La présomption d'innocence et la pratique judiciaire congolaisepar Giresse Emery Kasaka Ngemi Université Révérend Kim - Licence 2017 |
B. Les délinquants récidivistesLa récidive est entendue comme « une rechute dans l'infraction selon les conditions légalement déterminées, et après une ou plusieurs condamnations coulées en force chose jugée147(*)». Si l'on s'en tient à la définition élargie donnée par le Petit Robert, le mot récidive indique le fait de recommencer ou de retomber dans la même faute, les mêmes erreurs ou crimes148(*). Cependant, le législateur, bien que n'ayant pas défini la récidive, en a prévu les formes. En effet, il existe deux formes de récidive dont la récidive proprement dite (art.14 b CP) et la délinquance d'habitude (art.14 d CP). L'article 14 b dispose quant à la récidive proprement dite : « outre la peine de servitude pénale, les mêmes peines peuvent être prononcées, à charge de quiconque a commis, depuis dix ans au moins deux infractions qui ont entraîné chacune une servitude pénale d'au moins six mois ». La délinquance d'habitude est placée parmi la récidive proprement dite, car elle présente un caractère de persistance à l'infraction ; et en droit positif congolais, elle est prévue et réglementée par l'article 14 (d) du code pénal149(*), qui dispose :« Quiconque ayant commis depuis dix ans, au moins trois infractions qui ont entraîné chacune une servitude pénale d'au moins dix mois, présente en outre une tendance persistante à la délinquance peut, par l'arrêt ou le jugement de condamnation, être mis à la disposition du Gouvernement, pour un terme de cinq à dix ans après l'expiration de la peine de servitude pénale». Sans faire de longue détaille, il faut un laps temps de tout au plus 10 ans entre la première condamnation (six mois de servitude pénale au moins) et le moment du jugement ; que le délinquant ait commis pendant ce temps trois infractions entrainant chacune la servitude pénale d'au moins six mois ; et enfin, que le délinquant présente une tendance de persistance à la délinquance. Ainsi, certains auteurs tels que César Lombroso, Enrico Ferri et Bettiol pensaient à cet effet, qu'il conviendrait d'attribuer aux récidivistes, aux criminels nés150(*) (quisignifie l'homme prédisposé au crime151(*), mais qui ne commettra de crimes que lorsque sa prédisposition physio-psychique sera déterminée par les conditions du milieu tellurique et social152(*)) ou les criminels par tendance153(*) la présomption de culpabilité à la place de la présomption d'innocence154(*). Il en est par exemple, Pierre François Muyart de Vouglans qui pensait que, l'accusé, sur lequel pèse une certaine défiance, n'est pas regardé comme un homme dont l'innocence est remise en cause mais comme un coupable supposé ce qui interdit toute possibilité de poser ce principe que le doute puisse lui profiter155(*). En effet, un tel enchaînement mécanique des étapes procédurales aboutit à cloisonner l'instruction, en la rendant pratiquement inaccessible à l'accusé (surtout au récidiviste), et à hypothéquer toute reconnaissance d'un droit à l'innocence qui voudrait que le juge, dans la plénitude de son appréciation personnelle, ne donne aucune suite à la plainte qu'il se trouve en charge d'instruire s'il n'est pas convaincu. Dans le même ordre d'idées, divers adages, évoqué par le Professeur Langui156(*), traduisent le recours aux présomptions de culpabilité: « Rumeur commune est rarement fausse », « jeune prostituée, vielle sorcière157(*) », « Semel malus, semper praesumitur esse malus, c'est-à-dire qu'on présume que celui qui a commis un mal le commettra toujours », « Qui vole un boeuf, vole un boeuf 158(*)» ou encore, selon la formule de Loisel, « Qui s'enfuit, ou brise la prison étant du cas atteint, s'en rend coupable et quasi convaincu159(*)». Cependant, divers jurisconsultes, tels que le Duaren Alciat, d'Argentré et Menochius au XVIème siècle, Domat au XVIIIème siècle ou encore Pothier et d'Aguesseau au XVIIIème siècle, se penchèrent sur la thématique présomptive, s'intéressant plus particulièrement à la possibilité d'interdire le renversement d'une présomption en la rendant irréfragable160(*). Il en est par exemple, de Jacques Marcou, avocat, membre de l'Union républicaine, dans une intervention datée du 2 juin 1875, présentait un amendement tendant à ce que les inculpés et les prévenus puissent opter entre le régime de la séparation individuelle ou celui de la vie en commun. Son hostilité affichée à l'emprisonnement cellulaire lui faisait dire, s'agissant de l'incarcération de ceux qui sont simplement prévenus, "est-il coupable ? Vous n'en savez rien ; la présomption légale de l'innocence le protège contre toutes les atteintes que vous voudrez lui porter au-delà des mesures nécessitées pour la garde de sa personne161(*)". Poursuivant alors sa critique, le député de l'Aude qui justifie le principe de la détention provisoire comme "un mal nécessaire dans certains cas" mais dont il reconnaît cependant qu'elle doit être limitée, s'exclame alors" Ne peut-il arriver à tout le monde d'être accusé injustement [...] Est-ce qu'en définitive nous ne voyons pas tous les jours des Ordonnances de non-lieu ? Est-ce que tous les jours les tribunaux, les Cour d'Assises ne prononcent pas des acquittements ? Il y a donc présomption sacrée, présomption d'innocence tant que le jury ou le tribunal n'a pas déclaré la culpabilité et prononcé la condamnation"162(*). Somme toute,si nous ne pouvons gésir dans le tréfonds du silence, disons que la présomption d'innocence, en droit positif congolais, bénéficie à tout le monde accusé d'un acte infractionnel, c'est-à-dire que cette présomption bénéficie aux récidivistes qu'aux délinquants primaires, voire même qu'aux délinquants passionnels163(*), d'habitude164(*) ou d'occasion165(*).Ce qui nous mène à aborder la pratique judiciaire en rapport avec la présomption d'innocence (chapitre II). * 147 NYABIRUNGU mwene SONGA, Op. cit, p403. Il sied de signaler que la loi ne définit pas ce qu'il faut entendre par récidive. * 148AMAL HACHET, Traiter les agresseurs sexuels?, Bruxelles, éd. Yapaka.be, 2008, p54. * 149Journal Officiel n° Spécial 30 novembre 2004. * 150 Le criminel-né est incorrigible. C'est un paresseux, joueur, débauché, poltron, imprévoyant et mobile. Il n'est pas susceptible de remord et s'abandonne avec joie dans ses instincts coupables. La seule peine qui lui convient c'est son élimination ; LOMBROSO C., L'homme criminel : étude anthropologique et médico-légale, traduit par REGNIER et BOURNET, Ancienne librairie Germer Bailliere, Paris, 1887, p17 et s. * 151 FERRI E., Sociologie criminelle, trad. TERRIER L., Paris, 2ème éd., Felix Alcan, 1914, Chap. I et II p43. * 152Expliquer un phénomène social, c'est en chercher la cause efficiente, c'est-à-dire dégager le phénomène antécédent qui le produit nécessairement. Les causes des phénomènes sociaux doivent être cherchées, non dans l'homme, mais dans le milieu social. C'est en effet la structure de la société considérée qui est la cause des phénomènes dont la sociologie veut rendre compte : « C'est dans la nature de la société elle-même - écrit Durkheim - qu'il faut aller chercher l'explication de la vie sociale ». LOMBARD F., Criminologie, Université de Lille II, Année universitaire 1999-2000, p10. * 153 C'est le délinquant qui, dans un intervalle de dix ans, est condamné à trois peines privatives de liberté d'au moins six mois chacune et qui présente en plus une tendance persistante à la délinquance. * 154 BABU YENGA Y., Op. cit, p333. * 155 MUYART de VOUGLANS P.F., Institutes au droit criminel ou Principes généraux sur ces matières, suivant le droit civil, canonique et la jurisprudence du royaume ; avec un traité particulier des crime, Partie V, Chapitre X, p192. Cité par FEROT P., Op. cit, p47. * 156 LANGUI A., Les adages du droit pénal, RSC, 1986, Pp26 et ss. * 157 MONEBOULOU MINKANDA H-M., Op. cit, p71. * 158 MOY S., 100 proverbes français les plus courants et leur signification, Paris, éd. Franc Parler, 2012, p28. * 159 Dictionnaire de proverbes et dictons, Paris, les usuels du Robert, 1980, p52. * 160 BARRAINE R., Théorie générale des présomptions en droit privé, Paris, LGDJ, 1942, p151, MONEBOULOU MINKANDA H-M., Op. cit, p71. * 161 FERROT P., Op. cit, p365. * 162FERROT P., Op. cit, p365. * 163Ilssont des gens honnêtes qui agissent sous une impulsion subite due à la passion. Ils ont un remord aussitôt leur forfait accompli. Il n'y a pas de mesure à prendre contre eux, car leur repentir suffit ; néanmoins, ils doivent réparer leur dommage causé. * 164 C'est le délinquant qui, dans un intervalle de dix ans, est condamné à trois peines privatives de liberté d'au moins six mois chacune et qui présente en plus une tendance persistante à la délinquance. Cette délinquance est due par les raisons exogènes, c'est-à-dire que le délinquant a été corrompu par son milieu. Par conséquent, lui aussi deviendra délinquant, étant donné qu'il est incorrigible. * 165 Les délinquants d'occasion deviennent ainsi pour des raisons exogènes : la misère, le chômage, etc. Les actes posés par ces derniers sont des conséquences d'un incident fâcheux. Ils regrettent d'avoir commis ces actes. Ainsi, les mesures à prendre pour ces gens (pour les adultes) consistent à l'obligation de réparer, à l'exile local temporaire, pour les mineurs, on peut les placer dans les familles honorables. BABU YENGA Y., Op. cit, p239. |
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