3.3.1.2 Définition et approche
neurocognitive
« Réduire les interruptions de
tâche constitue un enjeu de sécurisation de la prise en charge du
patient, même si certaines interruptions sont reconnues comme pouvant
être justifiées59 ».
Comprendre l'interruption de tâche, c'est avant tout
savoir si celle-ci apporte une réelle plus-value (d'ordre prioritaire)
dans la qualité et la sécurité des soins apportés
aux patients ou bien si elle peut être traitée plus tard dans le
temps avec autant d'importance que la tâche que l'on est en train
d'effectuer. Tout dépend du contexte et d'un certain nombre de
paramètres qui doivent être pris en compte. L'HAS préconise
d'en relever plusieurs comme:
§ Le secteur d'activité et l'environnement :
surface et agencement, nombre de professionnels, horaires de travail,
ergonomie, équipements.
§ Les facteurs humains et organisationnels : Culture de
sécurité, travail en équipe, communication, stress,
confiance, etc.
§ Les caractéristiques de l'IT : le moment de
l'interruption, l'interrupteur, la localisation et la justification de l'IT.
Dans sa définition, l'HAS explique que : «
L'IT est définie par l'arrêt inopiné,
provisoire ou définitif d'une activité humaine. La raison est
propre à l'opérateur, ou, au contraire, lui est externe. L'IT
induit une rupture dans le déroulement de l'activité, une
perturbation de la concentration de l'opérateur et une altération
de la performance de l'acte. La réalisation éventuelle
d'activités secondaires achève de contrarier la bonne marche de
l'activité initiale60 ».
Dans une vision plus scientifique, et notamment sur
l'étude des facteurs humains dans des domaines comme l'aviation et
l'armée, ce sont les travaux de James REASON qui ont lancé le
débat sur le rôle de l'erreur humaine dans l'apparition des
catastrophes. « To Err Is Human61 » en est la bible.
Juliana J. BRIXEY & al, le raconte dans son article paru en 2007 : «
Les interruptions sont reconnues par les experts en facteurs
humains en tant que conditions qui réduisent l'efficacité et la
productivité et contribuent aux erreurs dans les industries telles que
l'aviation, le nucléaire et le monde de la santé. (...) En 1999,
l'institut de médecine qui a publié « To Err
is
59 Haute Autorité de Santé (HAS) -
Outils de sécurisation et d'auto-évaluation de l'administration
des médicaments: l'interruption de tâche lors de l'administration
des médicaments - HAS, janvier 2016.
60 Haute Autorité de Santé (HAS) -
Outils de sécurisation et d'auto-évaluation de l'administration
des médicaments: l'interruption de tâche lors de l'administration
des médicaments - HAS, janvier 2016.
61 Kohn LT, Corrigan JM, Donaldson MS, eds. To Err Is
Human: Building a Safer Health System. Washington, DC: National Academy Press;
1999.
28
Human » a soulevé l'inquiétude
que les interruptions étaient des facteurs qui pourraient contribuer
à des erreurs médicales. Ce rapport a été parmi les
premiers à suggérer que les interruptions avaient un impact
négatif sur la performance62 ».
Si l'on reprend la définition de l'HAS, quelques mots
sont à retenir davantage pour mieux comprendre le concept de
l'interruption de tâche. Les plus importants sont: arrêt
inopiné, raison propre ou externe, rupture dans le déroulement,
perturbation, concentration, altération et performance, activité
initiale et secondaire.
La difficulté pour un professionnel lorsqu'il fait face
à l'IT, c'est le caractère inattendu, imprévisible de
celle-ci. La tâche initiale peut très vite se substituer à
celle qui intervient, pour des raisons parfois de moindre importance, qu'elle
soit propre ou d'origine externe.
Elle est non planifiée63 et provoque une
discontinuité dans l'exécution des tâches64.
Elle se découpe en 2 périodes:
la première étant l'installation de
l'interruption, comme une sorte de « notification » à
destination de celui ou celle qui est en train d'effectuer la tâche
primaire. Juliana J. BRIXLEY parle de « délai
d'interruption65 » (Interruption lag).
La deuxième phase qu'elle décrit est la
période ou la discontinuité se produit à la fin de la
tâche dite « d'interruption » et la reprise de la tâche
principale qui a été suspendue. C'est une phase ou il y a une
période de récupération nécessaire pour
l'opérateur afin de reprendre là où il a été
arrêté. Cette période s'appelle « le
décalage de reprise66 » (Resumption
lag).
En ce qui concerne la provenance, Juliana J. BRIXLEY
résume bien le fait qu'elle est en grande partie d'origine humaine.
Cependant, les machines qui nous entourent et notamment au bloc
opératoire (qui sont nombreuses) peuvent aussi interférer dans la
réalisation d'une tâche. L'exemple du téléphone est
souvent repris dans l'étude de l'IT car c'est un outil technologique
bruyant quand il se met en marche mais la source est toujours humaine « au
bout du fil ».
62 Juliana J. Brixley, MSN, PhD, MPH, RN; David J.
Robinson, MD, MS; Craig W. Johnson, PhD & al. A Concept Analysis of the
Phenomenon interruption. Advances in Nursing Science, vol.30, N°1,
ppE26-E42, 2007.
63 Juliana J. Brixley, MSN, PhD, MPH, RN; David J.
Robinson, MD, MS; Craig W. Johnson, PhD & al. A Concept Analysis of the
Phenomenon interruption. Advances in Nursing Science, vol.30, N°1,
ppE26-E42, 2007.
64 « Discontinuity » in: The Oxford English Dictionary
(CD-ROM). 2nd Ed. New-York: Oxford University Press; 2002.
65 Trafton JG, Altmann EM, Brock DP, Minitz FE.
Preparing to resume an interrupted task: effects of prospective goal encoding
and retrospective rehearsal. Int J Hum-Comput Stud. 2003;58:583-603
66 Trafton JG, Altmann EM, Brock DP, Minitz FE.
Preparing to resume an interrupted task: effects of prospective goal encoding
and retrospective rehearsal. Int J Hum-Comput Stud. 2003;58:583-603
29
Elle explique aussi la différence entre la provenance
interne de l'IT et sa provenance externe. Le premier étant plus
compliqué à identifier car « par exemple, une
interruption générée en interne peut se produire comme un
rêve éveillé ou une pensée intrusive sans rapport
avec la tâche principale. Les interruptions internes sont vécues
en privé dans l'esprit ou le corps de l'individu. Il est
intéressant de noter que ceux qui enseignent des techniques de
méditation telles que celles enseignées par Zen & Chen qui
savent que les pensées intrusives peuvent interrompre l'état de
méditation67 ». Cela reste donc
difficilement observable et mesurable. Cependant sont-ils pour autant moins
nuisibles que ceux arrivant de l'extérieur?
Les interruptions de tâche induisent selon l'HAS «
une perturbation de la concentration de l'opérateur et une
altération de la performance de l'acte68
».
Par définition :
§ Perturbation : «
Dérèglement dans un fonctionnement, un organisme, un
système » (Larousse).
§ Concentration : « Action de faire
porter toute son attention sur un même objet »
(Larousse).
§ Altération : « Changement qui
dénature l'état normal de quelque chose »
(Larousse).
§ Performance : « Résultat obtenu
dans l'exécution d'une tâche » (Larousse).
Mis bout à bout, nous comprenons à quel point il
est important de se prémunir face aux interruptions de tâches car
elles induisent, indiscutablement des erreurs et révèlent des
failles dans l'organisation ou la planification de plusieurs tâches
primaires.
C'est l'attention qui est mis en jeu très clairement.
D'après les recherches d'une étude menée par les
pharmaciens Estelle HUET, Tony LEROUX et Jean-François
BUSSIERES69, ils définissent l'attention comme étant
le fait de : « cibler certains aspects d'une expérience
en cours au détriment d'autres aspects concurrents; l'attention est
l'action de se soucier, d'écouter ou de se concentrer
».
67 Juliana J. Brixley, MSN, PhD, MPH, RN; David J.
Robinson, MD, MS; Craig W. Johnson, PhD & al. A Concept Analysis of the
Phenomenon interruption. Advances in Nursing Science, vol.30, N°1,
ppE26-E42, 2007.
68 Haute Autorité de Santé (HAS) -
Outils de sécurisation et d'auto-évaluation de l'administration
des médicaments: l'interruption de tâche lors de l'administration
des médicaments - HAS, janvier 2016.
69 Huet E, Leroux T, Bussières JF.
Perspectives sur l'attention, les interruptions et le bruit en pratique
pharmaceutique. JCPH - Vol 64, N°4 - juillet 2011
30
Le Larousse la définit comme : « Une
activité ou état par lesquels un sujet augmente son efficience
à l'égard de certains contenus psychologiques (perceptifs,
intellectuels, mnésiques, etc.), le plus souvent en sélectionnant
certaines parties ou certains aspects en inhibant ou négligeant les
autres ».
Une gymnastique du cerveau qui au niveau cognitif
sépare ce qui doit être retenu principalement ou bien remis
à plus tard.
HUET & al reprennent l'analyse de SOHLBERG sur la
description des cinq niveaux d'attention70. «
L'attention ciblée (c.à.d. réponse à un
stimulus visuel, sonore ou tactile), soutenue (c.à.d. réponse qui
dure dans le temps pour stimuli répétés), sélective
(c.à.d. réponse qui dure dans le temps pour stimuli
répétés en dépit d'autres stimuli causant de la
distraction), en alternance (c.à.d. capacité de traiter des
stimuli distincts et d'effectuer plus d'une tâche ou d'une réponse
en alternance) et répartie (c.à.d. capacité de traiter des
stimuli distincts et d'effectuer plusieurs tâches ou réponses en
même temps) ». Ils en concluent que : «
L'attention de type répartie est requise pour donner des
soins de santé sécuritaires, compte tenu de la prévalence
élevée des interruptions71 ».
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