La présomption d'innocence et la pratique judiciaire congolaisepar Giresse Emery Kasaka Ngemi Université Révérend Kim - Licence 2017 |
2. Fondement philosophiquePendant très longtemps, le principe de la présomption d'innocence est resté totalement absent du système judiciaire franco-belge. Non seulement il n'y avait trace d'un tel principe mais, surtout, l'idée-même de conférer à l'individu un droit à être présumé innocent allait à l'encontre des règles régissant le procès pénal. En effet, l'usage de présomptions aboutissait à présumer la personne coupable et c'était donc à elle d'apporter la preuve qu'elle n'avait pas commis la faute qui lui était imputée. La situation de l'accusé a commencé à évoluer dans un contexte marqué par le fort retentissement de scandales judiciaires mettant en lumière l'extrême rigidité des règles procédurales et probatoires appliquées à un individu déjà placé dans une situation défavorable61(*). L'opinion publique, relayée par les philosophes et écrivains du mouvement des Lumières, a alors manifesté sa volonté d'une humanisation de la procédure criminelle62(*). Il est apparu indispensable d'affirmer des droits pour l'individu face à l'arbitraire du système judiciaire de l'Ancien Régime. Durant les dernières années précédent la Révolution française, le pouvoir royal s'est alors efforcé d'améliorer le sort de l'accusé, sans pour autant aboutir à la consécration d'un véritable droit à être présumé innocent63(*). Le mouvement intellectuel en faveur d'un droit à la présomption d'innocence n'a fait que s'accroitre avec la généralisation de la remise en cause du pouvoir royal. Voltaire a ainsi écrit que « si contre cent mille probabilités que l'accusé est coupable, il y en a une seule qu'il est innocent, cette seule doit balancer toutes les autres64(*)». Autre figure incontournable des Lumières, le philosophe italien Cesare Beccaria affirmait, quant à lui, qu' « un homme ne peut être regardé comme criminel avant la sentence du juge ; et la société ne peut lui retirer la protection publique qu'après qu'il a été prouvé qu'il a violé les conditions auxquelles elle lui avait été accordée65(*)». En effet, dans le très fameux «Des délits et des peines », Beccaria affirme : «Un homme ne peut être considéré comme coupable avant la sentence du juge; et la société ne peut lui retirer la protection publique, qu'après qu'il est convaincu d'avoir violé les conditions auxquelles elle lui avait été accordée. Le droit de la force peut donc seul autoriser un juge à infliger une peine à un citoyen [...]. Voici une proposition bien simple: ou le délit est certain ou le délit est incertain: s'il est certain, il ne doit être puni que de la peine fixée par la loi, et la torture est inutile [...]. Si le délit est incertain, n'est-il pas affreux de tourmenter un innocent ? Car, devant les lois, celui-là est innocent dont le délit n'est pas prouvé66(*)». Cette suggestion de Beccaria contient en germe les principes de notre droit pénal contemporain. Elle fonde la déclaration de culpabilité sur la certitude de la culpabilité. C'est en ce sens que la procédure pénale, lors de l'enquête et l'instruction a pour charge de «faire toute la lumière67(*)». Sans doute, le rapprochement avec cette phrase bien connue n'est-il pas innocent: «le premier précepte était de ne jamais recevoir aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle; c'est à dire d'éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute68(*)». Comme la vérité métaphysique, la vérité judiciaire (la culpabilité) ne se laisse gagner qu'après une période de doute (la procédure), ou tout jugement est proscrit. Durant cette période, ce qui est douteux doit être considéré comme faux. Cette méthode conduit logiquement à faire du jugement, et partant de la peine, l'apanage exclusif du procès et à faire bénéficier les suspects de la présomption d'innocence. Tant que la culpabilité n'est pas certaine, l'innocence doit, au bénéfice du doute, profiter au suspect69(*). Ainsi, les bases du principe contemporain de la présomption d'innocence étaient d'ores et déjà posées. En outre, les auteurs du droit processuel70(*) considère la présomption d'innocence comme une règle de forme et une règle de fond, car en effet, elle est d'abord une règle de preuve qui appartient aux autorités poursuivantes de prouver la culpabilité de la personne poursuivie71(*) ; ensuite elle est une règle de fond, l'expression d'un véritable droit subjectif pour toute personne qui s'impose à tous : au législateur, aux autorités publiques, aux médias et aux autorités judiciaires72(*). La violation de la présomption d'innocence est une atteinte aux droits de l'homme, une atteinte aux droits fondamentaux que le Constituant garantit aux citoyens et, c'est une atteinte à la liberté individuelle du prévenu qui n'est pas encore jugé et pas non plus condamné. Elle cause préjudice et ce mal sera réparable lorsque le prévenu sera innocenté73(*). Cependant, Chaïm Perelman pense que la présomption d'innocence est une fiction74(*) ; elle est une supposition que la société décide d'établir pour vrai en attendant d'avoir réuni les moyens de vérifier si elle a eu tort ou raison de la tenir pour vrai. C'est une fiction juridique, qui impose de ne reconnaître l'accusé coupable qu'une fois le verdict posé75(*). En d'autres termes, selon Renault Brahinsky, le principe de la présomption d'innocence signifie qu'un individu est innocent tant que sa culpabilité n'a pas été prouvée par un jugement irrévocable76(*). Pour clore, la présomption d'innocence constitue donc une liberté, une garantie inhérente aux droits de l'homme, qui protège son intégrité physique ou morale. De même, selon Henri Henrion, « la présomption d'innocence a un principe, un principe protecteur, un principe de valeur constitutionnelle et une maxime du procès77(*)». A présent, analysons les conséquences de la présomption d'innocence. * 61POUIT M., Les atteintes à la présomption d'innocence, Mémoire de Master en droit pénal, Université Paris II Panthéon - Assas, 2013, p8. * 62Idem * 63Ibidem. * 64Ibidem * 65Ibid. * 66 VINCENT Th, La présomption d'innocence, mémoire de DEA, Université de Lille 2 - Ecole doctorale n° 74, 1999-2000, pp3-4. * 67Idem. * 68Ibidem. * 69 VINCENT Th, Op. cit, p4. * 70 SOLUS H. & PERROT R., Droit Judiciaire Privé, T.1 n°4, cité par LUZOLO BAMBI LESSA E-J, Op. cit, p17. L'expression la plus adéquate pour désigner la discipline qui étudie ces diverses règles est celle de « Droit Judiciaire » et non « Droit de Procédure ». Mais certains auteurs préfèrent la terminologie ``droit processuel''. Si cette terminologie peut paraître un peu terne, elle a pourtant l'avantage, grâce sa neutralité, d'englober à la fois le droit judiciaire privé, le droit judiciaire pénal ainsi que l'activité juridictionnelle des tribunaux de l'ordre administratif et de toutes les autorités qui rendent des décisions juridictionnelles. * 71 NGOY ILUNGA WA NSENGA Th., notes de plaidoirie, in affaire assassinat professeur MBOMA, Kinshasa, 2005, p77. * 72 RENOUX Fh. & De VILLIERS M., Code constitutionnel, Ed. Litec, 1995, p80. * 73LUZOLO BAMBI LESSA E-J., Op. cit, p20. p11. Cette responsabilité peut être disciplinaire, pénale et civile. * 74 La fiction est une création, une innovation de choses imaginaires, irréelles. Le Petit Larousse illustré, Paris, 1999, p430. * 75 PERELMAN Ch., Présomptions et fictions en droit, essai de synthèse, études menées par Perelman Ch. & Foriers P., Bruxelles, Bruyant, 1974, p340. BAUZON E BAUZON E., « La présomption d'innocence et la charge de la preuve en droit romain », in la présomption d'innocence, Revue de l'institut de criminologie de Paris, volume 4, 2003-2004, p26. * 76 RENAULT-BRAHINSKY C., Procédure pénale, Paris, Gualino éditeur, EJA, 2006, p35. * 77 HENRI HENRISON, Op. cit, p16-17 |
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