B : La non-spécialisation des juges
Au Sénégal, le contentieux de l'excès de
pouvoir n'est pas nécessairement l'affaire de magistrats
spécialisés. En général, aucune
spécialisation n'est exigée aux magistrats lors de leur promotion
à la cour suprême. Qui plus est, « (...) la formation de
base étant généraliste et, le premier contact avec ce
contentieux ne se faisait qu'enfin de carrière à la cour
suprême »152. A cet effet, les magistrats ayant une
formation de base en droit privé peuvent être appelés
à statuer sur les litiges relevant du contentieux de l'excès de
pouvoir. La non-spécialisation des juges apparait au double niveau.
Comme l'a précisé le Professeur Babacar KANTE, « c'est
un juge doublement non spécialisé qui est compétent en
matière administratif au Sénégal. Il n'est ni
spécialisé en droit administratif de par sa formation, ni
spécialisé dans les litiges administratifs dans l'exercice de ses
fonctions. Tout d'abord, le juge sénégalais est privatiste de
formation en général. (...). C'est un juge, technicien du droit
privé qui statue sur les litiges »153.
La non-spécialisation des juges aura des
répercussions sur la qualité de leurs décisions. Au regard
de certaines solutions données par le juge, on a l'impression qu'il
150 NDIAYE (Ameth), « Le référé
administratif en Afrique », op. cit, p.4
151 MALLOL (Francis), « `'Veuillez patienter» :
regard dubitatif sur la qualité et la célérité de
la justice administrative », In revue française
d'administration publique, N°159, 2016,, p. 777
152 FALL (Sangoné), discours d'usagers prononcé
lors de l'audience solennelle des cours et tribunaux portant sur « Le
contrôle juridictionnel de l'administration », R.A.C.S, 2018, p.95,
http// :www.coursuprême.sn, consulté le 5 janvier 2020.
153 KANTE (Babacar), Unité de juridiction et droit
administratif : l'exemple du Sénégal, op. cit, p.348 ; voir
SY (Demba), « Dire et écrire le droit administratif en Afrique
», in revue Afrilex, p.294
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ne maitrise pas bien certaines techniques de contrôle de
légalité. Sa non-spécialisation influe parfois sur la
qualité des décisions rendues dans le cadre du contrôle de
légalité. Par exemple, dans un arrêt rendu le 28 octobre
2008154, le juge a confondu le vice de forme au vice de
procédure. En se laissant emporté par la qualification
donnée par le requérant au moyen d'annulation, il a fini par
faire un raisonnement inexact en ce sens qu'il se fonde sur un vice autre que
celui qu'il aurait dû se baser pour annuler l'acte. Ainsi, l'acte devrait
être annulé non pas sur la base d'un vice de forme mais
plutôt sur le fondement d'un vice de procédure. A l'analyse de
certaines décisions rendues par le juge, aucune différence n'est
faite par le juge entre le vice de procédure et le vice de forme.
Par ailleurs, l'inconvénient de l'absence de
spécialisation des juges est qu'il leur est difficile de se
départir des solutions dégagées par le juge administratif
français, et donc de participer à la formation d'un droit
administratif autonome. Ainsi, les juges non spécialisés peuvent
également rendre des décisions préjudiciables aux
justiciables et qui auront des impacts sur le développement du droit
administratif. A côté de ces difficultés, viennent les
contraintes liées à la célérité du recours
et à l'exécution de la décision d'annulation
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