urbanisme favorable à la
santé
V.1- Contexte complexe : mobilisation et investissement de
l'OMS
Durant les années 70, le monde évolue dans un
contexte socio-politique où la santé devient un
phénomène de plus en plus complexe. Ce même contexte est
marqué par l'incapacité du système médical à
répondre aux besoins, aux attentes et aux exigences exprimées
à l'égard de la santé. Dans le cadre de sa mission, l'OMS
a pour projet de réformer et de faire évoluer la santé
publique. C'est alors que la première action a été
menée en 1979 par le lancement d'une stratégie de La
santé pour tous en 2000197,
en mettant l'accent sur les principaux secteurs sur lesquels la
réflexion pour améliorer la santé et le bien-être,
devrait être menée. Elle va au-delà de celui du secteur de
soin. À la suite de cela, en 1998, l'OMS lance une nouvelle
stratégie pour une réactualisation visant La
santé pour tous pour le vingt-et-unième siècle,
associée à un outil politique de la santé
pour tous appelé SANTE 21, pour la
Région d'Europe. Il définit 21 objectifs pour le XXIe
siècle, avec trois valeurs fondamentales198:
· « La santé est
considérée comme un droit fondamental de l'être
humain,
· L'égalité devant la
santé et la solidarité active entre les pays, entre les groupes
d'individus au sein des pays et entre les sexes,
· La participation et la
responsabilité des individus, des groupes, des collectivités et
des institutions, des organismes et des services oeuvrant au
développement de la
santé»199.
Lors d'une conférence internationale en 1986,
La charte d'Ottawa pour la promotion de la santé
a été adoptée sur le principe d'une
politique de la « Santé pour tous »
en précisant que la construction des
sociétés favorables à la santé ne relève pas
uniquement du secteur médical.200 Depuis l'OMS, malgré
un contexte très complexe marqué par des crises
197 World Health Organization, éd., Global
strategy for health for all by the year 2000, « Health for
all » series, no. 3 (Geneva: World Health Organization, 1981).
198 Hugh Barton & Catherine Tsourou, « URBANISME ET
SANTE Un guide de l'OMS pour un urbanisme centré sur les habitants
».
199 Hugh Barton & Catherine Tsourou.(art. déjà
cité)
200 idem
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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géopolitiques, n'a cessé son investissement dans
l'organisation de déclarations et de conférences internationales
en faveur de la promotion et de l'amélioration de la santé.
Encore, L'agenda 21 a été lancé
lors du sommet de la Terre à Rio en 1992, accentuée par
l'avènement la charte d'Aalborg en 1994 pour
les villes européennes durables. De plus, des publications et des
rapports sont publiés sur les pathologies, l'environnement de leur
évolution et les mesures à prendre afin de les éradiquer.
Ceci s'inscrit dans une démarche de conscientisation de l'ensemble des
acteurs et des populations aux problèmes et aux facteurs clés de
la santé.
V.2- Genèse et évolution201 : vers une
vision populationnelle
Après avoir couvert le monde de déclarations et
de conférences internationales, après le colloque et la charte
d'Ottawa en 1986, l'OMS avec le bureau européen de l'OMS à
Copenhague au Danemark lance le programme des villes-santé. Ce projet
s'inscrit dans les deux dernières approches de santé
évoquées précédemment (l'approche de
développement durable et l'approche globale et positive
prônée par le l'OMS). Son ambition étant de garantir
à tous les moyens (éducation, travail, vie sociale, environnement
sain, etc.) pour atteindre un bien-être physique et mental. Cet objectif
s'inscrit dans la volonté de décliner à l'échelle
locale, les principes de la santé pour tous et
de la promotion de la santé (Charte d'Ottawa).
Ce programme s'est développé en réseau à
l'échelle européenne puis mondiale. Il évolue par phases
successives de cinq ans, chaque phase ayant ses propres objectifs. Aujourd'hui,
ce programme est à sa VII phase (2019-2024) ouverte avec la signature du
consensus de Copenhague Une meilleure santé et plus de
bonheur dans les villes, pour toutes et
tous202. Au commencement de
ce programme, 11 villes européennes ont adhéré à ce
mouvement ville-santé : « Barcelone (Espagne),
Bloomsburry-Camden (Royaume-Uni), Brême (Allemagne), Düsseldorf
(Allemagne), Horsens (Danemark), Liverpool, (Royaume-Uni), Pecs (Hongrie),
Rennes (France), Sofia (Bulgarie), Stockholm (Suède), Turku
(Finlande) »203. On constate qu'en
201 « Les Villes-Santé de l'OMS | Réseau
français des Villes-Santé de l'OMS », 12 décembre
2016,
https://www.villes-sante.com/oms-europe/villes-sante-oms/.
(cette partie est tirée du site du réseau ville santé
Français, E. Le Goff)
202 « Les Villes-Santé de l'OMS | Réseau
français des Villes-Santé de l'OMS »,
https://www.villes-sante.com/oms-europe/villes-sante-oms/.
203 Erwan Le Goff, « Erwan Le Goff. Les
Villes-Santé en Bretagne : quels choix de gestion et
d'aménagement des
espaces ?. Géographie. Université
Rennes 2, 2012. Français. ffNNT : 2012REN20051ff. fftel-00772443 »
(2012).
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France, seule la ville de Rennes a fait le choix
d'adhérer ce nouveau concept dès sa création. Aujourd'hui,
le mouvement compte une trentaine de réseaux nationaux couvrant plus de
1500 municipalités à l'échelle mondiale. En France, le
réseau national compte 91 villes et intercommunalités soit plus
de 13 millions d'individus représentés par les
villes-santé françaises204.
Le réseau français s'organise par groupe de
travail thématique : « vaccinations, santé
mentale et habitat, sport-santé sur ordonnance, services municipaux de
santé scolaire; un nouveau groupe est en projet concernant les
perturbateurs endocriniens. D'autres thèmes sont également
prioritaires pour cette année : le changement climatique, les espaces
verts, les mobilités (transports, déplacements), la petite
enfance, le tabac, l'urbanisme ».205
En effet, ce réseau Villes-Santé promeut la
collaboration entre les villes ou les EPCI qui veulent favoriser des politiques
d'amélioration de la santé et de la qualité de vie
citadine (partage d'expériences, de statistiques, réunions,
actions communes)206. Au regard de la proximité entre les
populations et les municipalités, ce programme part du principe que les
villes sont la bonne échelle pour appliquer et développer des
projets en faveur de la santé207. Effectivement, les
municipalités sont au fait des besoins et des exigences des populations
ainsi que l'ensemble des éléments de leur vie quotidienne. Cela
étant, elles s'engagent à donner une orientation populationnelle
à leur projet de développement urbain en créant plus de
justice sociale de santé, de la promotion de la santé et des
soins préventifs.
Ainsi Hancock & Duhl
ont donné une définition de la ville-santé comme
étant « [...] une ville qui créé et
améliore continuellement les environnements physiques et sociaux et qui
développe les ressources de la collectivité, permettant ainsi aux
individus de s'entraider dans l'accomplissement de l'ensemble des fonctions
inhérentes à la vie et permettant à ceux-ci de
développer au maximum leur potentiel personnel
»208.
204 Ville d'Aubagne, « Aubagne dans le réseau des
villes-santé de l'OMS », Ville d'Aubagne : Site Internet,
consulté le 18 novembre 2021,
https://www.aubagne.fr/actualites-109/aubagne-dans-le-reseau-des-villes-sante-de-l-oms-1604.html?cHash=917ba0c4d3ce2da2a5e7780a6fba6b18.
205 « Les Villes-Santé de l'OMS | Réseau
français des Villes-Santé de l'OMS ».
206 Idem, art. déjà cité
207 Le Goff, « Erwan Le Goff. Les Villes-Santé en
Bretagne : quels choix de gestion et d'aménagement des espaces ?.
Géographie. Université Rennes 2, 2012. Français. ffNNT :
2012REN20051ff. fftel-00772443 ».
208 Hugh Barton & Catherine Tsourou, « URBANISME ET
SANTE Un guide de l'OMS pour un urbanisme centré sur les habitants
».
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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Cette définition a été enrichie par la
définition suivante : « Une Ville-Santé se
définit en référence à une démarche et non
pas simplement en termes de résultat. Une Ville-Santé n'est pas
une ville qui a atteint un niveau particulier d'état de santé,
mais une ville qui se préoccupe de la santé et s'efforce de
l'améliorer. Ainsi toute ville quelle qu'elle soit peut prétendre
être une Ville-Santé indépendamment de son état de
santé du moment ; ce qui est exigé d'elle, c'est un engagement
vis-à-vis de la santé avec l'établissement d'une
organisation et d'une démarche permettant d'y parvenir. »
209 210
Ce nouveau paradigme d'appréhender la santé en
ville, repose donc sur la volonté politique de se préoccuper de
la santé des habitants et de rester en perpétuelle recherche sur
le développement et l'amélioration des facteurs qui se traduiront
dans le temps par l'amélioration de la santé et du
bien-être. Ainsi, ce programme prend comme référentiel le
paradigme de la charte d'Ottawa et notamment l'un de ses principes qui
encourage à « Créer des milieux favorables
». Cela incite donc les villes à offrir un
environnement favorable à la santé, en intégrant dans leur
politique urbaine des modes d'urbanisme favorables à la
santé211.
Ce programme se traduit globalement en une
référence à partir de laquelle l'ensemble des
protagonistes agissant sur les espaces de vie des populations. Ils pourront
agir stratégiquement selon des approches globales, intersectorielles,
partenariales et participatives pour une finalité populationnelle.
V.3- Le concept urbanisme favorable à la santé :
un changement de
paradigme.
L'urbanisme est l'action visant à
organiser les villes afin d'en optimiser le fonctionnement et de l'adapter aux
besoins de ses habitants », d'après Merlin P. & Choay F., 2000,
Dictionnaire de l'aménagement et de l'urbanisme, Paris,
PUF212.
Nous avons vu, historiquement, comment l'urbanisme a
évolué et nous avons bien noté son lien complexe avec la
santé. Son impact temporel sur l'humain pousse les scientifiques
à
209 idem
210 Agis TSOUROS, « World Health Organization Healthy
Cities project : a project becomes a movement - review of progress 1987 to
1990. Copenhague: FADL, 1990. » (Copenhague, 1990).
211 Le Goff, « Erwan Le Goff. Les Villes-Santé en
Bretagne : quels choix de gestion et d'aménagement des espaces ?.
Géographie. Université Rennes 2, 2012. Français. ffNNT :
2012REN20051ff. fftel-00772443 ».
212 PAUL BOINO, « UE: mode de régulation de la
productionet de la gestion de la ville (MRP)- 2020- Université Lyon 2
-Institut d'urbanisme de Lyon (IUL)- M2 Urbanisme et aménagement -
» (2020).
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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accentuer l'observation et la recherche sur l'émergence
d'une nouvelle méthode. Aujourd'hui, la réflexion s'oriente vers
un nouveau paradigme permettant de dissiper cette relation complexe. Le concept
d'un urbanisme favorable à la santé est
né de l'évolution des travaux du mouvement ville-santé. Il
en constitue l'élément essentiel de tout processus de prise de
décision permettant d'améliorer la santé par la
qualité de l'environnement bâti. Un urbanisme favorable à
la santé est en effet un urbanisme centré sur
l'humain213 et sur les besoins essentiels à sa santé.
Il constitue l'un des piliers du programme ville-santé. Il s'agit donc
de changer de registre et de ne pas se focaliser que sur les risques de
l'urbanisme sur la santé mais surtout sur les éléments
urbanistiques qui favorisent la santé humaine dans une ville. De ce
fait, nous allons donc utiliser la carte des déterminants de
santé de Hugh Barton qui avec Cathrine Tsourou (C. figure n°14)
définissent l'urbanisme favorable à la santé comme un
urbanisme qui « [..] implique des aménagements qui
tendent à promouvoir la santé et le bien-être des
populations tout en respectant les trois piliers du développement
durable. Il porte également les valeurs d'égalité, de
coopération intersectorielle et de participation, valeurs clés de
la politique de l'OMS « la santé pour tous
»214.
213 Hugh Barton & Catherine Tsourou, « URBANISME ET
SANTE Un guide de l'OMS pour un urbanisme centré sur les habitants
».
214 Roué Le Gall, « «Agir pour un urbanisme
favorable à la santé, concepts & outils » ; Guide
EHESP/DGS, ROUÉ-LE GALL Anne, LE GALL Judith, POTELON Jean-Luc et CUZIN
Ysaline, 2014. »
Comment l'urbanisme peut-il s'inscrire dans une
démarche préventionnelle pour limiter le tout-médical ?
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Figure n° 14 : Déterminant de
santé à travers le prisme de l'aménagement du territoire
(Barton 2006 et C.
Tsourou
Source : Guide Agir pour
un urbanisme favorable à la santé : Anne Roué Le Gall,
«; Guide EHESP/DGS, ROUÉ-LE GALL Anne, LE GALL Judith, POTELON
Jean-Luc et CUZIN Ysaline, 2014. », Guide (EHESP, 2014).
Cette carte graphique illustre les déterminants de
santé dans les municipalités à travers le prisme de
l'aménagement de l'espace. Elle prend uniquement en compte que des
facteurs modifiables.
Dans un article publié en 2009 par le journal
ELSEVIER.com,
Hugh Barton utilise ce modèle pour démontrer la
particularité de l'écosystème et son influence sur les
déterminants de santé. Selon lui, un aménagement favorable
à la santé dépend principalement des politiques de
planifications stratégiques qui sont à même
de215 :
215 Hugh Barton, « Land use planning and health and
well-being-2009 », WHO Collaborating Centre for Healthy Urban
Environments, School of Built and Natural Environment, University of the West
of England, Frenchay, Bristol BS16 1QY, United Kingdom, 2009.
·
Toutefois, ces planifications stratégiques
nécessitent aussi bien une collaboration entre l'ensemble des
importantes organisations publiques et privées qui agissent sur
l'environnement bâti qu'une véritable participation des habitants
à la prise de décision.
En effet, ce concept de l'urbanisme favorable à la
santé s'inscrit parfaitement dans l'approche globale, positive et
intersectorielle de la santé. Il est en parfaite cohérence avec
les 3 piliers du développement durable. Cependant, nous avons
observé à travers l'étude des déterminants de
santé, la prédominance du déterminant
socio-économique dans la santé des individus. L'urbanisme et
l'aménagement à eux seuls ne peuvent répondre directement
à ce déterminant. Mais l'organisation et la conception de
l'environnement bâti a une influence importante dans la vie quotidienne
des individus. À titre d'exemple, une politique de l'habitat mixant des
logements publics et privés dans chaque quartier de la ville,
associée à une intensification urbaine favorisera la
mixité sociale, la mobilité active, l'accès facile aux
équipements. Une telle organisation de l'environnement bâti
apaisera également la temporalité de la ville et évitera
la périurbanisation et l'étalement urbain qui ne sont pas sans
impact sur la santé des habitants. En effet la proximité des axes
routiers facilite l'utilisation systématique du véhicule
individuel pour les déplacements quotidiens et par conséquent
plus de stress et d'angoisse, plus de pollution etc.
L'urbanisme d'aujourd'hui se veut un urbanisme de
santé, écosystémique, global et positif par la
construction des Ecoquartiers, des opérations d'aménagement vert
ou l'intervention sur les plans de circulation pour apaiser les quartiers ou
encore des opérations de l'urbanisme tactique. Il n'en demeure pas moins
que la ville héritière de la charte d'Athènes
composée de plus de deux tiers de son emprise foncière, par
l'urbanisme fonctionnaliste rend complexe la transition urbaine
souhaitée par l'urbanisme d'aujourd'hui. Le défi qui se pose donc
et se posera encore dans le futur aux urbanistes est d'assurer cette transition
urbaine qui, en effet, nécessitera sûrement, sans avoir recours
à la doctrine de « la table rase », de refaire la ville sur la
ville en intégrant à la réflexion urbanistique l'habitat,
la mobilité, la nature en ville, la temporalité de la ville voire
du territoire, la requalification des espaces et des équipements
publics, l'offre commerciale de proximité, la sauvegarde des
écosystèmes, etc. En effet, cette transition repose sur le
paradigme d'un du New Urbanism217 qui
rompt définitivement avec la doctrine du zonage.
l'institutionnalisation du concept : une approche volontariste
de la santé en ville