Paragraphe 2 : Les difficultés liées à
l'exécution de la décision d'annulation
Une décision d'annulation intervenue à la suite
du REP n'a d'effet réel à l'égard du requérant que
lorsque l'administration procède à son exécution.
Malheureusement, cette décision bute dès fois sur des
difficultés d'exécution. Ces difficultés sont relatives,
d'une part, à la réticence de l'autorité administrative
à l'exécution de la décision d'annulation. Ce refus
d'exécution de la décision annulée est contraire au
respect du principe de l'autorité de la chose jugée. Principe
selon lequel la décision d'annulation s'impose à tout le monde
sans exception. Autrement dit, elle a effet erga omnes. D'autre part, les
difficultés d'exécution sont indépendantes de la
volonté de l'autorité administrative.
161 FALL (Sangoné), discours prononcé lors de
l'audience solennelle de rentrée des cours et tribunaux portant sur
« Le contrôle juridictionnel de l'administration », RACS, jeudi
le 11 janvier 2018, p.95. Consulté le 25 mars 2020.
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A : La réticence de l'autorité
administrative à l'exécution de la décision d'annulation
En droit sénégalais, l'exécution de la
décision d'annulation dépend du bon vouloir de l'autorité
administrative. Il ne devrait y avoir aucune crainte à ce propos puisque
l'administration est présumée être de bonne foi. Force est
de constater qu'elle refuse parfois d'exécuter la décision
annulée par le juge de l'excès de pouvoir qui n'a malheureusement
pas de pouvoirs pour la contraindre à l'exécuter. Des limites
juridiques lui sont imposées en ce sens. Elles se rapportent, d'une
part, à l'interdiction qui lui a été faite de prononcer
des injonctions contre l'administration. Aux termes de l'article 74 du code des
obligations administratives : « le juge ne peut pas adresser des
injonctions à l'administration. Il ne peut pas la condamner directement
ou sous astreinte à une obligation de faire ou de ne pas faire
»162. D'autre part, il est interdit tout recours à
l'exécution forcée contre l'administration en vue de la
contraindre à exécuter une décision d'annulation. En
effet, le requérant ne peut pas utiliser des voies d'exécution
forcée contre l'administration. Cette dernière
bénéficie d'une immunité d'exécution qu'elle tienne
des dispositions de l'article 194 alinéa 2 du code des obligations
civiles et commerciales163. L'interdiction d'exécution
forcée contre l'Etat est bien défendue par les pouvoirs publics.
C'est le cas de l'actuel Président de la République du
Sénégal en l'occurrence son excellence Monsieur MACKY SALL qui a
soutenu lors de l'audience solennelle des cours et tribunaux qu' «
autoriser l'exécution forcée contre l'Etat, ce serait porter
atteinte à la souveraineté de l'Etat ; ce serait perturber le bon
fonctionnement du service public »164. Au regard de cette
immunité d'exécution, il reste que le juge est impuissant face au
refus d'exécution de la décision d'annulation car ne disposant
pas de pouvoir d'injonction contre l'administration.
Par ailleurs, pour que l'administration exécute la
décision d'annulation, « le juge devrait lui-même
apprécier si sa décision est susceptible d'exécution
immédiate, si elle doit être assortie de délais
»165. A défaut, « le juge devrait
être, dans cette fonction
162 Article 74 de la loi N° 2006-16 du 30 juin 2006
modifiant la loi n°65-61 du 19 juillet 1965 portant code des obligations
de l'administration, op.cit.
163 Article 194 al. 2 du code des obligations civiles et
commerciales
164 SALL (Macky), allocution prononcée lors de
l'audience solennelle des cours et tribunaux portant sur le thème :
« Le contrôle juridictionnel de l'administration », op. cit,
p.139
165 DEBBASCH (Charles) et RICCI (Jean Claude), Précis
de contentieux administratif, op. cit, p.463
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d'exécution des jugements, aidé par le
législateur »166. Hélas, ils font souvent
preuve d'insouciance à cet égard. Toujours est-il que l'inaction
du juge semble néanmoins se justifier par le fait que le
législateur lui a barré la route si bien qu'il s'estime
incompétent pour prononcer des injonctions contre l'autorité
administrative récalcitrante. Le juge a exprimée clairement son
incompétence dans l'affaire MALCHAIR lorsqu'il précise :
« qu'il n'appartient pas à la cour suprême statuant en
matière d'excès de pouvoir d'adresser des injonctions à
l'administration ; qu'elle peut seulement se prononcer sur la
légalité des décisions administratives qui lui sont
déférées »167. Le juge de
l'excès de pouvoir n'est pas toujours indifférent à la
violation de la chose jugée. Ainsi, il a considéré dans
l'affaire opposant la Société Ibéro pour la Pêche en
Atlantique à l'Etat du Sénégal : « qu'en
procédant à cet examen, notamment en confirmant la
décision de l'inspecteur du travail qui lui était
déférée, le ministre a statué de façon
irrégulière, cette irrégularité pouvant cependant
être réparée, l'autorité administrative étant
en mesure en l'espèce de statuer à nouveau sans violation de la
chose jugée »168. Ce cas d'inexécution bien
que rare au Sénégal n'en demeure pas moins inexistant.
Récemment dans l'affaire Bouré DIOUF et autres, l'autorité
administrative sénégalaise en l'occurrence le ministre de
l'éducation nationale n'a pas caché son intention d'aller
à l'encontre de la décision d'annulation rendue par le juge.
Cette attitude du ministre pourrait encourager d'autres autorités
administratives à fouler aux pieds le principe de l'autorité de
la chose jugée. Pour éviter l'exécution de la
décision annulée, l'administration se tourne parfois vers le
législateur en lui demandant de valider l'acte administratif. Au lieu
d'instituer des mesures dissuasives à l'inexécution d'une
décision d'annulation, le législateur vient poser des limites au
juge et parfois, il valide l'acte administratif litigieux. Dans la
foulée de son refus d'exécution de la décision
d'annulation, l'administration n'hésiterait pas de reprendre l'acte
litigieux. Cependant, l'inexécution des décisions du juge ne
provienne toujours pas de la réticence de l'administrative. En effet,
d'autres difficultés d'exécution sont extérieures à
l'administration.
166 Ibidem
167 CS, 26 janvier 1972, MALCHAIR, Cité par BOCKEL
(Alain), Recueil de jurisprudence administrative sénégalaise
: 1960-1974, N°1, p.57
168 CE, arrêt N°32 du 24 novembre 1993,
Société Ibéro pour la Pêche en Atlantique C/ Etat du
Sénégal, B.A.C.E, N°12.
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