3.3.3 Agir contre les interruptions de tâche
3.3.3.1 Recommandations et solutions existantes dans la
lutte contre les IT dans le domaine des soins en général
Après plusieurs recherches, nous nous rendons compte
avec surprise qu'il n'existe pas vraiment de recommandations à
proprement dites qui concerne la lutte contre les IT dans la pratique
professionnelle de l'IADE. L'HAS nous parle bien de quelques règles de
bonnes pratiques, notamment dans la sécurisation du circuit de
préparation et d'administration du médicament avec la
règle des 5B (Administrer le Bon médicament, à la Bonne
dose, sur la Bonne voie, au Bon moment, au Bon patient), cependant cela ne
cible pas directement l'activité et les tâches de l'IADE au bloc
opératoire même si celui-ci est habileté et amené
à le pratiquer dans son quotidien.
Même auprès des sociétés savantes
comme la SFAR, là encore, nous échouons dans la recherche
d'éléments qui seraient en lien avec cette notion pour la
sécurité de la pratique IADE.
Pour autant, il existe bel et bien des solutions qui ont
été mise en place suite à de nombreuses études.
Nous retrouvons par exemple celle menée par l'HAS en 2016 qui concernait
« L'interruption de tâche lors de l'administration des
médicaments94 ». Dans la brochure qu'elle
a mis en ligne à disposition de tous les établissements, des
professionnels de santé et des infirmier(e)s plus
particulièrement, l'HAS préconise plusieurs solutions pour
désamorcer la pratique abusive et inquiétante des interruptions
de tâche en milieu hospitalier. Elle y fait l'étude de celle-ci et
détermine un certain nombre de faille. Alerter par l'ampleur de ce
phénomène grâce aux résultats
révélateurs de son étude et des évènements
indésirables qui en découlent, elle réussit à
réunir une multitude d'actes qui ont fait leurs preuves dans la lutte
contre les IT.
Par exemple, l'utilisation d'une chasuble dit «
gilet jaune », pour avertir les soignants d'une
même équipe que le professionnel qui est en train d'effectuer une
tâche sensible, ne doit pas être interrompu. Nous retrouvons cette
idée notamment dans une autre étude qui concerne le domaine
transfusionnel95.
Il s'agit d'un article ou les auteurs s'interrogent sur la
dangerosité que peuvent entrainer les interruptions de tâche lors
de la préparation d'une transfusion. Ils partent
94 Haute Autorité de Santé (HAS) -
Outils de sécurisation et d'auto-évaluation de l'administration
des médicaments: l'interruption de tâche lors de l'administration
des médicaments - HAS, janvier 2016.
95 Sapey T., Leo-Kodeli S., Roy M., Amirault P.,
Benseddik Z., Labussière A-S., & al (2018). Gilet distinctif: une
solution pour éviter les interruptions de tâches dans le domaine
transfusionnel? Expérience en Centre-Val de Loire. Transfusion clinique
et biologique, 25(4), 320.
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d'un constat : avant le port du dispositif de
sécurité des actes « », autant d'IDEs sont interrompus
que ceux qui ne le sont pas. Après l'introduction du «
gilet jaune », ils remarquent une diminution
significative des IT auprès des IDE. Ils concluent donc que l'usage et
le port du « gilet jaune » lors de l'acte
transfusionnel, réduit efficacement l'apparition d'IT dans la pratique
IDE. Ils vont même plus loin en préconisant la multiplication des
moyens possibles dans la lutte contre les IT (affichages, campagne
d'information, gestion du téléphone) pour prévenir
davantage leurs survenues et surtout mieux sécuriser la pratique. «
Il est plus simple d'éliminer les IT que de les
gérer96 ».
D'autres moyens apparaissent comme aidant dans la pratique et
la sécurité des actes des professionnels. C'est le cas d'une
étude menée dans une unité de soins pédiatriques au
sein d'un hôpital américain. Les professionnels en question se
sont dotés d'une barrière de sécurité qu'ils ont
disposé devant un poste de médication qui était la cible
constante d'interruptions de tâche, source d'erreurs, car situé au
centre du service et donc à la vue de tous (professionnels et
visiteurs). Cette barrière avait pour objectif de stopper «
l'accessibilité » à ce poste critique et la facilité
de l'équipe professionnelle et des visiteurs à interrompre une
« nurse » en pleine concentration. La technique de « flouter
» l'espace de travail et la visibilité, rendait « invisible
» en quelque sorte, l'IDE, la mettait hors du champ des nombreux passages
à cet endroit stratégique. Dès lors, en isolant cet espace
de soin à la vue des autres, les professionnels pouvaient exercer en
toute sécurité et ainsi ne pas être dérangé
tout en restant alerte et disponible en cas d'urgence.
Résultat? : « Les interruptions ont
été considérablement réduites et l'attitude du
personnel à l'égard de la station a été
considérablement améliorée97
».
De plus, ils ajoutent le fait que cet outil est peu
coûteux et ne nécessite pas de formation particulière.
Avec ces 2 exemples nous pouvons donc penser que l'utilisation
de dispositifs qui sécurisent la pratique sont de très bons
éléments qui devraient être mis en place dans toutes les
unités ou le risque de la survenue d'IT est grande. Ils ont fait preuve
d'efficacité et paraissent très facilement accessible et
maniable. A cela peuvent s'ajouter d'autres moyens comme des «
flyers d'avertissements » ou bien des zones qui
délimitent des endroits susceptibles d'être à haut risque
de perturbation (ex : chariot de préparation de médicaments).
96 Sapey T., Leo-Kodeli S., Roy M., Amirault P.,
Benseddik Z., Labussière A-S., & al (2018). Gilet distinctif: une
solution pour éviter les interruptions de tâches dans le domaine
transfusionnel? Expérience en Centre-Val de Loire. Transfusion clinique
et biologique, 25(4), 320.
97 Colligan L., Guerlain S., Steck S-E. & Hoke
T-R. (2012). Designing for distractions: a human factors approach to decreasing
interruptions at a centralized medication station. BMJ Quality & safety,
21(11), 939-947.
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Mais qu'en est-il de l'idée de
récupération mentale pour ces soignants qui sont interrompus?
Nous avons bien vu auparavant qu'il était difficile
pour un individu de revenir sur sa tâche initiale car le cerveau
nécessitait un temps pour récupérer l'information et sa
faculté à faire le tri.
Toujours dans sa brochure98, l'HAS a
étudié le cas et préconise là encore des solutions
qui peuvent être utiles dans cette démarche de
récupération. D'après ces résultats : «
69% des professionnels reprennent leur action au moment de
l'interruption ». Cependant, 31% donc n'y arrivent pas ou du
moins difficilement. Pour être plus clair, 14% assurent reprendre au
début de leur acte suite à une IT. 10% reprennent avec un
délai, 1% oubli. Les 7% restants sont identifiés par l'HAS comme
une « non réponse ». Environ 93% sont dû à des IT
comprirent entre 1 à 5 minutes (64,5% < 1min). Ces solutions sont des
listes de contrôle ou des « mémos » qui permettent aux
soignants de reprendre la tâche effectuée là où elle
a été interrompue mais aussi d'en faire un bilan, un « check
up » pour confirmer que la reprise de l'acte a bien été
réalisé suite à une vérification faite par
l'interrompu lui-même. Une sorte de check-list.
Cet outil, nous le retrouvons dans notre pratique IADE. En
effet, depuis 2012, une recommandation préconise l'usage obligatoire
d'une check-list pour la sécurité anesthésique lors de
l'ouverture de salle par les IADEs99. Cette check-list aide le
praticien à lister tous les appareils et les étapes de
préparation d'une ouverture de bloc opératoire et notamment du
côté de l'équipe d'anesthésie. Véritable
outil de vérification, il participe à la réalisation
méthodique d'actes qui permettent de détecter la moindre faille
dans la surveillance et la préparation du matériel
nécessaire à une intervention quelle qu'elle soit. Cette
vérification est clairement indiquée dans le
référentiel d'activités de l'IADE à l'alinéa
3 : « Mise en oeuvre et contrôle des mesures de
prévention des risques, opérations de vigilance et
traçabilité en
anesthésie-réanimation100 ».
Dans la partie « Anesthésiovigilance », il
est écrit que l'IADE assure le : « renseignement et la
mise en oeuvre de la check-list d'ouverture et de fermeture du site
d'anesthésie (...) mesures correctives en cas
d'incidents101 ».
98 Haute Autorité de Santé (HAS) -
Outils de sécurisation et d'auto-évaluation de l'administration
des médicaments: l'interruption de tâche lors de l'administration
des médicaments - HAS, janvier 2016.
99 Référentiel d'activités de
l'IADE - Ministère des affaires sociales et de la santé - BO
santé - Protection sociale - Solidarité n°2012/17,
août 2012.
100 Référentiel d'activités de l'IADE -
Ministère des affaires sociales et de la santé - BO santé
- Protection sociale - Solidarité n°2012/17, août 2012.
101 Référentiel d'activités de l'IADE -
Ministère des affaires sociales et de la santé - BO santé
- Protection sociale - Solidarité n°2012/17, août 2012.
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Cependant, même si la check-list assure et
prévient la survenue d'évènements indésirables dans
la pratique de l'anesthésie, celle-ci n'est pas dédiée
directement à l'encontre des interruptions de tâche.
Pour revenir à ma situation d'appel, malgré la
réalisation d'une check-list d'ouverture de salle, celle-ci n'a pas
empêché la survenue d'une interruption de tâche et encore
moins la survenue d'un événement indésirable
résultant d'une erreur dans l'analyse de la consultation
anesthésique.
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