Do not disturb: étude observationnelle des interruptions de tàches dans la pratique des infirmiers anesthésistes au bloc opératoire.par Christopher Jean-Baptiste Institut Régional de formation des infirmiers anesthésistes diplômé d'Etat (IRIADE, La Réunion 974)) - Infirmier Anesthésiste 2019 |
3.3.3.3 Ingénierie de la résilience ou comment savoir piloter sa pratique et s'adapter aux risques : des compétences non-techniques au service de la sécurité en anesthésieMême si ce concept ne développe pas de solution en lien direct avec les interruptions de tâche, celui-ci participe néanmoins dans la prévention des risques et exerce une certaine capacité de contrôle, de réussite et d'adaptation par les acteurs qui la pratiquent. Il s'agit en autre de ménager le professionnel afin qu'il puisse être conscient de sa totale capacité à maîtriser ses ressources et donc préserver son mental pour être plus performant. Dans un article paru sur le site infirmiers.com, Boris CYRULNIK, neuropsychiatre raconte : « La résilience c'est l'aptitude d'un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale. En psychologie, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l'adversité107 ». Il poursuit en définissant, au sens figuré, la résilience comme : « une force morale; qualité de quelqu'un qui ne se décourage pas, ne se laisse pas abattre ». Lucie CUVELIER, dans un article, parle de ce concept car : « La sécurité des patients est un enjeu majeur des systèmes de santé et un challenge à relever par les politiques publiques (...) L'objectif général est de préciser en quoi ce nouveau modèle peut nous aider à comprendre le fonctionnement d'un système de soins et à proposer des pistes de transformations pour améliorer la sécurité des patients108 » et elle l'illustre par l'anesthésie car : « Dans le domaine de la sécurité des patients, l'anesthésie est considérée comme une discipline pionnière, un modèle à suivre pour les autres spécialités ». En d'autres termes, une discipline qui a fait ces preuves dans la gestion des risques. Dans son analyse, Lucie CUVELIER fait la distinction de 3 axes : § La capacité de contrôle en anesthésie : agir en fonction des ressources. § La capacité de réussite en anesthésie : tirer parti de la variabilité des pratiques. § La capacité d'adaptation en anesthésie : s'ajuster aux différents types d'imprévus. Dans le premier item, elle développe le fait que « cette capacité de contrôle implique que les acteurs* (*les anesthésistes) sachent tenir compte non seulement des risques du système (évaluation des bénéfices et risques pour le patient, connaissance et 107 Cyrulnik B. « Plongée dans l'univers de la résilience ». www.infirmiers.com/etudiants-en-ifsi/cours/-esi-resilience-nous-tue-pas.html. avril 2017 108 Cuvelier L. - L'ingénierie de la résilience: un nouveau modèle pour améliorer la sécurité des patients? L'exemple de l'anesthésie. www.cairn.info/revue-sante-publique-2013), Vol.25, pp 475-482 42 respect des normes et recommandations), mais aussi de leurs propres ressources109 (...) afin de conserver la maîtrise de la situation, en évitant d'épuiser les ressources humaines au sein de l'équipe : gestion des incompréhensions, de la fatigue, du stress, etc. ». Nous pouvons potentiellement retranscrire cette citation dans le cadre de la lutte contre les IT au bloc opératoire car elle illustre parfaitement le fait qu'il faut parfois mieux identifier sa pratique, connaître son environnement, ses failles et ainsi pouvoir se prémunir plus aisément face au risque. Dans le deuxième item, elle y explique que les choix de stratégies d'anesthésie par exemple, sont variables en fonction des MAR pour une même intervention. « Tandis que dans une approche classique, cette variabilité de solutions serait déplorée, l'approche par la résilience envisage aussi les bénéfices de cette variabilité tant du point de vue de la sécurité des soins que de celui de leur efficacité. Et en effet, on constate que cette variabilité des pratiques, n'empêche pas la réussite des interventions ni l'atteinte d'un haut niveau de performance globale dans les équipes. Au contraire même, sous certaines conditions, la diversité des stratégies s'avère être favorable au développement de la sécurité : elle permet chaque à anesthésiste d'agir dans son domaine de compétences et de progresser110 ». Savoir utiliser différentes tactiques lors d'une activité à risque pour se prémunir des IT, tout en restant dans les normes recommandées, peut être utile dans cette lutte et être mis en pratique par d'autres si cela est efficace. Enfin dans le troisième item, elle cherche à comprendre comment l'ingénierie de la résilience a permis à l'anesthésie de s'adapter face aux différents types d'imprévus qui sont récurrents dans cette discipline. « L'ingénierie de la résilience s'intéresse aux capacités adaptatives de systèmes et cherche à saisir la façon dont les systèmes s'étirent et continuent à fonctionner malgré des perturbations (...) En anesthésie, deux grands types de stratégies ont été identifiées111 : les stratégies réglées, qui consistent à appliquer le protocole et les stratégies gérées, qui consistent à prendre des décisions de compromis sur la base d'une évaluation bénéfice/risque. Ces travaux montrent qu'il est nécessaire de développer la capacité de soignants à mettre en oeuvre des stratégies gérées ». Parmi ces compétences à développer, elle en cite 2 principalement : 109 Cuvelier L., Granry JC., Orliaguet G. & al. Resilience's resources in pediatric anesthesia. 3rd International Conference on Health care systems, Ergonomics and Patient Safety (HEPS). June 22-23, Oviedo, Espagne 2011. 110 Amalberti R., Hourlier S. Human error reduction strategies in Health Care. In: Carayon P, ed. Handbook of Human Factors and Ergonomics in Health Care and Patient Safety. Hillsdale: Lawrence Erlbaum Associates; 2007. p. 561-77 111 Cuvelier L., Falzon P., Coping with uncertainty. Resilient Decisions in Anesthesia. In: Hollnagel E., Pariès J., Woods D., Wreathall J., Eds. Resilience Engineering in Practice. A Guidebook. Surrey (UK): Ashgate, Studies in Resilience Engineering; 2010. P. 29-43 43 § Les compétences à prendre des décisions de compromis même dans des situations diverses = Balance bénéfice/risque. § Les compétences qui permettent d'anticiper et de détecter les indices permettant de repérer que la situation sort du « réglé » = Capacité à anticiper. Ces 2 compétences recherchées par l'auteur sont étudiées dans la formation en soins infirmiers anesthésistes. Cependant, ils n'ont pas pour autant été inscrits dans une démarche de lutte contre les IT. Pour autant, nous pouvons remarquer que l'aptitude à bénéficier de ces 2 compétences pourrait améliorer la sécurité dans la pratique IADE. En effet, si nous arrivons à faire le choix d'effectuer une tâche plutôt qu'une autre, par ordre de priorisation en tenant compte des impératifs et de la balance bénéfice/risque alors nous serons capables de nous adapter à la situation. L'anticipation permet quant à elle, de prévenir le risque et donc une meilleure gestion dans la survenue d'une interruption de tâche. En conclusion, Lucie CUVELIER termine son analyse en disant que : « Même si le concept est encore flou et que les outils opérationnels restent pour l'essentiel à construire, l'ingénierie de la résilience semble être une approche privilégiée pour répondre à cet objectif ( = favoriser les stratégies adaptatives construites par les équipes soignantes)112 ». 112 Cuvelier L. - L'ingénierie de la résilience: un nouveau modèle pour améliorer la sécurité des patients? L'exemple de l'anesthésie. www.cairn.info/revue-sante-publique-2013), Vol.25, pp 475-482 44 |
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