Conclusion du Chapitre I
168. Démarche prospective. La
démarche d'une analyse prospective des infractions de faux et d'usage de
faux intégrée à une organisation criminelle internationale
de trafiquants a pour objet de qualifier tous les éléments
constitutifs.
169. Qualification pénale. La
qualification juridique de l'infraction de faux documents d'identité
appliquée à ce type d'organisation doit regrouper des conditions
préalables, un élément matériel et un
élément moral.
170. Réunion de l'existence de deux conditions
préalables. Les conditions préalables doivent regrouper
l'existence préalable d'un document administratif officiel ayant une
incidence juridique et la présence d'une organisation criminelle
internationale de trafiquants. L'organisation criminelle internationale de
trafiquants nécessite la présence d'un commerce illicite
clandestin, la circulation internationale de la marchandise entre les
trafiquants et la prise en compte de la structure particulière du trafic
de faux documents d'identité.
171. Sanction d'un comportement matériel
global. Lorsque les conditions préalables sont remplies, il est
alors possible de vérifier l'élément matériel. Or,
un comportement global est sanctionné vis-à-vis des trafiquants.
Il faut d'abord rechercher la typologie de procédés de
falsification sur les supports d'identité avant la réalisation de
la vente secrète, soit des procédés de falsifications
matérielles soit des procédés de falsifications
intellectuelles de documents d'identité. A la suite de ce premier
comportement, il doit intervenir nécessairement une vente secrète
du faux document d'identité en sachant que c'est à ce
moment-là que l'analyse prospective prend tout son sens : c'est une
vente commerciale verbale dissimulée dont le support d'identité,
objet de la vente, est frappé d'une illégalité. La
réalisation de ce comportement global engendre un préjudice qui
n'est qu'éventuel au regard de la nature juridique du faux document
d'identité qui en présume le préjudice dès l'acte
matériel.
172. Diverses qualifications de
l'intentionnalité. Lorsque les conditions de
l'élément matériel sont remplies, il convient de
vérifier les conditions de l'élément moral.
L'élément moral de l'infraction de faux documents
d'identité intégré à une organisation criminelle
internationale de trafiquants nécessite la présence d'un dol
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général et d'un dol spécial. Le dol
général de l'infraction de faux document d'identité se
distingue en fonction de la falsification matérielle ou de la
falsification intellectuelle utilisée par le faussaire. De plus, la
présence d'un dol spécial se caractérise lors de la
réalisation de la vente secrète : le trafiquant-vendeur recherche
un profit secret alors que le trafiquant-acheteur recherche un avantage
personnel.
173. Transition. Or, un groupe international
de trafiquants est nécessairement amené à commettre
l'infraction d'usage de faux documents d'identité, qui est une
infraction voisine de celle de l'infraction de faux documents
d'identité. En effet, le délit d'usage de faux n'étant pas
réprimé lorsqu'il est commis par un groupe criminel de
trafiquants, il est donc indispensable de construire les éléments
constitutifs de cette infraction intégrée à ce type de
trafic.
Chapitre II : Analyse prospective de l'infraction de
l'usage de faux documents d'identité intégrée à une
organisation criminelle internationale de trafiquants
174. Rapprochement entre les infractions de faux et
d'usage de faux. L'élément légal de
l'incrimination de l'usage de faux se fonde sur l'article 441-1 alinéa 2
du CP. L'usage de faux est une infraction distincte de celle du faux. L'article
441-2 alinéa
2 et 3 du CP incrimine l'usage de faux document administratif.
L'article 441-4 alinéa 2 et
3 sanctionne l'usage d'un faux en écriture publique.
Or, l'usage d'un faux document d'identité entre dans le champ
d'application de ces articles parce que le support représente une
sous-catégorie d'un document administratif. L'intérêt de
l'incrimination d'usage de faux réside dans le fait « de pouvoir
poursuivre et sanctionner celui qui s'est contenté d'user de la
pièce falsifiée sans être l'auteur de la falsification
puisque le faussaire, tombant sous le coup de la qualification de faux qu'il
use ou non de son faux, n'échappera pas à la sanction
pénale »272. Or, les deux infractions étant
distinctes, elles rentrent nécessairement en concours l'une de l'autre.
Mais elles sont intrinsèquement liées l'une à l'autre
parce que l'usage de faux ne pourrait pas se concevoir sans un faux
préalable.
175. Plan. Dans ce chapitre, l'analyse
prospective interviendra à partir du moment où cette infraction
d'usage de faux documents d'identité sera intégrée au sein
d'une organisation criminelle de trafiquants. L'analyse prospective permettra
de comprendre quels sont les mécanismes d'utilisation d'un faux document
d'identité au sein du groupe criminel de trafiquants. Il convient de
vérifier en ce sens les éléments constitutifs - les
conditions préalables (Section I),
l'élément matériel (Section II),
et l'élément moral (Section III) - de
l'infraction de l'usage de faux intégrés au sein d'une
organisation criminelle internationale de trafiquants.
61
272MALABAT (V.), « Faux », préc.,
n° 53.
62
Section I. Les conditions préalables de
l'infraction d'usage de faux documents d'identité appliquées au
sein de l'organisation criminelle internationale de trafiquants
176. Plan. Les conditions préalables
à réunir sont nécessairement liées à
l'infraction de faux documents d'identité. D'abord, il faut la
nécessaire existence préalable d'un faux commis dans un document
d'identité (I) ; ensuite, l'infraction d'usage de faux documents
d'identité doit être commise à l'intérieur d'une
organisation criminelle de trafiquants (II).
I. L'existence préalable d'un faux commis dans un
document d'identité
177. Textes d'incrimination. « Il peut
paraître une évidence que l'acte d'usage de faux nécessite
qu'un faux ait été préalablement commis ; mais ce faux
doit être commis tel que défini par un texte d'incrimination,
c'est-à-dire remplissant toutes les conditions déjà
examinées relatives au faux »273. En l'occurrence,
l'acte d'usage de faux doit être commis dans les conditions des articles
441-2 alinéa 2, 441-4 alinéa 2 du CP car ces articles concernent
directement les faux commis dans un document d'identité.
178. Application en cas d'obtention indue
préalable d'un faux document d'identité. En vertu des
articles 441-5 et 441-6 du CP, le législateur ne précise pas
expressément l'infraction d'usage de faux en cas d'obtention indue d'un
faux document administratif, ni que celle-ci sera punie des mêmes peines
que l'infraction de faux. Toutefois, cette technique de falsification entre
dans le champ d'application de l'infraction de faux documents d'identité
dans une organisation criminelle internationale, ce qui permet de lier cette
infraction avec l'usage de faux documents d'identité obtenus indument
par l'intermédiaire d'une administration publique. Ainsi, « une
fois que l'existence d'un faux punissable est relevée, l'acte d'usage de
ce faux peut alors être recherché »274.
273 Ibid., n° 54.
274 Ibid.
179. Solution prétorienne en faveur de la
poursuite du trafiquant utilisateur non-faussaire et non poursuivable.
Selon les juges de cassation « celui qui a fait usage du document
falsifié est punissable quand bien même il ne serait pas l'auteur
du faux ou que celui-ci serait inconnu ou ne pourrait être poursuivi
»275. En ce sens, le trafiquant ayant fait usage d'un
document d'identité pourra être poursuivi même s'il n'est
pas le faussaire à l'origine de la falsification du support
d'identité, même s'il est inconnu ou même s'il ne peut
être poursuivi. Cette jurisprudence est pertinente puisqu'elle permet
l'application de l'infraction d'usage de faux documents d'identité au
sein d'une organisation secrète de trafiquants dont l'identification et
la poursuite de ces individus s'avèrent difficile en pratique.
180. Eviction de la prescription de l'action publique
en faveur de la poursuite de l'utilisateur. Selon les juges de
cassation, « l'usage du faux ne perd pas son caractère punissable
par le fait que l'établissement des pièces arguées de faux
remonterait à un temps couvert par la prescription
»276. Cette jurisprudence se montre pertinente dans
l'hypothèse où le trafiquant décidera d'utiliser le
document dans un temps très éloigné du jour de sa
falsification. En droit commun la prescription de l'action publique en
matière de délit est de six ans depuis la loi du 27
février 2017. Ce délai ne joue pas en matière d'usage de
faux, ce qui facilite indéniablement la poursuite des utilisateurs de
faux documents d'identité.
181. En plus de l'existence préalable d'un faux
réalisé sur un support d'identité, il faut vérifier
la présence préalable d'une organisation criminelle
internationale de trafiquants.
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275 Cass. Crim., 5 mars 1990, Dr. Pénal 1990.,
247.
276 Cass. Crim., 14 octobre 1991, Dr. Pénal
1992., 56.
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