance sociale et pratique, fruit des conjonctures historiques,
politiques et culturelles et de la communication sociale »
(Kalampalikis, Apostolidis, 2016, p.70). Ici, la représentation sociale
est une pensée sociale de nature constituée et constituante, et
est appréhendée tant comme produit que comme processus.
En définitive, il convient de garder à l'esprit
la définition du concept des représentations sociales de Jodelet,
de convoquer les fonctions de sa théorie selon Apostolidis et Dany et de
s'inspirer de l'approche socio-génétique pour construire et
poursuivre la réflexion de cette recherche.
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