Paragraphe 2 : Les difficultés subjectives
d'accès au juge
Les difficultés subjectives d'accès au juge se
rapportent à certaines pratiques décourageant les
administrés à saisir le juge. Ces pratiques sont essentiellement
l'oeuvre de l'administration. Deux principales difficultés peuvent
être relevées en ce sens. Il s'agit, d'une part, du
phénomène de la politisation de la justice et, d'autres part, des
contraintes socioculturelles.
116 SY (Demba), « Un demi-siècle de jurisprudence
en droit administratif sénégalais, de l'émergence à
la maturation », op. Cit. p. 626
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A : La politisation de la justice
La politisation de la justice est un sujet d'actualité
aussi bien au niveau national qu'international. Ainsi, « la question
de la politisation de la justice se pose dès lors que le pouvoir
exécutif est tenté de contrôler l'activité de la
justice »117. Ce phénomène est contraire au
principe démocratique de la séparation des pouvoir et de son
corollaire l'indépendance de la justice. Cette dernière signifie
que : « les juges ne sont soumis qu'à l'autorité de la
loi dans l'exercice de leurs fonctions »118. Autrement
dit, ils sont soumis à la loi, rien que la loi et toute la loi. Le
besoin d'instituer une justice indépendante est une exigence dans tout
Etat de droit et surtout à l'heure actuelle où on assiste
à un développement fulgurant des droits de l'homme.
Toujours est-il que certaines personnes émettent des
réserves à propos de l'institution d'une justice
indépendante. C'est ce que retient d'ailleurs Maitre Babacar NGOM
lorsqu'il précise que : « l'idée d'une justice autonome
et indépendante du pouvoir exécutif suscite une certaine
méfiance de la part de beaucoup de personnes. En effet, les magistrats
laissés à eux même pourraient être tentés
d'abuser de leur pouvoir (...) »119. Il faut convenir avec
cet auteur que : « cette situation que l'on qualifie de `'
gouvernement des juges» ne devrait pas cependant justifier le refus d'une
justice indépendante du pouvoir exécutif
»120. L'institution d'une justice indépendante est
si nécessaire qu'elle assure une bonne administration de la justice. Sa
dépendance vis-à-
117 SY, (Demba), « Ecrire, dire et comprendre le droit
administratif en Afrique, une approche juridique et sociologique », in
dire le droit en Afrique Francophone, sous la direction de BADJI (Mamadou),
DEVAUX (Olivier) et GUEYE (Babacar), Presses de l'Université Toulouse 1
Capitole, in revue Afrilex, Droit sénégalais N°11, 2013,
p.301
118 Article 99 de la loi N°2001-23 du 22 janvier
2001portant constitution sénégalaise, J.O numéro
spécial 5963 du 22 janvier 2001.
119 NGOM (Babacar), Comment renforcer
l'indépendance de la magistrature au Sénégal ?,
L'harmattan, 2015, p.109. La méfiance d'une justice indépendante
dont parle Maitre NGOM apparait dans les propos de Boubacar ISSA ABDOURAHMANE
qui, partant du contexte général africain, précise qu' :
« En Afrique, le contrôle de la justice par le pouvoir
exécutif est loin d'être une simple illusion de l'esprit. Bien
sûr, un peu de contrôle est toujours justifiable par la nature
même de la justice, qui après tout reste un service public.
Dès lors comment ne pas accepter qu'elle soit subordonnée au
pouvoir hiérarchique. Loin de défendre l'idée d'une
organisation judiciaire sur laquelle l'Etat n'aura aucune capacité
d'orientation et qui pouvait conduire au `'gouvernement des juges» ».
Voir ISSA ABDOURAHMANE (Boubacar), « Les juges à l'épreuve
de la démocratisation : l'exemple du Niger », in revue
Afrilex, N°3, juin 2003, p.4
120 Ibidem
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vis du pouvoir exécutif va légitimement
provoquer les soupçons de politisation. Cette dernière apparait
généralement dans le cadre des litiges opposants l'administration
aux administrés lorsque le juge se réfère aux notions
d'ordre public, d'actes de gouvernement etc. pour légitimer des actes
administratifs illégaux121. A la vérité,
s'agissant de la notion d'ordre public le juge exige parfois une motivation
précise et suffisante de l'acte administratif. Néanmoins,
certaines décisions ne sont pas à l'abri de tout soupçon.
Il en est ainsi de la décision rendue par la cour suprême dans
l'arrêt Sidya BAYO rendue en date du 13 janvier 2013 par laquelle elle a
validé une motivation fondée sur « les
nécessités d'ordre public »122. L'accueil
d'une telle forme de motivation par le juge n'est qu'un subterfuge pour
éviter l'annulation de l'acte administratif en cause. La motivation
fondée sur la seule référence à la notion d'ordre
public peut être facilement justifiée par l'autorité
administrative même lorsqu'elle n'a pas de motifs valables ou
sérieux pour prendre un acte individuel défavorable. Cela se
conçoit aisément dans l'arrêt précité en ce
que le juge a justifié « la notion d'ordre public » par «
la préservation des rapports de bon voisinage ». Le juge peut dans
certains cas également refuser d'enrôler les requêtes des
requérants dans le but de servir l'administration. Dans cette
circonstance, l'administré va attendre longtemps avant que le juge ne
répond à sa requête ou, dans le pire des cas, il ne recevra
aucune réponse de la part du juge.
Plusieurs facteurs peuvent justifier la politisation de la
justice. Ainsi, « elle apparait soit à travers la crainte
éprouvée par certains magistrats, de se voir infliger des
sanctions de toutes natures, soit à travers l'intime et
l'indéfectible conviction d'autres magistrats, selon laquelle les
décisions de justice ne devraient pas entraver des décisions
administratives ou gouvernementales qui iraient dans un sens
prétendument favorable au développement politique et
économique »123. Le phénomène de la
politisation de la justice
121 FALL (Alioune Badara), « Le juge, le justiciable et
les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place
du juge dans les systèmes politiques en Afriques », in revue
Afrilex, Archives-numéro 3, juin 2003, p.14. Voir également
GILBERT (Zongo Yabré), « Le juge administratif et la protection des
libertés publiques au Burkina Faso et au Sénégal »,
op. Cit, p. 326
122 CS, arrêt N°05 du 13 janvier 2015, Sidya BAYO
c/ Etat du Sénégal, B.A.C.S, N°9-10, année 2015,
p.223
123 FALL (Alioune Badara), « Le juge, le justiciable et
les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place
du juge dans les systèmes politiques en Afriques », op. Cit, p.13.
Voir également GILBERT (Zongo Yabré), « le juge
administratif et la protection des libertés publiques au Burkina Faso et
au Sénégal », op. cit, p.325.
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décrédibilise l'institution judiciaire qui est
perçue par les administrés comme étant toujours de
connivence avec le pouvoir exécutif auquel elle rend des
décisions favorables. Par conséquent, les justiciables vont
refuser de saisir le juge malgré l'atteinte portée à leurs
droits par une décision administrative. Cette abstention des
justiciables à recourir au juge se fait sentir aussi dans le cadre des
contraintes socioculturelles.
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