C. La théorie des
représentations sociales appliquée aux phénomènes
et comportements de santé
Après avoir développédans les
précédentes parties l'objet santé à travers le
prisme des sciences sociales et les choix épistémologiques dans
son appréhension, il convient désormais de présenter le
regard des représentations sociales appliqué à
l'étude des phénomènes sanitaires.
Dans un premier temps, il s'agit de rappeler les liens entre
les domaines de la santé et des représentations sociales. En
effet, qu'il s'agisse de la psychanalyse (Moscovici, 1961), de la santé
et de la maladie (Herzlich, 1969), ou de la santé mentale et de la folie
(Jodelet, 1989), les études princeps issues de la théorie des
représentations sociales ont relation avec la santé. Jodelet
rajoute qu'une deuxième vague d'études s'est concentrée
sur des maladies ou pratiques spécifiques, sur la promotion de la
santé et la prévention de la maladie, avant de voir naître
dans un troisième temps une attention portée sur les
représentations dont font l'objet les personnes faisant
l'expérience de la maladie ou du handicap, leur stigmatisation ou les
relations développées avec elles (2013).
A titre d'exemple, il convient de présenter l'ouvrage
devenu référence de Herzlich pour illustrer ce que peuvent
apporter les représentations sociales à l'étude de l'objet
santé. En appliquant la nouvelle théorie développée
par Moscovici quelques années plus tôt (1961), elle propose
« une conception pluraliste de la santé »
(Herzlich, 1996, p. 79-80), idée selon laquelle il n'existe pas une,
mais des santés. Trois conceptions principales en sont
proposées ;la santé comme vide, pensée comme
l'absence de maladie, la santé comme capital ou réserve, et la
santé comme équilibre, qui se présente comme une valeur
comprenant un bien-être psychologique, physique, un ressenti. De
même, la maladie est représentée selon trois
modèles, la maladie destructrice, la maladie libératrice et la
maladie métier. Ainsi, au gré de l'expérience, de la
culture, l'individu juge de son état de santé et en
développe une représentation active, c'est-à-dire
directement impliquée dans l'interprétation et l'action.
Cette étude permet de rappeler le constat qu'avait fait
Moscovici quelques années plus tôt ; ce qui importe n'est
pas tant la réalité que le rapport qu'entretient
l'individu avec elle, notamment pour les questions de maladie et de
santé. Elle permet également de souligner que la santé et
la maladie ne sont pas l'affaire des seul·e·sexpert·e·s de
la santé, mais bien de tout·e individu en tant que
concerné·e par l'expérience. En somme, la santé est
aussi l'« objet profane d'une pensée
sociale » (Morin, 2004, p 39).
Au-delà du contenu des représentations autour de
la santé et de la maladie, de leur dimension symbolique et de leur
finalité profane, un élément reste à traiter, celui
du social. Le social, c'est aussi la dimension symbolique de
la connaissance, ce qui construit et donne du sens aux vécus de
santé et de maladie, ce qui en fait un savoir
partagé (Morin, Apostolidis, 2002). De plus, les cognitions et
comportements relatifs à la santé et à la maladie sont des
lieux « éminemment chauds, [c'est à dire]
imprégnés de processus affectifs faits de
préférences et de répulsions témoignant ainsi de
leur caractère sensible teinté d'enjeux sociaux »,
d'interaction entre l'individuel et le social (Dany, Apostolidis, 2012, p.69).
C'est également de cette perspective-là que peut être
éclairée la mise en relation entre ordre biologique et ordre
social qu'illustre la maladie en tant que réalité
représentée.
« Nos représentations ne nous renseignent pas
seulement sur la relation que nous entretenons avec les
phénomènes corporels et notre propre état de santé,
mais sur les relations qu'à travers eux, nous entretenons avec les
autres, avec le monde et l'ordre social. »
Herzlich, 2001, p.198.
En définitive, l'étude des
représentations sociales permet de prendre en considération le
rôle de la culture et des valeurs, l'articulation entre connaissances
savantes et profanes, l'implication des facteurs sociaux et culturels dans la
construction des savoirs et de leurs objets. C'est cette approche
multidimensionnelle et holistique qui confère sa pertinence à la
théorie des représentations sociales pour appréhender
l'objet santé ''(Jodelet, 2013). Une deuxième partie sera donc
consacrée à l'approfondissement et au développement de
celle-ci.
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