3.3 Notion d'interruption de tâche
3.3.1 Comprendre l'interruption de tâche
3.3.1.1 Un phénomène courant et multi
professionnel
« Comment pouvons-nous créer un
système où les bonnes interruptions sont autorisées et les
mauvaises bloquées?48». Cette citation
reprise par La Haute Autorité de Santé dans un
article49 signé par le professeur Enrico COIERA, directeur
à l'institut australien d'innovation en matière de santé
de l'Université MACQUARIE (Sydney) est le point de départ d'une
vaste étude sur l'interruption de tâche en France. Elle questionne
ce à quoi les établissements de santé, aujourd'hui,
doivent faire face pour répondre au défi de la
sécurité des soins et des patients.
La culture de santé précédemment
décrite dans mon analyse et la démarche qualité ne peuvent
se faire sans une réflexion approfondie sur la gestion des risques et
l'influence positive et/ou négative du facteur humain. Elle serait
encore moins crédible si on ne s'attachait pas à la
compréhension des interruptions de tâche, sources
d'événements indésirables graves.
L'HAS commence ces travaux sur la sécurisation de
l'étape d'administration des médicaments depuis 2012. Mais c'est
en janvier 2016 qu'elle s'intéresse réellement à
l'interruption de tâche. Son but: sensibiliser les professionnels de
santé à cet enjeu sécuritaire.
« L'IT est un facteur contributif de la
survenue d'erreurs médicamenteuses. Elle est une situation à
risque pour le patient50 ».
On peut donc tout à fait imaginer que ce
phénomène est quelque chose de récurrent dans nos services
parce que nombre de ces sources d'IT surviennent spontanément et surtout
peuvent provenir d'origine principalement humaine. « Les
interruptions de tâches sont le plus souvent induites par des membres de
l'équipe51 » (Raban 2014)52.
48 Haute Autorité de Santé (HAS) -
Outils de sécurisation et d'auto-évaluation de l'administration
des médicaments: l'interruption de tâche lors de l'administration
des médicaments - HAS, janvier 2016.
49 Colligan L, Guerlain S, Steck SE, Hoke TR.
Designing for distractions: a human factors approach to decreasing
interruptions at a centralized medication station. BMJ Qual San
2012;21(11):939-47
50 Haute Autorité de Santé (HAS) -
Outils de sécurisation et d'auto-évaluation de l'administration
des médicaments: l'interruption de tâche lors de l'administration
des médicaments - HAS, janvier 2016.
51 Lannes M, Pecot C, Ferre A, Mahe J, Jaccard S -
Limiter les interruptions de tâches: amélioration de
l'organisation et du confort au travail - OMEDIT Pays de La Loire, retour
d'expérience, avril 2017.
52 Raban MZ, Westbrook JI - Are interventions to
reduce interruptions and errors during medication administration effective?: a
systematic review - BMJ Qual Saf. 2014 May;23(5):414-21
26
C'est ce qui a été étudié lors
d'une enquête53 menée par Morgane LANNES & al pour
l'Observatoire du médicament, des dispositifs médicaux et de
l'innovation thérapeutique (OMEDIT, Pays de La Loire). Dans un contexte
de certification (2015) et devant un constat alarmant (étude ARCHIMED
2013-2015 = Absence de prévention des interruptions de tâche dans
95% des unités de soins étudiées), ils ont
enquêté avec l'aide des observations de l'HAS et ce sont
posées la question suivante : Comment minimiser les risques d'erreurs
liés aux IT ? Le résultat est sans appel : 61% des sources d'IT
proviennent des professionnels de santé.
Pour ne citer que Enrico COIERA, il nous renseigne sur le
potentiel d'avenir de prendre en compte les études sur les interruptions
de tâche : « Les recherches sur les interruptions se
développent régulièrement depuis deux décennies.
Les premières observations indiquant que les interruptions semblaient
banales dans des environnements cliniques très fréquentés
comme le service des urgences étaient bientôt suivies d'un lien
potentiel entre les interruptions et les erreurs
cliniques54. Nous savons maintenant que
l'acte d'interruption est
omniprésent55, peut-être
universel, dans la pratique clinique (et même dans la plus grande partie
de la vie). Même les espaces apparemment silencieux et
contrôlés, comme la salle d'opération, sont
fréquemment interrompus5657. Il
existe à présent également des études robustes
démontrant l'impact parfois négatif des interruptions sur le
travail clinique et sur la genèse des
erreurs58. La science de l'interruption
est donc importante en soi. Il est également important de noter que cela
nous fournit également un modèle sur la manière d'aborder
l'étude plus large des systèmes sociotechniques en matière
de sécurité des patients. Les réalisations que le travail
clinique est complexe et que la sécurité est une
propriété émergente du contexte local se reflètent
dans l'étude de l'interruption. Il y a donc beaucoup à apprendre
de l'analyse spécifique des interruptions pour une étude plus
vaste du travail clinique et de la sécurité des patients
».
53 Lannes M, Pecot C, Ferre A, Mahe J, Jaccard S -
Limiter les interruptions de tâches: amélioration de
l'organisation et du confort au travail - OMEDIT Pays de La Loire, retour
d'expérience, avril 2017.
54 Parker J, Coiera E. Improving clinical
communication: a view from psychology. J Am Med Inform Assoc 2000;7:453-61
55 Alvarez G, Coiera E. Interruptive communication
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56 Healey AN, Sevdalis N, Vincent CA. Measuring
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57 Savoldelli GL, Thieblemont J, Clergue F, et al.
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