CHAPITRE II : CADRE THEORIQUE DE L'ETUDE
Antérieurement, des études fondées sur
différents paradigmes ont été réalisées et
suggèrent que l'explication de l'abandon scolaire des
élèves dépend de deux groupes de facteurs : les facteurs
de l'offre d'éducation et les facteurs de la demande d'éducation.
L'abandon scolaire des milliers de jeunes a une signification profonde et
complexe, et comporte certainement des messages qu'il importe de comprendre et
de décoder (B. SAWADOGO et B. SOURA, 2002). En effet, l'abandon scolaire
est un long processus cumulatif et hiérarchisé qui s'explique
à partir des facteurs personnels mais aussi familiaux et
scolaires6 (FORTIN & al, 2005). Ce chapitre est composé
de deux sections : la revue de la littérature et le cadre conceptuel.
2.1 Revue de la littérature
Dans ce chapitre, nous allons d'abord passer en revue des
approches théoriques développés antérieurement par
bon nombre de théoriciens pour comprendre les différences en
matière de réussite scolaire, et enfin seront
présentés les différents facteurs associés à
l'abandon scolaire des enfants relevés à partir des études
empiriques antérieures.
2.1.1 Les approches explicatives de l'éducation
Les approches explicatives de l'éducation sont des
éléments théoriques visant à donner des
orientations en matière de recherche sur les interactions entre la
trilogie élève, famille et école. En particulier, pour ce
qui est de l'abandon scolaire, elles visent à mettre en exergue les
principaux facteurs explicatifs. Il s'agit de l'approche socioculturelle,
l'approche psychologique, l'approche économique et l'approche
institutionnelle.
2.1.1.1 Approche socioculturelle
Le phénomène de l'abandon scolaire a
été clairement analysé sous l'angle sociologique
grâce aux travaux de Bourdieu et Passeron, de Boudon et de Bertrand.
Partant tous du constat selon lequel il y a des différences de
réussite scolaire selon l'origine sociale des enfants : les enfants des
cadres réussissent mieux que les enfants des ouvriers. On peut retenir
de ces études « Les Héritiers » et «
la reproduction » de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron et
« L'inégalité des chances » de Raymond Boudon.
Ces études expliquent clairement pour le cas de la France, au
début de la deuxième moitié du XXème siècle,
les différences de réussite scolaire entre les enfants des cadres
(des familles riches ou aisés) et les
6 Les facteurs personnels et
familiaux relèvent de la demande scolaire alors que les facteurs
scolaires sont de l'offre scolaire.
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enfants des ouvriers (des familles pauvres ou modestes) sur la
base d'un certain nombre de questionnements : Le système scolaire
contribue-t-il à atténuer l'inégalité des chances ?
L'aggrave-t-il au contraire ? Quels sont les facteurs extra-scolaires qui
déterminent cette inégalité des chances ? Cependant ces
études sont basées sur des approches diamétralement
opposées : les deux premières sont de la tradition
holiste, c'est-à-dire le tout l'emporte sur les parties. La
dernière quant à elle, est de la tradition individualiste
où on part des individus pour avoir l'ensemble des individus, le
tout est formé des éléments.
? Théorie de la reproduction sociale selon
Bourdieu et Passeron.
Pierre Bourdieu est de tradition holiste. Il suppose
que pour comprendre le fonctionnement de l'école face aux
inégalités en matière de réussite, il faut analyser
l'ensemble du système scolaire et non pas partir des choix des
individus. C'est en 1964 que Bourdieu et Passeron montraient pour la
première fois dans « Les héritiers », les
inégalités des chances d'accéder à l'enseignement
supérieur pour les fils de cadre et les fils d'ouvrier. En 1970, dans
« La reproduction », ils insistent à nouveau sur les
inégalités de chance de réussite scolaire et
dénoncent en même temps une tendance à la «
reproduction » des catégories sociales.
Pour eux, l'école est un instrument de reproduction
sociale au service des classes dominantes et que de génération en
génération, les individus ou les groupes d'individus cherchent
à maintenir ou à améliorer leur position sociale : c'est
le principe de la reproduction sociale. Cependant les stratégies de
reproduction ne sont pas toujours les mêmes, elles varient d'une
époque à une autre. Par exemple, dans les sociétés
traditionnelles, les stratégies matrimoniales permettaient d'assurer la
reproduction sociale. Par contre dans nos sociétés actuelles,
c'est le diplôme qui sert de « passeport » indispensable
à l'obtention d'un emploi.
? Analyse de Bourdieu et Passeron sur les
inégalités liées au fonctionnement de
l'école
La réussite scolaire des enfants des classes dominantes
ne s'explique pas par leur talent (leur don) mais par leur héritage
culturel ainsi que le fonctionnement de l'école. C'est-à-dire que
chaque participant au jeu social dispose de ressources assimilables à
des capitaux, largement léguées par les parents
(Bourdieu et Passeron, 1984).
PARENTS ========================================== > ENFANT
CAPITAUX (culturel, économique, social)
Le capital culturel peut être les connaissances, dont la
maîtrise de la langue, l'amour de l'Art. Le capital économique
quant à elle renvoie aux ressources matérielles, la
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transmission d'un outil de travail par exemple. Quant au
capital social, c'est l'étendue des relations sociales, par exemple
héritage d'un carnet d'adresse. Les familles transmettent à leurs
enfants, un capital culturel que l'école va valoriser car celui-ci est
un prérequis des exigences de l'école (culture libre, langage,
mode de raisonnement...). L'école en privilégiant des
qualités comme l'expression orale ou écrite, la possession d'une
culture extra-scolaire conforme à la culture dominante, n'est qu'un
habitus pour les enfants des classes dominantes (même valeurs,
même goûts culturels...) et les favorisent dans le processus
d'apprentissage par rapport aux enfants des classes basses.
Le rôle que va jouer l'école dans la reproduction
sociale d'une génération à l'autre, ne favorise pas
l'égalité des chances mais elle renforce voire justifie
plutôt les inégalités, elle n'est donc pas neutre. Elle ne
serve qu'à la reproduction de la classe dominante. Pendant que la
socialisation de la famille et la socialisation scolaire se
complémentent pour la classe dominante, elles sont en même temps
diamétralement opposées pour la classe dominée. On a
parfois l'impression de l'égalité des chances, tout en faisant de
l'école, un instrument de sélection sociale. Dans ces conditions,
les enfants des classes populaires acceptent leur élimination et la
considèrent comme normale parce que tout simplement les enfants et leur
famille ne maîtrisent pas réellement leur destin scolaire.
Même la démocratisation de l'accès
à l'éducation n'entraine pas systématiquement la
réduction des inégalités sociale. Dans Les
héritiers, les auteurs précisent que « en dehors
des inégalités d'accès observées, on peut trouver
une preuve de l'importance des obstacles culturels dans le fait que, même
après quinze ans ou plus d'homogénéisation par
l'école, on remarque chez les étudiants des différences
d'attitudes et d'aptitudes liées à l'origine sociale
».
Théorie de l'inégalité des
chances selon Raymond Boudon
A l'opposé de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron,
Raymond Boudon est le Chef de file de l'individualisme méthodologique
(où on part des individus pour avoir l'ensemble des individus, on fait
la somme des comportements individuels, s'inspirant ainsi de Max Weber). Pour
lui, contrairement à Bourdieu et Passeron, pour comprendre
l'école, il faut partir de la stratégie des individus, il existe
dans ce cas ce qu'il appelle un « homo sociologicus »,
c'est-à-dire un individu rationnel, libre de ses choix et qui fait donc
la vie sociale (il est actif, acteur et non pas passif comme Bourdieu). De
même, il constate qu'il existe dans notre société une
« inégalité des chances » selon l'origine sociale mais,
son explication est différente de celle de Bourdieu.
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Boudon part du principe selon lequel l'école est neutre
et que les inégalités scolaires ne sont que le résultat
des différences des stratégies individuelles par rapport aux
origines sociales. Pour lui, l'école est constituée d'un ensemble
de points de bifurcation (choix de la langue, des options au collège,
choix des filières en première, choix post-bac : fac ou grandes
écoles) et qu'à chaque point de bifurcation, ils existent des
stratégies individuelles qui varient selon l'origine sociale.
En effet, les élèves et leur famille comparent
à chaque décision les coûts et avantages de leurs choix.
Où le coût renvoie au temps perdu, l'effort financier consenti,
rupture avec la culture du milieu familial, risque d'échec ... et les
avantages renvoient au salaire élevé et le niveau social plus
élevé. Tant que les avantages sont supérieurs au
coût, l'individu continue ses études. Mais dans cette logique, les
familles issues de milieux modestes surestiment le coût et sous-estiment
les avantages du diplôme alors que c'est le contraire pour les familles
issues de milieux privilégiés. Ce qui traduirait
évidemment qu'un élève issu d'un milieu modeste choisira
plus facilement de s'arrêter au BEPC ou au Bac (c'est déjà
une réussite par rapport aux parents) ou des filières courtes
(rentabilité immédiate) alors qu'un élève issu d'un
milieu aisé s'arrêtera rarement au niveau bac (coût
psychologique trop important de l'arrêt des études). Ainsi, les
inégalités scolaires s'expliquent par les actions, les
stratégies individuelles et des familles dans le système scolaire
et non pas par le fonctionnement de l'école que pense Bourdieu.
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