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L'efficacité du recours pour excès de pouvoir au Sénégal.par Diacarya Coly Université Alioune Diop de Bambey - Master II en droit public, option Administration publique 2020 |
B : La sanction de l'erreur manifeste d'appréciationL'erreur manifeste d'appréciation (EMA) est consacrée par le juge de l'excès de pouvoir pour la première fois dans l'arrêt C.I.C.R rendu en 1993. La technique de l'EMA vient renforcer le contrôle du juge dans le cadre du pouvoir discrétionnaire de 98 DIEYE (Abdoulaye), « Le juge et la motivation des actes administratifs au Sénégal », op. cit, p.6 99 CS, Arrêt N°12 du 23 février 2012, Barthélémy TOYE DIAS c/ Etat du Sénégal, inédit 100 DIEYE (Abdoulaye), « Le juge et la motivation des actes administratifs au Sénégal », op.cit, p.25 101 CE, arrêt N°0015 du 27 octobre 1993, Seydou Mamadou DIARRA C/ Etat du Sénégal, op. cit 44 l'administration. Il a retenu dans cet arrêt que : « l'erreur manifeste d'appréciation est une erreur apparente et grave rendant la décision inadaptée aux motifs qui l'ont provoquée »102. Cette cause d'illégalité est soumise à des conditions restrictives conformément au contrôle minimum. N'importe quelle erreur ne peut être sanctionnée. L'erreur doit bien entendu avoir un caractère manifeste. Ainsi, rapporte Georges VEDEL, « est manifeste une erreur qui saute aux yeux sans qu'il soit besoin d'être un expert très averti »103. Cette erreur doit être facile à déceler et, le cas échéant, présenter une certaine gravité pouvant créer une disproportionalité entre l'acte pris et les motifs qui le servent de base. Sa consécration vise à sanctionner l'arbitraire pouvant survenir lors de l'exercice du pouvoir discrétionnaire par l'administration. Cette dernière dispose dans ce domaine d'une liberté d'appréciation quant au contenu qu'il faut donner à l'acte mais elle doit agir conformément aux textes. Le pouvoir discrétionnaire reconnu à l'administration vise à éviter ou lutter contre l'inertie dont pourrait se livrer l'administration si elle est toujours liée par la conduite que lui dictent les textes. Mais, précise Jean Marie WOERHLING, « le pouvoir discrétionnaire ne signifie pas pouvoir arbitraire dont l'administration pourrait faire n'importe quoi »104. Un peu de contrôle visant à sanctionner l'EMA est alors nécessaire pour éviter l'arbitraire administratif dans ce domaine. Le juge exerçant un contrôle minimum gagne aussi à éviter d'entraver l'action administrative. Il a sanctionné ce vice de légalité dans plusieurs espèces. Cela aussi bien au temps du conseil d'Etat qu'avec la nouvelle cour suprême. Pour le conseil d'Etat, il a annulé dans l'affaire Salif FALL105pour EMA la décision de rétrogradation du requérant 102 CE, arrêt N°14 du 27 octobre 1993, le Comité international de la Croix Rouge (C.I.C.R) C/ Etat du Sénégal, 103 VEDEL (Georges), Droit administratif, Presses universitaires de France, Thémis, 1ère édition, 1958, p.600 104 WOEHRLING (Jean Marie), « le contrôle du pouvoir discrétionnaire en France », p.2. http://www.sunulex.sn. Consulté le 15 juillet 2020 ; Voir également NGAINDE (Moustapha), « Le conseil d'Etat du Sénégal et le principe de l'égal accès des citoyens à un emploi public : A propos de l'arrêt du 29 juin 2000, association nationale des handicapés moteurs du Sénégal contre Etat du Sénégal (Arrêt N°12) », in revue Afrilex, p.17 ; NZOUANKEU (Jacques Mariel), « Remarques sur quelques particularités du droit administratif Sénégalais », p.33. Http:// www.sunulex.sn. Consulté le 15 juillet 2020; VEDEL (Georges), Droit administratif, sous la direction de DUVERGER (Maurice), Presses Universitaires de Paris ? Thémis, p.318 105 CE, arrêt N°0004 du 29/04/1998, Salif FALL C/ Etat du Sénégal, B.A.C.E, N°1, année 1998, p.2 du fait qu'elle est disproportionnelle aux faits qui lui sont reprochés. Il l'a également sanctionné dans les affaires Société Sonagraines106 et sociétés générale de Banques au Sénégal107. Pour la nouvelle cour suprême, les exemples d'actes administratifs annulés pour EMA ne manquent pas. En effet, on a pu relever entre 2009 à 2018 six (6) annulation d'actes administratifs sur la base d'EMA 108. 45 En somme, tous ces développements relatifs aux traits caractéristiques de l'efficacité du REP révèlent qu'il est une voie de droit très utile pour la consolidation de l'Etat de droit en ce qu'il permet d'assurer le respect de la légalité et la protection des droits des administrés. Les administrés en profitent de sa large ouverture pour combattre l'arbitraire administratif. En sus, il y a un contrôle assez favorable à la protection des droits des administrés fait par le juge de l'excès de pouvoir. En effet, entre 2009 à 2017, le juge a annulé 123 actes administratifs109, soit 14 annulation par an. Ce faible taux d'annulation est du au fait qu'il y a un nombre élevé de déchéance, d'irrecevabilité et de rejet des recours en annulation. Mais aussi parce que le nombre de recours en annulation par an est aussi faible ou, à tout le moins, celui examiné annuellement. Quoiqu'il en soit, le nombre total d'actes annulés atteste que son objectif est quelquefois rempli. Il reste cependant à préciser que ce recours connait également des limites. 106 CE, arrêt N°0008 du 24/06/1998, Société SONAGRAINES C/ Etat du Sénégal, B.A.C.E, N°1, année 1998, p.6 107 CE, arrêt N°0018 du 29/07/1998, Société Générale de Banques au Sénégal C/ Etat du Sénégal, B.A.C.E, N°1, année 1998, p.10 108 CS, arrêt N°10 du 5 mai 2009, Salif Diagne C/ Etat du Sénégal, B.A.C.S, N°1, année judiciaire 2009, p.85 ; CS, arrêt N°10 du 23 février 2012, Ibnou Abath DIA et autres C/ Etat du Sénégal-Biscuiterie WEHBE SARL, inédit ; CS, arrêt N°56 du 13 septembre 2012, Oumar CISSOKHO C/ Etat du Sénégal, inédit ; CS, arrêt N°25 du 22 mai 2014, Hamidou DIALLO C/ Etat du Sénégal-Société FUMOA S.A, inédit ; CS, arrêt N°64 du 29 novembre 2012, La Société Angélique Limited en abrégé A.I.L C/ L'autorité de régulation des marchés publics, dite ARMP-L'agence sénégalaise d'électrification rurale dite A.S.E.R-La société sénégalaise dite Energy service company en abrégé ENCO- la direction centrale des marchés publics en abrégé DCMP, inédit ; CS, arrêt N°53 du 18 octobre 2018, L'institut Pasteur de Dakar (IPD) C/ Etat du Sénégal, B.A.C.S, Nos15-16, année judiciaire 2018, p.196. 109 Voir le rapport annuel de la cour suprême du Sénégal de 2017, p.36 46 |
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