1 INTRODUCTION
Ce travail de fin d'étude s'effectue dans le cadre
d'une formation universitaire de deux ans visant à l'obtention d'un
diplôme grade master d'Infirmier-Anesthésiste Diplômé
d'État (IADE). A l'issu de ce cursus, l'étudiant doit
fournir/élaborer/réfléchir à un travail de
recherche au bout duquel, il doit se questionner sur un thème en lien
avec les soins infirmiers anesthésiques et son projet professionnel
et/ou vécu en tant que stagiaire EIA.
Le thème que j'ai décidé de vous
présenter est celui des interruptions de tâche (IT). C'est un
sujet peu aborder dans l'univers des blocs opératoires (BO) qui touche
tous les professionnels de santé et notamment les IADEs. Concerné
par ce phénomène et ayant pu le rencontrer sur le terrain, lors
d'un stage de première année, il m'a été
aisé de chercher à en connaître les fondements.
Dans un premier temps, je vous décrirais, dans la
situation d'appel, comment j'ai été interpellé par ce
thème et la question que je me suis posé pour préparer mon
plan de recherche.
Puis dans un second temps, je développerais en
première partie, les concepts de gestion des risques, de facteur et
d'erreur humaine avant de m'intéresser en deuxième partie,
à la description technique et neurocognitive des interruptions de
tâche. Dans la troisième partie, qui constitue la fin de mon cadre
conceptuel, je renseignerais sur le rôle de l'IADE, son activité
au sein du bloc opératoire ainsi que les tâches qu'ils
effectuent.
Enfin, dans un troisième temps, je tâcherais,
après avoir mené mon enquête et procéder à
l'analyse des résultats, d'interpréter les données qui
ressortent de mes observations, pour ensuite les discuter, en dégager
des perspectives avant de conclure.
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2 SITUATION D'APPEL
Lors d'un stage effectué à l'hôpital
Georges-Pompidou à Paris, en spécialité chirurgie
plastique et réparatrice, j'ai vécu une situation au cours de
laquelle un évènement indésirable est survenu. Celle-ci
m'a amené à me questionner sur la gestion des risques au bloc
opératoire et plus précisément sur les interruptions de
tâche dans la pratique de l'Infirmier Anesthésiste
Diplômé d'État (IADE). Une patiente opérée en
chirurgie ambulatoire pour mastectomie sans reconstruction a vomi lors du
transfert de la table d'opération sur le brancard. Après
reconsultation du dossier d'anesthésie par le Médecin
Anesthésiste Réanimateur (MAR) et moi-même, nous trouvons
un antécédent (ATCD) chirurgical (By-pass pratiqué en
2014) qui est un critère de recherche important pour la prise en charge
(PEC) des patients estomac plein. Cet élément n'a pas
été pris en compte dans la stratégie d'anesthésie
à l'induction, car nous avions décidé de faire une
anesthésie générale (AG) au masque laryngé. A
contrario, nous aurions dû pratiquer une anesthésie à
séquence rapide avec intubation pour protéger les voies
aériennes supérieures. Comment cette information a-t-elle
échappé à notre vigilance ?
Après avoir validé l'ouverture du site
opératoire, via la check-list d'ouverture de salle par l'ensemble de
l'équipe d'anesthésie présente dans la salle (IADE, MAR et
moi-même en tant qu'étudiant infirmier-anesthésiste en
première année), nous prenons connaissance de la consultation
d'anesthésie pour la première patiente qui n'est pas encore
installée en salle. Il s'agit d'une dame programmée en
ambulatoire pour une mastectomie, sans reconstruction, sous AG. Cette
opération nécessite 45 minutes d'intervention. Concentrés
sur la feuille d'anesthésie, nous détaillons un à un les
éléments afin de proposer une prise en charge adaptée.
Nous identifions donc que la patiente :
· est âgée de 50 ans
· présente un BMI < 25kg/m2
· est classée ASA 1
· présente un score d'APFEL à 2
· ne présente aucune allergie
La posture chirurgicale doit être en décubitus
dorsal avec les bras le long du corps. Nous poursuivons notre analyse avec la
recherche des critères d'intubation et de ventilation difficile :
· bonne ouverture de bouche > 35mm
· Distance Thyro-Mentonnière (DTM) > 60mm
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§ Mallampati 1
§ ne faisant suspecter aucun critère à risque
de ventilation difficile
Nous continuons progressivement à prendre connaissance
des éléments figurant sur la feuille d'anesthésie,
lorsqu'en pleine exécution de cette tâche, nous sommes interrompus
par l'Infirmière de Bloc Opératoire Diplômée
d'État (IBODE) qui souhaite nous informer que la patiente a une
hémoglobine à 7g/dl et qu'elle vient d'arriver en salle
d'accueil. Cette information est capitale pour la stratégie
transfusionnelle. Aussi, captivée par cette information, nous stoppons
la lecture de la feuille d'anesthésie pour nous y intéresser.
Je m'occupe de poser la perfusion pendant que le MAR et
l'IADE contrôle la carte de groupe, les RAI et appelle
l'Établissement Français du Sang (EFS) de l'hôpital. Puis
nous débutons l'induction selon la stratégie anesthésique
qui est une AG. La pré-oxygénation est débutée.
L'induction est pratiquée par le MAR, j'introduis le masque
laryngé et la check-list Haute Autorité de Santé est
citée avant l'incision. L'intervention se déroule sans
problème particulier. Au bout d'une heure, après la fermeture
cutanée et la réalisation des pansements par l'IBODE, nous
décidons de la réveiller en vue d'un transfert en Salle de Soin
Post-Interventionnelle (SSPI). Une fois la patiente mise sur le brancard par
l'équipe d'anesthésie, elle se met à avoir des
remontées gastriques qui rendent son réveil inconfortable et
menacent ses voies aériennes supérieures puisqu'elle n'est pas
totalement éveillée. Elle est installée d'urgence en
position latérale de sécurité, aspirée
soigneusement puis conduite rapidement vers la salle de réveil pour
évaluation de son état général. Le MAR
décide alors de prescrire un antiémétique et consulte de
nouveau la feuille d'anesthésie. Il nous fait la remarque que sur cette
consultation est mentionnée: BY-PASS, ce que nous n'avons pas conscience
au moment de l'induction n'ayant pas poursuivi la lecture de la feuille
d'anesthésie. Cet incident m'a particulièrement marqué.
Suite à ça, je me suis beaucoup questionné sur
l'interruption de tâche dans notre pratique professionnelle d'IADE.
La Haute Autorité de Santé définit
l'interruption de tâche comme étant:
« L'IT (Interruption de Tâche) est
définie par l'arrêt inopiné, provisoire ou définitif
d'une activité humaine. La raison est propre à
l'opérateur, ou, au contraire, lui est externe. L'IT induit une rupture
dans le déroulement de l'activité, une perturbation de la
concentration de l'opérateur et une altération de la performance
de l'acte. La réalisation éventuelle d'activités
secondaires achève de contrarier la bonne marche de l'activité
initiale. » Elle poursuit:
« Les interruptions de tâche sont
socialement perçues comme un fonctionnement normal auquel les
professionnels se sont habitués. Les sources d'IT sont multiples (appels
téléphoniques, discussion, bruit, activité
multitâche, etc...), souvent de courte durée et le plus souvent
induites par des membres de l'équipe. Elles affectent
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l'attention, peuvent générer du
stress, ainsi que des erreurs. Leur gravité augmente avec la
fréquence des interruptions de tâche. (...) Réduire les
interruptions de tâche constitue un enjeu de sécurisation de la
prise en charge du patient, même si certaines interruptions sont
reconnues comme pouvant être justifiées1
».
En nous appuyant sur cette définition et l'ayant
observé lors de mon stage, nous pouvons dire qu'il s'agit bien là
d'une interruption de tâche. En effet, des professionnels de santé
(IADE, MAR et étudiant) sont en train d'effectuer une tâche qui
est la lecture de la consultation d'anesthésie à la recherche
d'éléments de Prise En Charge (PEC) anesthésique
spécifique. Ils sont interrompus en pleine action par un intervenant de
l'équipe chirurgicale qui est l'IBODE. Cette interruption est
justifiée (information importante dans le cadre de la stratégie
transfusionnelle), mais elle altère la concentration de l'équipe
d'anesthésie qui ne revient pas sur son activité initiale pour
poursuivre la lecture de la feuille d'anesthésie à la recherche
de critères d'estomac plein. L'équipe d'anesthésie (IADE,
MAR et étudiant) s'intéresse à une autre tâche qui
devient prioritaire pour nous. Nous nous concentrons alors sur le risque
hémorragique majeur et la stratégie transfusionnelle à
mettre en place (vérification de la présence dans le dossier
d'anesthésie de la carte de groupe sanguin et de la validité des
Recherches d'Agglutinines Irrégulières (RAI) par l'IADE et
l'étudiant + appel de l'EFS par le MAR). Aucun d'entre nous n'a par la
suite pensé à poursuivre la tâche interrompue. Cela a
entrainé le fait qu'il y a eu un risque de syndrome de Mendelson, lors
de la phase de réveil, qui n'a pas pu être identifié et
prévenu pour cette patiente. Cette situation aurait pu se compliquer.
L'incident n'a heureusement pas eu de conséquences graves puisque la
patiente n'a pas inhalé.
Suite à cette analyse, je me pose donc la question
suivante : Les interruptions de tâche sont-elles
fréquentes au bloc opératoire et de quelles manières se
manifestent-elles dans la pratique IADE de l'ouverture de salle jusqu'à
l'incision ? Pour précision, par ouverture de salle, nous entendons la
période d'ouverture avant la première intervention et toutes
celles comprises entre chaque patient opéré car la PEC est
individualisée.
1 Haute Autorité de Santé (HAS) -
Outils de sécurisation et d'auto-évaluation de l'administration
des médicaments: l'interruption de tâche lors de l'administration
des médicaments - HAS, janvier 2016.
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