La présomption d'innocence et la pratique judiciaire congolaisepar Giresse Emery Kasaka Ngemi Université Révérend Kim - Licence 2017 |
CHAPITRE I : APPROCHE ANALYTIQUE ET EXPLICATIVE DE LA PRESOMPTION D'INNOCENCEDans ce chapitre, nous allons analyser les notions de la présomption d'innocence (section I) avant de parler de la mise en oeuvre (section II). Section I : NotionsDans son acception la plus générale31(*), la présomption est une supposition fondée sur des signes de vraisemblance ou encore une anticipation sur ce qui n'est pas prouvé32(*). Le droit des présomptions a donc pour objet ce type de vérités conjecturales33(*). L'innocence est la qualité de quelqu'un qui n'est pas coupable d'une infraction, d'une faute déterminée, ou qui n'a pas commis d'infraction condamnable dont on le soupçonne34(*). De ce fait, il sied d'analyser la portée, les limites et fondement de la présomption d'innocence (§1) avant d'aborder les conséquences de celle-ci (§2). §1 : Portée, limites et fondementLa présomption d'innocence en tant que principe a une importance et ses limites (A) ainsi que son fondement (B) qu'il convient d'étudier. A. Portée et limitesAnalysons d'une part la portée (A) de la présomption d'innocence avant d'en analyser le fondement (B). 1. PortéeDans les différentes étapes de la procédure pénale, jusqu'où est-on présumé innocent ? Cette question vise à analyser l'étendue de la présomption d'innocence dans la procédure pénale ou le droit pénal de la forme, laquelle vise, selon Pradel, à s'attacher à l'organisation et à la compétence des juridictions pénales ainsi qu'aux phases successives du procès35(*). D'abord, pour éviter que l'accusation ne se mue en une culpabilité supposée, et ne conditionne négativement la procédure d'instruction, puis le procès, dont l'objet consiste à transformer une situation de fait en une réalité juridique non contestable, c'est-à-dire à rechercher l'ensemble des éléments, de quelque nature qu'ils soient, permettant d'établir, de façon définitive la vérité, durant cette étape, l'accusé a droit d'être protégé sans restrictions. Ensuite, est-il possible de considérer que la culpabilité du citoyen ne soit pas immédiatement supposée. Cela signifie que durant le temps procédural de l'enquête, de l'instruction et du procès celui-ci conservera, non seulement le statut juridique (de présumé innocent) qui était le sien, antérieurement aux poursuites engagées, c'est-à-dire une innocence effective, mais qu'au surplus il ne sera pas obligé d'être un sujet actif dans la démonstration de sa non culpabilité36(*). Plus exactement, il sera présumé innocent dès le début de l'enquête et jusqu'au jugement qui décidera de sa culpabilité ou de son innocence. Il s'agit ici de poser un préalable qui va tenir pour vraie, l'innocence de l'accusé tant que le contraire n'aura pas été juridiquement démontré. Etant donné que la Constitution du 18 février 2006 telle que modifiée et complétée à ce jour, dans l'article 17 in fine dispose que : « toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie par un jugement définitif37(*)». Ceci revient à dire que, l'on est présumé innocent en droit positif congolais, au cours de l'avant-procès38(*), au cours de la procédure de l'administration de la preuve39(*), à l'audience du tribunal40(*), et même après le verdict (non coulé en force de chose jugée), tant que toutes les voies de recours ne sont pas épuisées pour le suspect. Donc, la seule limite pour la présomption d'innocence est lorsque toutes les voies de recours sont épuisées que l'innocent devient coupable, c'est-à-dire un jugement définitif le reconnaissant coupable. * 31 On retrouve les présomptions dans plusieurs disciplines juridiques, à l'instar du droit civil (ex : en droit civil des personnes, l'article 601 du code de la famille parle de la présomption de paternité « pater incertus, mater certa » ; en matière des biens meubles, la preuve de la propriété se fait par le seul acte de possession (article 658 du décret du 30 juillet 1888 sur les contrats ou des obligations conventionnelles, communément appelé Code Civil livre III: en fait de meuble la possession vaut titre...) et droit pénal (ex : l'article 95 de la loi n°09/001 du 10 janvier 2009 dispose qu'en matière pénale, l'enfant âgé de moins de 14 ans bénéficie de la présomption irréfragable d'irresponsabilité). Seulement, on va s'appesantir sur le droit pénal en général et la procédure pénale en particulier. Il sera question de la présomption d'innocence. * 32 LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, Quadrige, 1926, vol.2, « présomption d'innocence ». * 33 CAIRE A-B., Relecture du droit des présomptions d'innocence à la lumière du droit européen des droits de l'homme, Paris, Editions, A. Pedone, 2012, p15. En effet, le Nouveau Petit Robert définit le mot « conjecture », comme une opinion fondée sur des probabilités ou des apparences ou encore comme une opinion fondée sur une hypothèse non vérifiée. Et mathématiquement, « la conjecture est une hypothèse émise a priori concernant une proposition dont on ignore la démonstration». * 34 Le Dictionnaire Le Robert, Paris, 1971. * 35 PRADEL J., Droit pénal général, Paris, 17ème éd., Cujas, 2008-2009, p55. * 36 FEROT P., La présomption d'innocence : essai d'interprétation historique, Thèse, Université Lille II, 2007, p6. * 37 Constitution de la République Démocratique du Congo, Journal Officiel - n°spécial, 52ème année, 1er février 2011. * 38 TASOKI MANZELE J-M., Cours de procédure pénale, G2 Droit, UNIKIN, 2013-2014, p42. L'avant-procès est cette phase de procédure pénale qui est antérieure au jugement (audience) ; elle recouvre, d'une part toute la phase antérieure au déclenchement de l'action publique, c'est-à-dire la phase préliminaire qui appartient à la police judiciaire, et d'autre part, toute la phase du déclenchement de l'action publique par le Ministère Public jusqu'à la requête que ce dernier adresse à la juridiction compétente aux fins de fixation de date d'audience. * 39 NGOY ILUNGA WA NSENGA Th., Contribution à la systématisation du droit congolais de la preuve, Thèse, UNIKIN, 2012, p342. * 40 L'enjeu majeur du droit pénal ne réside pas dans l'infraction, encore moins dans la condamnation pénale. L'enjeu réside précisément dans le procès, parce que le procès permet la découverte et la manifestation de la vérité sur l'enchaînement dramatique qui a conduit à l'infraction ; l'enjeu du droit pénal réside dans cette ultime occasion accordée au protagoniste du droit pénal de s'exprimer, surtout lorsque l'auteur des faits parle. Car, en effet, juger c'est d'abord écouter et non appliquer un tarif ; juger c'est aussi comprendre sans excuser ; c'est sanctionner sans blâmer ; c'est enfin libérer sans pardonner, ainsi pense Tierry RENOUX dans la justice dans la constitution, in Cahier du Conseil Constitutionnel, n°14, 2003, p100. C'est pourquoi, la procès pénal s'affadit et s'enlaidit lorsqu'il poursuit son cours sans la présence de la personne mise en cause ; parce qu'il vient s'intercaler entre l'infraction et la sanction pénale, de telle sorte qu'il contraint le juge, pendant ce temps, à considérer que toute personne mise en cause est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit légalement établie par un jugement définitif rendu sur le fond et coulé en force de chose jugée. ; voir TASOKI MANZELE J-M., Op. cit, p42. |
|