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8 DISCUSSION
Avec cette observation, j'ai pu soulever plusieurs points
dont il me semblerait intéressant de mettre en lumière. Mais
avant toute chose, d'une manière générale, nous pouvons
confirmer qu'il existe bien un grand nombre d'interruption auxquels l'IADE est
confronté.
Le premier point à éclairer
est donc la prédominance des IT durant la période
couvrant l'induction jusqu'à la finalisation de l'installation
chirurgicale. N'ayant pas d'étude de comparaison, nous pouvons
néanmoins observer, d'après mes résultats, qu'il s'agit
d'une période à haut risque en termes de fréquence
d'interruptions.
Pourquoi ? D'après mes observations, j'ai pu constater
que l'équipe en charge de l'intervention était au complet lors de
cette étape. Les IBODEs, le MAR, le
chirurgien ainsi que les autres acteurs de soins, qui sont
indispensables, étaient tous présents pour prendre en charge le
patient monitoré sur la table. Les professionnels de santé qui
sont une importante source d'IT d'après mes résultats (cf.
Graphique 4, page 105), confirme la complexité du lien entre
fréquence des interruptions et le nombre de personnes composant
l'équipe présente lors de ces IT. Au tout début de
l'induction, c'est la pré-oxygénation qui permet de
débuter cette séquence. Or, c'est dès cette tâche
que l'IADE est le plus interrompu (cf. Tableau 50, page 102).
Avec mes recherches, j'ai pu comprendre que le
facteur humain et les facteurs liés à
l'équipe jouaient un rôle important dans ces
interruptions. En effet, ces deux concepts sont mis
régulièrement en cause dans la littérature (cf.
Paragraphes 3.2.4, page 22 et 3.3.2.2, page 34) et observés pendant mon
enquête. Ce constat va également dans le sens de l'HAS, qui
mentionne que l'approche classique de la « faillibilité
humaine » ne suffit plus pour écarter le risque de faire
des erreurs, et que l'équipe, d'après son
étude de 2015 sur les EI, peut-être à l'origine
d'erreurs. Ces 2 facteurs font partis, entre autres, des
différents items utilisés dans la méthode ALARM pour
l'analyse des EIG.
Nous pouvons donc mettre en avant que les professionnels de
santé formant « l'équipe pluridisciplinaire
» du bloc peuvent être des vecteurs d'IT dans la pratique
IADE.
Peut-on justifier cette relation uniquement par ce biais ?
Pas seulement. En effet, lorsque l'on s'attarde sur ma grille d'observation
regroupant les tâches de l'IADE (cf. Annexe n°1,
page 139), nous pouvons nous apercevoir que la séquence qui traite la
114
période allant de l'induction à la finalisation
de l'installation chirurgicale regroupe 8 tâches qui sont :
· La pré-oxygénation et/ou la sédation
inhalatoire.
· La sédation Intra-Veineuse (injection IV) et/ou
Anesthésie Loco-Régionale.
· L'occlusion palpébrale.
· L'intubation (IOT/ML).
· La fixation, l'auscultation pulmonaire et la
sécurisation des circuits.
· Le réglage des paramètres du respirateur
(mode, Volume courant, fréquence respiratoire, fraction inspirée
en oxygène et en gaz anesthésique, etc...).
· Le changement de position et/ou la vérification
des points d'appui.
· Autres.
Ces 8 tâches se déroulent en fonction de
plusieurs paramètres comme le profil du patient, l'organisation,
la dextérité et l'ergonomie de l'IADE qui n'ont
pas été pris en compte. Ces paramètres
pourraient-ils avoir une influence sur le nombre des IT ? Les réactions
seraient-elles différentes et plus appropriées ? Je suis parti du
principe qu'il s'adaptait au profil de l'IADE, son organisation ainsi que celle
de l'équipe qui collaborait avec lui. La coopération
du patient ou son adaptation à l'environnement
du bloc avant son intervention, pourrait aussi influencer le temps
de cette étape, notamment au bloc pédiatrique qui est
spécifique. Je me suis donc posé la question suivante :
Est-ce qu'il existe un lien entre le nombre d'IT et le temps
passé à effectuer une tâche ? Existe-t-il une
corrélation entre la durée d'une procédure et la survenue
de plusieurs IT dans cette même tâche? Si la
pré-oxygénation dépend du patient et qu'elle dure un
certain temps, n'est-ce pas pour cela qu'elle enregistre un plus grand nombre
d'IT ? Il semblerait évident de l'affirmer mais je n'ai pas de
statistiques pouvant confirmer cela.
Le deuxième point que je souhaiterais
développer est celui du fait que presque la moitié des
IT observées se concentre sur un groupe de cinq
tâches (cf. Tableau 50, page 102). Or, ma grille d'observation
(cf. Annexe n°1, page 139), m'a permis d'en recenser trente-cinq. Ce qui
m'amène à me poser la question :
Quelles solutions apporter au sujet de ces cinq tâches
pour diminuer de moitié le risque d'erreurs imputables aux IT ?
Étant donné qu'elles représentent 48,17%
des IT, il m'a semblé intéressant d'y
réfléchir.
Le fait que la majorité des IT se
déroule en salle d'opération constitue le troisième point
de mon raisonnement, en mettant en avant que le regroupement
de
115
plusieurs individus dans un même
espace, induisent des IT. Il est intéressant
de remarquer que c'est aussi l'endroit où se déroule la plupart
des tâches effectués par l'IADE, hormis quelques actes
programmés à l'extérieur comme l'accueil du patient. C'est
pour cela que les résultats qui montrent une forte observation d'IT en
salle d'opération (95,12%), peuvent naturellement
s'expliquer par une concentration d'activité importante et qui ne
résultent pas de la seule présence de l'équipe
d'intervention. Aucune étude comparative n'a pu être
abordée dans ma recherche mais la puissance du résultat identifie
clairement la sensibilité du lieu face aux IT et donc la forte
disposition de l'IADE, très présent dans la salle
d'opération, à être interrompu pendant des tâches qui
nécessites beaucoup de concentration comme la préparation des
seringues d'anesthésie.
Le quatrième point que j'ai pu
observer est celui qui concerne le temps de présence de chaque
professionnel en contact avec l'IADE. D'après mes
résultats, les professionnels de santé sont à l'origine
des IT dans sa grande majorité (cf. Graphique 4, page 105). A l'issu de
ces résultats, on peut se questionner sur le rapport entre la
présence d'un professionnel dans la zone d'activité de l'IADE et
sa possibilité d'être à l'origine d'IT.
Pour le vérifier, j'ai dû croiser des
données qui sont ressorties de mon observation. Lorsque je remarque que
l'IBODE comptabilise 32,2% des IT, je fais le lien avec
l'idée qu'il démarre sa journée et prépare sa salle
aux mêmes amplitudes horaires que l'IADE, c'est à dire qu'ils se
côtoient continuellement. On peut affirmer que son temps de
présence passé au côté de l'IADE peut
être un facteur de survenue d'IT car le type d'IT est
préférentiellement lié au « contact humain
». Celui-ci est physique pour plus de 74% (cf.
Graphique 3, page 104). Le MAR et le chirurgien qui arrivent plus tard dans le
processus, complète cette hypothèse avec respectivement 25% et
18% (cf. Graphique 5, page 106). Pour autant, lors de du déroulement de
la séquence « ouverture de salle », ce n'est pas l'IBODE qui
génère le plus d'IT, mais le MAR. Y aurait-il un facteur
permettant de vérifier cela ?
Le cinquième point différencie
les interruptions « justifiées » et celles
« non-justifiées ». En effet, Si l'on
regroupe les items correspondant aux IT « justifiées
» (« recherche d'information » +
« apport d'information » + « demande de
l'aide ») cela se traduit par une démarche de
collaboration. Il consiste ici en l'échange
d'informations importantes et entre chaque acteur de la prise en charge du
patient opéré.
Dans sa définition sur l'interruption de tâche,
la Haute Autorité de Santé mentionne le fait qu'il existe des
interruptions « justifiées » car
nécessaire à la PEC. Pour autant elles peuvent aussi occasionner
une « perte de performance ».
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D'après mes résultats, il a été
relevé que 46,95% d'entre-elles correspondent à
ces IT « justifiées ». Cependant, la part des
IT « non justifiées » («
discussion, bruit ambiant, volume sonore » + «
oubli matériel » + « problèmes
logistiques », etc...) est sensiblement supérieure
à celle des IT « justifiées »
(53,05%) (cf. Graphique 7, page 108). Si l'on considère
que les IT « non-justifiées » peuvent
être évitables alors pourquoi sont-elles plus nombreuses ? Quel
part de responsabilité peut avoir le facteur humain dans ce cas de
figure ?
Une partie de la réponse est dû notamment au type
d'IT « physique » qui est très
élevé (cf. Graphique 3, page 104). Lorsque j'ai abordé le
chapitre concernant les solutions qui ont été mises en oeuvre
pour lutter contre les IT (cf. Chapitre 3.3.3.1, page 36), je me suis
aperçu qu'elles étaient particulièrement efficaces
d'après les études qui les ont évaluées. Les «
Gilets jaunes » comme les « espaces
sécurisés » permettraient de réduire
les IT et nous pouvons donc imaginer diminuer surtout celles qui ne
demandent pas un travail de collaboration car moins importantes (IT «
non-justifiées »). Ces barrières ont pour
objectif de dissuader les IT en
général alors pourquoi ne serait-il pas envisageable de
s'inspirer de ces dispositifs pour diminuer l'impact des IT «
non-justifiées » au bloc opératoire dans la
pratique IADE ?
Là encore, ne disposant pas de données allant
dans le sens de cette hypothèse, je ne peux pas le confirmer car aucune
étude de la sorte n'a été réalisée sur la
sécurisation de la pratique IADE face aux IT au BO.
Cependant, se questionner sur l'usage « spontané
» des motifs d'IT « non-justifiées »
pourrait être un premier pas dans la nécessité de
sensibiliser les professionnels de santé à les réduire
à des fins plus collaboratives. Est-ce que cela aurait un impact sur la
survenue d'évènements indésirables évitables ? Le
débat reste ouvert. Comment s'adapterait l'équipe face à
ce type de formation ? Quelles solutions leur apporter ?
Le sixième point que j'ai
relevé concerne la capacité de l'IADE à s'adapter
face aux IT. Avec plusieurs réactions possibles et
annotées sur ma grille d'observation (cf. Annexe n°1, page 139), je
me suis accroché à l'idée que celui-ci disposait d'une
bonne résistance car il ne « s'interrompait pas
» dans 51,22% des cas.
De plus, j'ai aussi enregistré le fait qu'il y avait
très peu de situation où l'IADE « oubliait » de finir
sa tâche initiale au profit d'une tâche secondaire. Est-ce
là, une démonstration du concept de résilience
que j'ai pu aborder et tenter de développer dans mon cadre
conceptuel ? (cf. Paragraphe 3.3.3.3, page 40). Ne pouvant le confirmer car
restant dans une démarche observationnelle, il aurait été
intéressant de pouvoir l'exploiter au travers d'un questionnaire
destiné à l'IADE pour mettre en lumière cet aspect
neurocognitif. Cependant, après avoir discuté avec certains
d'entre eux après les observations, ils m'indiquent néanmoins
qu'ils sont conscients de ce
117
phénomène et qu'ils s'adaptent en fonction du
motif et évoquent leur expérience comme étant un atout
dans leurs capacités à être des professionnels «
multitâches ».
Cette discussion peut certainement expliquer mes
résultats concernant les différentes réactions de
l'IADE face aux IT (cf. Graphique 8, page 109). En effet, même
si l'IADE s'interrompt simplement et/ou décide d'effectuer une
tâche secondaire, il a tendance à revenir sur ce qu'il
était en train de faire.
Cela se confirme lorsque l'on additionne les items de ce
même graphique « stop la tâche initiale, débute
la tâche secondaire puis reprend la tâche initiale »
avec « stop puis reprend la tâche initiale ».
Ils représentent à eux deux une proportion de
46,34%, ce qui est plutôt significatif d'une
capacité à rester concentré malgré les
distractions.
Enfin le dernier point à identifier
est celui qui met en lien la durée moyenne des IT avec le risque
de perdre en performance dans le processus d'exécution des
tâches. Indiscutablement, j'ai relevé que la
majorité des IT observées ne dépassaient pas une minute
(cf. Graphique 9, page 110).
Cependant, il m'est impossible de savoir s'il y a un rapport
avec la possibilité d'une IT à être plus nuisible si elle
dure plus longtemps. Pourquoi ? Parce qu'il ne s'agissait pas de faire une
étude prospective sur la capacité des IT à être
handicapantes en fonction du temps d'interruption.
Malgré tout, nous pouvons nous appuyer sur le fait que
même les IT les plus courtes peuvent avoir un risque avéré
dans la survenue d'erreur car elles apportent une surcharge cognitive si elles
sont fréquentes et ciblées sur la même personne (cf.
Paragraphe 3.3.1.4 Synthèse, page 32, étude de HUET & al).
Après avoir effectué ce travail de recherche et
pris du recul sur la façon dont j'ai pu observer et mener mon
enquête observationnelle, je me suis rendu compte qu'il n'était
pas si simple de pouvoir « compter » la survenue des interruptions de
tâche. Se manifestant de manière totalement spontanée, il
m'a fallu, pendant ces 3 semaines, retravailler mon outil pour qu'il se
rapproche le plus possible de la réalité du terrain. Parfaitement
adapté à l'étude que j'ai choisie, il m'a
été d'une grande aide de pouvoir ainsi m'appuyer sur le
modèle de l'HAS qui existait déjà et qui avait fait ses
preuves dans le domaine.
Si je devais revenir sur les points faibles de cette
recherche, ça serait davantage sur l'aspect d'aborder les IADEs sur le
sujet. En effet, j'ai divulgué pour certains le thème de mon
enquête. Cependant, il ne m'a pas empêché de récolter
quelques résultats significatifs. Les axes d'amélioration
pourraient se porter sur le caractère trop
118
quantitatif de mes observations. En effet, je remarque que ma
grille d'observation ne relève que des données chiffrées
et que certains aspects de mon enquête auraient pu
bénéficier d'une réelle expertise plus qualitative
portant, par exemple, sur l'expérience et le vécu des
interruptions de tâche par le soignant IADE. Il m'aurait permis de
vérifier et de confirmer les hypothèses auxquelles je me
confronte. Par exemple, l'effectif soignant présent au BO serait-il ou
non plus dommageable en termes d'IT que la durée des tâches
accomplies ? C'est peut-être là, l'ouverture possible vers
d'autres enquêtes qui serviraient à compléter mon travail
de recherche. L'apport de variables non quantitatives auraient certainement
soulevé différents points de vue et dégager des
données significatives.
Ma question de départ cherchait à comprendre la
récurrence des IT, leurs origines et leurs motivations dans la pratique
de l'IADE (motifs, origines, localisation) de l'ouverture de salle
jusqu'à l'incision.
Je pense qu'à travers mon enquête, j'ai pu
répondre en partie à ce questionnement. Il reste cependant
beaucoup d'interrogations mais comme énoncé
précédemment, il ne s'agit que d'un état des lieux de
l'impact de ces IT sur la pratique des IADEs réunionnais. Cette
recherche mérite donc d'être approfondie pour apprécier
davantage notre vécu des interruptions.
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