2.1.1.3 Approche économique
L'approche économique de l'abandon scolaire consiste
à l'explication théorique sous l'angle économique des
différences en matière de réussite scolaire. Le
modèle utilisé ici est la demande d'éducation, un
modèle de la théorie du capital humain.
a) La théorie du capital humain : le modèle
de la demande d'éducation
La théorie du capital humain fut initialement
développée par Gary Becker en 1964 et largement diffusé
par la publication de son ouvrage majeur intitulé « Human
capital ». Dans cet ouvrage une analyse économique des
différences en matière de poursuite scolaire a été
faite et largement diffusée. Le modèle théorique
étant la demande d'éducation.
Pour Patrick GUILLAUMONT cité par SHOUAME (2018), le
capital humain est « le capital incorporé dans l'homme, disons
encore l'ensemble des biens qui, incorporés dans l'homme permet
d'accroître la productivité du travail humain : il s'agit en fait
de l'éducation
LAMAH François Xavier Master Professionnel en
Démographie Page 36
et de la santé, qui ont le double caractère
d'être produit et d'être des biens de production ». Dans
cette définition, l'éducation et la santé sont
considérées dans un premier temps comme des biens produits,
résultant d'un ensemble d'activités. Dans un deuxième
temps, elles sont considérées comme des biens de production,
c'est-à-dire elles contribuent à la production d'autres biens. Le
capital humain étant ainsi globalement défini, nous allons par la
suite, nous contenter de sa deuxième dimension qui est celle liée
à l'éducation. Le modèle qui lui est associé est le
choix des études, donc la demande d'éducation (SHOUAME, 2018).
Le modèle de la demande d'éducation part de
l'idée selon laquelle le capital (la capacité de production d'un
individu) est difficilement perceptible par l'autrui, le diplôme est
cependant l'élément crédible à fournir de
l'information sur la productivité des travailleurs au moment de
l'embauche. Ainsi, plus l'individu à un diplôme
élevé plus sa capacité de production est grande. Pour
Becker, le choix de poursuivre ou au contraire d'arrêter l'école,
résulte d'un calcul purement économique basé sur le
principe coûts-bénéfices : les individus arrêtent de
fréquenter à partir du moment où ils ne pensent plus avoir
de gains (ils pensent perdre) en continuant l'école que s'ils se
limitaient au niveau atteint.
Dans ce cas une longue étude permet donc d'augmenter la
productivité des individus et de générer un flux de
bénéfices valorisable à la fois sur le marché du
travail et dans la production. Les moins diplômés ont en revanche
plus de difficultés à s'insérer en raison d'une plus
faible capacité productive. En outre, ces derniers ont également
une plus forte substituabilité du capital ce qui les rend plus
vulnérables sur le marché du travail (FLAYOLS, 2015).
b) Le modèle de la demande d'éducation et
ses limites
L'éducation étant supposée comme
investissement, il est normal de penser que chaque individu va chercher
à optimiser le rendement de son investissement éducatif ou
plutôt à continuer ces études tant que le taux de rendement
sera supérieur à celui des investissements alternatifs. Le
modèle de la demande d'éducation part donc de la comparaison
entre le coût des études et le supplément de gains
anticipés. En distinguant trois périodes à savoir :
? La période de scolarité obligatoire (0-t0) ? La
scolarité additionnelle (t0-t 1)
? La vie active (t0-tk ou t1-tk). Pour simplifier, nous
supposons que l'âge de fin de la vie active (noté tk) est le
même pour tous.
LAMAH François Xavier Master Professionnel en
Démographie Page 37
Figure 2.2 Schéma du modèle de la demande
d'éducation
Un individu n'ayant pas poursuivi ses études
au-delà de la scolarité obligatoire perçoit un salaire
w0f(t) où w0 résultant du diplôme initial et f(t) traduit
l'effet de l'expérience professionnelle pendant la vie active. A
contrario, un individu effectuant un investissement en capital humain percevra
w1(t) où w1>w0 et pourra envisager une courbe d'expérience
professionnelle différente (9(t)). Afin d'assurer sa formation ce
dernier subira des coûts directs (CD) et des coûts
d'opportunité (CI) liés au renoncement du salaire qu'il aurait
perçu s'il était entré sur le marché du travail
directement après la période de scolarité obligatoire.
Nous pouvons alors calculer les bénéfices B(t) retirés
d'un investissement en capital humain :
tk
B(t) _ 1 (wi9(t) - wof (t))
(1 + r)t
t=t1
Les coûts de l'investissement sont les suivants :
tk
c(t) _ 1 (CD(t) - Ci(t))
(1 + r)t
t=to
|
tk
_ 1(CD (t) + wof (t))
(1 + r)t
t=to
|
La rentabilité de l'investissement en capital humain
est donc définie par la différence entre les gains et les
coûts associés à ce dernier, soit R(t)= B(t)-C(t).
L'investissement se poursuit tant qu'il est rentable (R(t)>0) et cesse
lorsque le profit est nul. À ce point, le taux de rendement (r) est
alors appelé le taux de rendement interne de l'investissement en capital
humain,
? Les limites du modèle
S'il est vrai que l'absence d'instruction est un handicap pour
la productivité, il reste difficile de fixer le seuil minimum à
partir duquel l'employé est le plus productif. Il est quasi impossible
de déterminer quelle instruction supplémentaire provoque quelle
productivité
LAMAH François Xavier Master Professionnel en
Démographie Page 38
marginale. Et même si l'instruction peut contribuer
à la croissance de la productivité, cette contribution n'est
possible que lorsque les structures économiques sont à même
d'absorber toutes les personnes scolarisées.
Il est manifestement contredit par des observations empiriques
relativement à sa conclusion sur la méritocratie. Il admet que
les plus doués font les études les plus longues et les plus
difficiles et que des individus également doués font les
mêmes études, plutôt qu'ils font tous des études
aussi longues et aussi difficiles, le choix précis du sujet
dépendant à taux de rendement égal, des gouts des
individus. Or le fait que les enfants d'origine sociale plus modeste quittent
l'école plutôt et ont tendance à choisir plus souvent des
filières dont le rendement des études est relativement bas n'est
clairement pas explicable par le modèle du capital humain. Pas plus
d'ailleurs que ne le sont les disparités géographiques dans les
taux de scolarisation (SCHOUAME, 2018).
Pour NOUMBA Issodor (2008), un double problème se pose
à ce modèle. Même dotés d'un même niveau
d'éducation, les individus ne sont pas traités de manière
symétrique sur le marché du travail. Le salaire peut varier en
fonction du secteur dans lequel l'individu est employé. On parle alors
de rendements variables de l'éducation. De même, investir dans
l'éducation constitue un risque à cause de la probabilité
d'abandonner l'école avant la fin du cycle où l'individu est
inscrit et d'achever ce cycle sans trouver un emploi
rémunérateur.
SCHOUAME (2018) exprime que si l'on analyse la logique du
modèle de demande d'éducation, on voit que l'on peut mettre en
question les hypothèses suivantes :
? L'éducation n'est demandée que dans un but
d'investissement ; ? La demande d'éducation ne dépend pas des
variables d'offre. 2.1.1.4 Approche institutionnelle
La plupart des travaux sur le décrochage (abandon)
scolaire convergent sur le fait que ce phénomène est
multidimensionnel, et que ses origines sont multiples et peuvent être
appréhendées par des cadres théoriques de
différentes disciplines (ROBERTSON et COLLERETTE, 2005). Si les
études en psychologie mettent surtout l'accent sur les dimensions
intrapsychiques, comportementales et socio-interactionnelles, des facteurs
structurants des institutions ou encore du rapport entre les classes sociales,
et que les sociologues et des historiens s'intéressent également
en examinant la problématique sous l'angle de la construction sociale du
phénomène, les chercheurs en éducation se penchent
LAMAH François Xavier Master Professionnel en
Démographie Page 39
davantage sur les liens entre le décrochage, les
méthodes pédagogiques et l'environnement éducatif (BRUNO
et all, 2017).
Dans cette dernière approche soutenue par les
chercheurs en science d'éducation, il est supposé que l'abandon
scolaire ou les inégalités en matière de réussite
scolaire, relèvent essentiellement des méthodes
pédagogiques ainsi que l'environnement éducatif. ROBERTSON et
COLLERETTE (2005) relèvent un certain nombre de facteurs de
l'environnement scolaire qui influencent l'abandon scolaire à partir des
études empiriques. En effet, d'après eux, plusieurs auteurs ont
démontré l'influence de l'école sur l'expérience
scolaire des adolescents, par ses structures, son organisation du curriculum et
son climat. Ils continuent en soulignant que « peu d'études ont
démontré un lien explicite entre l'environnement scolaire et le
décrochage ; néanmoins, les liens observés entre
l'absentéisme et le décrochage (Bos et al., 1990), de même
que les résultats d'études concernant l'influence de
l'environnement scolaire sur la réussite (Janosz et al., 1998)
suggèrent que l'école, en tant que milieu de vie, reste l'un des
principaux déterminants de la persévérance scolaire
».
L'organisation scolaire est également
considérée dans cette approche comme déterminant dans
l'explication de l'abandon scolaire des élèves. En effet, les
écoles qui incorporent une grande diversité de cheminements
éducatifs au secondaire et qui comportent une population très
diversifiée sur les plans ethniques, culturels, intellectuels semblent
moins efficaces (RUMBERGER, 1995 cité par ROBERTSON et COLLERETTE,
2005).
Les pratiques éducatives ont été
également relevées par ARCHAMBAULT et CHOUINARD (1996)
cité par JANOSZ (2000). Par exemple les écoles où l'on
utilise une gamme variée de pratiques pédagogiques semblent les
plus efficaces. De plus, ces écoles efficaces font usage de
stratégies de gestion novatrices, d'un bon système d'encadrement
ainsi que d'un système de reconnaissance axé sur le renforcement
plutôt que sur la punition.
FISCHER Lorenzo (2004) dans une recherche sur l'abandon
scolaire en Italie, suppose que « Si la baisse de la dispersion
scolaire constatée ces dernières années dans le
deuxième cycle du secondaire atteste d'une demande d'instruction accrue
dans la société italienne, elle pourrait en partie aussi masquer
les efforts déployés par les chefs d'établissement et les
enseignants pour éviter les fermetures de classes et les fusions
d'instituts que la baisse de la démographie serait susceptible
d'entraîner ». De cette hypothèse, il affirme que si
cette dernière hypothèse se révélait fondée,
« les indicateurs formels du pourcentage accru de réussite
scolaire ne correspondraient pas, dans les mêmes proportions, à de
réels progrès qualitatifs de l'offre éducative, ni
à une formation capable de
LAMAH François Xavier Master Professionnel en
Démographie Page 40
garantir, à un nombre croissant de jeunes,
l'acquisition effective de capacités et de compétences
».
Cette approche permet de comprendre comment l'organisation
dans établissement, notamment les règlements intérieurs,
peut favoriser ou non la réussite des élèves.
|